Charlotte Gainsbourg, une chance qu'on l'a !


Dans son album IRM, Charlotte Gainsbourg reprend Le Chat du Café des artistes de Jean-Pierre Ferland. Si de nombreux spécialistes se sont étonnés de ce choix, ils en ont tous profité pour présenter le québécois (merci Wikipedia) sur l'air du "Moi, je l'ai toujours adoré". Hum ! Ce qui est véritablement étonnant, c'est que l'œuvre de Jean-Pierre Ferland n'ait jamais fait l'objet d'articles prévenants dans la presse hexagonale depuis 1968 et son fameux Je reviens chez nous. Bien qu'il ait depuis publié une vingtaine de disques originaux. Cette reprise formidable de Charlotte Gainsbourg va remettre Ferland en lumière... Enfin.
Certains artistes majeurs passent à côté du grand public, ou s'en voient trop vite oubliés... Henri Tachan, Jacques Bertin, Jean Tranchant, Michèle Bernard, Pierre Louki, Giani Esposito... Jusqu'à ce qu'un collègue à la mode ne décide, par la magie d'une reprise, de glorifier le travail. N'est-ce pas grâce à Étienne Daho que Daniela Lumbroso a découvert Le Condamné à mort d'Hélène Martin? Tout comme elle connut Richard Desjardins grâce à la reprise cabrélienne de Quand j'aime une fois, j'aime pour toujours. Qu'une idole se décide de chanter Poste restante, Couleurs ou Il n'y a plus d'après, et Daniela découvrira le mélodiste génial qu'était Guy Béart. Qu'un Arthur H, qu'un Miossec ou qu'une Olivia Ruiz s'approprient L'écharpe, et l'on reparlera de Maurice Fanon. Qu'une Carla Bruni ait l'heureuse idée d'interprèter Stanislas, et Benjamin Locoge encensera l'humour délicat de Ricet Barrier. Et patati et patata.
Pourvu que Renaud, qui s'est fait une spécialité, voire un devoir, d'enregistrer (pour les "repopulariser" parfois) les chansons de son cœur (celles des années 30, du Pas-de-Calais, de Brassens et d'Irlande aujourd'hui) visite un jour Bernard Dimey. Les chroniqueurs-radio s'apercevront alors que le Montmartrois n'était pas que l'auteur de Syracuse. Pas plus que Ferland n'a simplement écrit "Fais du feu dans la cheminée/ Je reviens chez nous...".

Baptiste Vignol

Jean-Pierre Ferland, pas tout à fait n'importe qui...

"Y a deux gros tchubes!"



Il n’y a jamais eu autant de musique et d’artistes qu’aujourd’hui, et pourtant l’industrie discographique bat de l’aile. Pire, ce marché dégringole de jour en jour. Son chiffre d’affaire a perdu 60% en sept ans (il représentait 1,3 milliard d’euros en 2002, et n’était plus que de 600 millions en 2008). Pour intégrer le top des 200 meilleures ventes en France, il suffit désormais d’écouler 250 CD en une semaine. Un pari à la portée de n’importe quel candidat au casting de la Nouvelle Star. Quand il fallait il y a peu vendre 100.000 albums pour décrocher un disque d’or, 50.000 font l’affaire aujourd’hui.
Alors, à qui la faute? Les patrons de label incriminent d’ordinaire le piratage pour justifier ces chiffres, le prix du cd, le taux de TVA... Mais aucuns n’évoquent leur propre responsabilité dans ce naufrage. Eux qui depuis la mort du vinyl – et la retraite des grands directeurs artistiques dotés d’un flair redoutable - ont pris du ventre en gérant un domaine dont ils méconnaissent l’Histoire, les figures, le public. C’est sous la tutelle de passionnés, de véritables découvreurs de talents, que la chanson française a vécu son Âge d’Or (1930-1980). Car Jacques Canetti (Trenet, Brassens, Gainsbourg, Brel ou Béart…), Eddie Barclay (Dalida, Aznavour, Léo Ferré, Jean Ferrat…), Claude Dejacques (Barbara, Nougaro, Le Forestier, Yves Simon...) ou Philippe Constantin (Higelin, Julien Clerc, Daho, les Rita Mitsouko…) aimaient tellement la musique, connaissaient si bien leur époque qu’ils étaient capables de déceler le talent.
L’archétype du producteur aujourd’hui serait Valéry Zeitoun. Popularisé en 2001 par l’émission Pop Star (M6) dont il était membre du jury, l’homme a révélé Chimène Badi. Bon. Bien. Cet “éleveur d’artistes”, tel qu’il se définit (cf. Wikipédia), s’occupe du label AZ chez Universal Music France.
Pour promouvoir leurs albums, de nombreux chanteurs publient sur internet des mini-vidéos montrant les différentes étapes de leur enregistrement, de l’écriture des chansons aux dernières séances-studio, quand les big boss du label débarquent pour découvrir les nouveaux morceaux. À l’occasion de la sortie de 1800 DÉSIRS de Martin Rappeneau, on pouvait voir, sur l’un de ces films promotionnels, Valéry Zeitoun étaler au débotté son sens inné de l’intuition.
Affalé dans un canapé, devant un Rappeneau plutôt intimidé, Zeitoun, qui semblait en pleine digestion, lacha devant la caméra, avec l’autorité du spécialiste: “Y a deux gros tchubes!” Quelle perspicacité! Et Martin Rappeneau en était tout soulagé. C’est ainsi qu’on tue la chanson, qu’on malmène la création : en la flagornant parce qu’on n’a rien d’autre à lui dire.
Les jeunes chanteurs prometteurs perceront d’autant mieux qu’ils cesseront de s’en remettre à des gens qui n’apprécient la Variété que pour ce qu’elle leur rapporte ; paillettes et monnaie.

Baptiste Vignol

Y a deux gros tchubes!


UMP (Union des Musiques Pourries)


Mais que se passe-t-il à l’UMP ? Mireille Mathieu, Faudel, Enrico Macias, Johnny, Gilbert Montagné, Didier Barbelivien…. Nous connaissions déjà les vedettes de la chanson proches de notre président ; relations qui tendraient à démontrer les goûts douteux de ce dernier en matière d’art en général et de musique en particulier (je ne parle pas de Carla, le cœur a ses raisons…).
Et voilà que débarque le Clip ( lip dub) des jeunes du parti. Il faut voir et entendre ça. C’est d’un autre âge, mais pas seulement démodé. En 1980, un être humain normalement évolué et doté d’une oreille correcte aurait immédiatement repéré, déjà à l’époque, que c’était de la MERDE. (Oui, je suis trivial, mais ça le mérite).
De là à induire que pour être sensible aux idées de droite, il convient d’être, au moins, partiellement sourd, il n’y a qu’un pas. Ce pas, je ne veux pas le franchir. En particulier par égard pour Gilbert Montagné qui se verrait alors affublé d’un surplus de travail dans sa mission gouvernementale d’intégration des personnes handicapées.
Si l’ambition de cette incommodante rengaine UMPénienne était de rendre hommage au regretté C.Jérôme ou de réhabiliter le style de Sheila et Ringo, c’est encore raté ! Le texte de cette bouse fraîche ne peut rivaliser avec le charme désuet des tubes de l’époque. L’auteur de Laisse les gondoles à Venise est un incommensurable génie à côté de l’imbécile contemporain qui ose écrire pour célébrer l’UMP l’ineptie suivante «Il n’y aura pas de fin du Monde, la vie est une éternité». Je ne vais pas me rabaisser à décortiquer la crotte verbale que je viens de citer, je ne sais par quel bout la prendre tellement elle est dégoulinante de bêtise. Je crois que cette seule phrase dans une dissertation de philo mériterait que le devoir entier soit couronné d’un illustre zéro. Qu’un ministre ose cautionner une ânerie semblable me troue le cul. (Oui, je suis vulgaire, mais ça le mérite.)
J’aimerais également souligner cet autre vers (ah ! les grands mots) aussi mémorable qu’incorrect «À chaque jour l’avenir recommence». Dieu merci, ils n’ont pas demandé à Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de fredonner cette absurdité grammaticale. Mais pour un gouvernement qui s’interroge sur l’identité nationale et veut imposer aux étrangers de parler notre langue, ne serait-il pas judicieux de commencer par donner l’exemple en chantant dans un français tout simplement français ?
Je n’avais jusque-là parlé que du son. Car malheureusement, il y a l’image aussi. Je ne discute pas la manière de filmer, tout le monde a le droit de commencer une école de cinéma et de s’apercevoir en cours de route qu’il n’était pas fait pour ça. Je parle de cette livraison de balais qui s’est faite au siège juste avant le tournage. Pourquoi les avoir introduits ? Hé, les jeunes militants, il faut vous décontracter du gland. (Oui, je suis grossier, mais c’est pour leur bien.) Moi qui suis antidrogue, j’ai soudain une sympathie sans borne pour les fumeurs de Gandja, les poètes alcooliques, les utopistes, les rêveurs décadents qui libèrent les mots et jonglent avec les idées. «Tous ceux qui veulent changer le monde, venez marcher à mes côtés», c’est ça votre révolution ? Vous voulez marcher ? Et aux côtés de qui s’il vous plaît ? Vous voulez changer le monde avec l’UMP ? Comment peut-on être jeune et se retrouver dans ce message vide, se reconnaître dans cette propagande sans ambition ? Ça me troue le troufignon ( Oui, je suis jeux de mots, c’est mon défaut.)
Il faudrait être un crétin patenté pour ne pas vouloir changer le monde. Autant qu’il faut être crétin pour ne pas voir que cet hymne de l’UMP n’a que l’ambition de plaire à tout le monde qui vote. Ce n’est pas un engagement politique, c’est un chant de messe. On va chanter, on va danser, il y aura de la fraternité, des chemins de liberté, on vivra d’amour, on mourra d’espérance. Et comme à la messe, il faudra espérer que le salut vienne du ciel. Ces jeunes militants ne sont que des croyants entonnant le cantique. Ils ne changeront rien bien au contraire, ils continueront, fidèles moutons, à soutenir inconditionnellement leurs chefs spirituels dans tout ce qu’ils diront. En politique, seule l’action a de la valeur et ces petites prières partisanes sont ridicules. Je vous dispense de la rime qui me vient à l’esprit et qui résume pourtant, concernant cette tentative maladroite de manipulation mentale, le sentiment qui m’habite.

Vincent BaguianJustifier

Quand Bercy chante à tue-tête


Ce concert était un moment inouï, 3 heures de tubes fluorescents et incandescents, une communion immense de l’artiste, heureux d’être là devant un public conquis, conscient de vivre un petit moment de l’histoire du rock partagée par le monde entier. Ce soir-là Bercy est bondé, plein comme une casserole de lait bouillant. Débordant de chaleur. À ma droite, une jeune fille et son père. Elle craignait que Sir Paul ne chante que ses derniers albums solo. J’avais lu dans Le Parisien (dans lequel je ne lis pas que l’horoscope) qu’il chanterait tout de même quelques airs des Beatles. Je lui ai dit. Elle m’a assuré que si j’avais raison ce serait la plus jolie nouvelle du monde et de sa (courte) vie. On sait comme les jeunes adultes ont cette propension à déclarer unique chaque moment intense de leur existence. J’espère avec elle. Parce que depuis les Wings, je ne sais rien de Paul. Rien de sa musique, de ses nouvelles compositions. Mon horloge s’est arrêtée aux albums tricolores. Un bail. Je me souviens du récent concert de Dylan, mon idole de jeunesse, qui a réussi en l’espace de 90 minutes de concert à ne délivrer aucu tube de son répertoire. Une purge digne d’un match au Parc des Princes, durée comprise. J’angoisse. Et là… Il arrive, salue et attaque par Mystery Tour cette soirée qui sera un immense hommage aux Fab 4. Un fabuleux tour de « passe passe moi le chef d’œuvre suivant que je leur offre ». La fille m’étreint de bonheur devant son père amusé. J’étais un bon oracle. Elle me devait bien ça... À ma gauche, un autre père et son fils autiste. Ils ont fait le voyage de Marseille pour la circonstance. Le garçon doit avoir dans les 20 ans. Je l’observe du coin de l’œil. Il apprécie le spectacle. Ses gestes ne sont pas d’un rythme académique mais il exulte en bougeant la tête et en souriant benoitement. Comme un bienheureux. Il l’est. Bien et heureux. Paul enfile les tubes en s’amusant de notre intense plaisir. Les people sont bien là. Ils crient leur joie comme les autres. Gerbes de feux sur Live and Let Die, l’agent de sa Majesté joue les pyromanes dans une salle qui chavire. Puis le show se fait plus intime. La fin se profile. Paul apparaît sur scène après que ses musiciens se sont éclipsés. Il est toujours sobre et élégant comme un Lord anglais. Un assistant régie s'approche et lui tend un ukulélé. Paul s'en empare, le retourne et sourit. Puis il raconte l'histoire qui précède la chanson. Un moment avec George. C’était il y a longtemps. Il avait un petit air dans la tête et juste ce petit instrument pour en faire la démonstration. Alors il gratte les cordes fluettes pour nous montrer ce que ça donnait en prévenant... : "Hommage à George".
La vidéo est une captation maladroite mais le document est magnifique, rempli d'émotion. D'abord la musique légère, accompagnée de la voix de Paul, telle que cette soirée de jadis. Il est enfermé dans une lumière crue. Seul sur scène, il égrène sa mélopée. Puis un autre instrument rajoute une ponctuation musicale, un autre guitariste apparaît sous une douche de lumière. Un troisième faisceau allume un troisième instrument pour poursuivre en apothéose. L’orchestre est à présent au grand complet et Paul a trusté son ukulélé contre une guitare. Il balance la chanson, la vraie, l’éternelle. Puis arrive l’ultime rappel. La salle retient son souffle. Il est 23h30. Les paris sont ouverts tandis que les pieds martèlent le sol devant la scène vide. Je mise pour
Love Love Love (avec l’intro en Marseillaise, je trouvais que ça faisait sens. Et puis… Love quoi !). Paul arrive dans une lumière bleutée, guitare acoustique à l’épaule. Un seul accord et mon jeune voisin autiste de gauche sourit. Il chante dans un play back quasi parfait. Et ne mâchera pas une seule parole de Yesterday, n’oubliera pas un traitre mot de la chanson qui lui a redonné la parole. Paul est décidément le plus grand des magiciens. Strawberry Fields Forever !

Xavier Cucuel

Something for George

How the life goes on


Paul McCartney et Johnny Hallyday ont le même âge. Mais ils ne sont pas du même tonneau... Tandis que l'un comatise (souhaitons-lui de se rétablir) à Los Angeles (quelle vulgarité) sous le regard protecteur de Line Renaud et Nikos Aliagas (quelle tristesse...), l'autre allumait le feu jeudi dernier à Bercy.
Nous Français de l'océan Indien, c'est décidé, prendrons l'avion de Saint-Denis de La Réunion et irons l'applaudir à Johannesburg en 2010. À moins que Jérôme Galabert ne le programme au Sakifo.

Ob-La-Di, Ob-La-Da, life goes on, brah!...
La la how the life goes on...

Live à Bercy, 10 décembre 2009

Le disque de l'année, c'est CLAIR


Ce blog n’est pas proprement destiné à la critique musicale qui nécessite culture et savoir-faire. Mais quand un album comme celui de JP Nataf vous tombe dans les mains, comment échapper au dithyrambe? Car CLAIR fait partie de ces disques miraculeux dont on ne peut se défaire, qu’on ré-écoute jusqu’à l’usure, qu’on ne pourra mettre au rebut et dont on redécouvre sous un casque la préciosité des arrangements. Bref, une merveille sur laquelle on pourrait s’enflammer des pages, alors autant faire court!
D’abord il y a cette voix, le timbre rocailleux de Nataf, qu’il fait bon réentendre parce son intonation magnifie des comptines à tiroirs. Vient ensuite la plume de l’auteur, obscure, singulière, muratienne parfois dans ses images ou le choix du vocabulaire, et qui “tend ses rimes au soleil” (Myosotis). Et puis enfin il y a l’art du musicien qui signe ici des mélodies lumineuses, entêtantes, addictives.
Rien à jeter de cet opus impressionnant où l’ombre bleue de l’enfance paraît partout pointer le bout de son nez, faisant regretter par exemple, servi sur une rythmique en or, que “quelque chose ici pue des pieds, pue le stress à plein nez, pue l’adulte, l’avachi.” (Seul alone)
Certains verront chez Nataf la patte de Cohen, le souvenir de Brian Wilson, le lustre de Paul McCartney, le brio de Neil Finn (pas étonnant d’ailleurs qu’on ait pu distinguer, en octobre 2007, lors du dernier passage à ce jour des Crowded House à Paris, dans une Maroquinerie pleine à craquer d’Australiens, de Kiwis et d’Anglais, les silhouettes fragiles de JP Nataf et Jean-Christophe Urbain, son complice des Innocents, venus comme en pèlerinage écouter un songwriter qu’ils adorent). Mais l’on verra surtout dans cette collection de bijoux ce qui fait de Nataf un mélodiste hors-pair, un parolier épatant (ah ! ces paronomases avec lesquelles il joue pour porter son chant), un interprète attachant : l’amour de la musique, auquel des surdoués vouent leur vie, pour lequel ils cherchent, trouvent et INVENTENT.

Baptiste Vignol

Vous avez dit Dominique A ?



Révélation : personne dont il est brusquement donné au public de découvrir le talent, les performances.” (Le Robert)

Comme le cinéma célèbre chaque année avec ses prix Romy-Schneider pour les actrices, et Patrick-Dewaere pour les acteurs, un espoir du grand écran, la chanson honore depuis 2002, grâce au Prix Constantin - du nom de Philippe Constantin, célèbre découvreur de talents (Julien Clerc, Jacques Higelin, Étienne Daho, Rachid Taha, Stephan Eicher...)-, les “10 artistes révélations qui ont marqué l’année musicale” [sic].
Artistes révélations, donc.
Le Prix Constantin 2009 revient à Emily Loizeau pour son deuxième album, PAYS SAUVAGE. Rien à redire. Sauf qu’une énigme demeure. Parmi les dix chanteurs ou groupes sélectionnés, figurait cette année un certain… Dominique A, pour LA MUSIQUE, son huitième album! Le premier, LA FOSSETTE, est sorti en 1992. Dominique A, que l’on considère généralement comme l’un des auteurs-compositeurs-interprètes qui ont le plus influencé la production française des deux dernières décennies...
Déjà nominé aux Victoires de la Musique (catégorie “Découvertes”) en 1995, il chantait alors son fameux Twenty-two bar, Dominique A devait tout de même se demander ce qu’il fabriquait lundi soir sur la scène de l’Olympia parmi BabX, Orelsan, Emily Loizeau ou les DJ de Birdy Nam Nam. Finalement, c’est heureux qu'A n’ait rien décroché! Le palmarès aurait sans doute eu du mal à assumer, sans paraître ridicule, l'inscription de son nom après ceux de Mickey 3D, Cali, Camille, Abd Al Malik ou Daphné, quelques-uns des lauréats précédents.

Baptiste Vignol

De chrysanthèmes en chrysanthèmes



On ne compte plus les chansons ayant pour thème les cimetières, les croque-morts et les enterrements. En voici d’ailleurs un bouquet : Un monsieur me suit dans la rue (Édith Piaf), Deux escargots s’en vont à l’enterrement (Lys Gauty), Le fossoyeur (Georges Brassens), Le testament (G.Brassens), Jean rentre au village (Georges Brassens), Les funérailles d’antan (Georges Brassens), La balade des cimetières (Georges Brassens), Le moribond (Jacques Brel), Tango funèbre (Jacques Brel), J’arrive (Jacques Brel), Les chiens qui suivent les enterrements (Henri Tachan), Supplique pour être enterré à la plage de Sète (Georges Brassens), Y’aura du monde (Barbara), À mon enterrement (Léo Ferré), Si ce jour-là (Georges Moustaki), Les funérailles (Angelo Branduardi), P’tite conne (Renaud), Croque (Thomas Fersen), À l’enterrement de ma grand-mère (Sanseverino), Je gagne ma vie avec les morts (Vincent Baguian), La fille du fossayeur (Alexis HK)… Quelle plaie ! Avec son cortège de traditions, de prières et de questionnements. La Mort, l’Absence, la Mémoire, l’Au-delà.
Toute une liturgie dont Benjamin Biolay vient de réduire la convenance en poussière, en deux vers seulement, pour pointer l’essentiel : « Si tu ne fleuris pas les tombes / Mais chéris les absents» (Ton héritage). Ainsi soit-il.

Baptiste Vignol


This is shit


Ceux qui espéraient que derrière ce titre provocateur se cache un assassinat en règle du « roi de la pop » vont être déçus. Michael Jackson a déjà été assassiné mieux que je ne l’aurais fait par son propre médecin; et puis j’ai trop de respect pour les inventeurs. Nous ne parlons pas là d’un musicien ordinaire, mais d’un génie qui ne s’est d’ailleurs pas borné à faire évoluer seulement la musique. Michael est aussi l’incontournable inventeur du tourisme sexuel à domicile grâce à son parc d’attractions qui lui permettait d’affréter, directement chez lui, des enfants du monde entier. Il faut bien du talent pour parvenir à se faire pardonner pareil travers et conserver ses fans malgré tout. Michel Fourniret, piètre musicien de son état, en sait quelque chose et ne reçoit pour sa part que quelques rares demandes en mariage.
Mais ce n’est pas de ce petit manège enfantin dont je voulais vous parler. Bambi est mort et ses vices avec. Voilà le sujet. S’il fallait une preuve supplémentaire que le monde danse le moon walk sur la tête, la voici. «This is It».
Les déviances du chanteur masqué semblent presque humaines comparées à l’immoralité macabre de certains membres de sa famille et de ses anciens producteurs. La dépouille de l’idole encore fumante, les hommages ont un goût de marketing en putréfaction. Les vrais profanateurs ont une excuse : la haine. Une haine aveugle qui me paraît soudain moins dégueulasse que toute cette lucide cupidité. Les images des dernières répétitions de M.J., tournées à l’origine pour le bonus DVD, sont rebaptisées «film/testament». Beurk ! « This is It » ne restera que 15 jours à l’affiche, parce que ce n’est pas du business, non !… C’est un hommage ! Dépêchez-vous mesdames messieurs, il est bien frais mon mort, profitez-en, il n’y en aura pas pour tout le monde. Re-Beurk ! Les télés, les radios, sinistres complices, relaient à l’envi cette lugubre opération ; de peur sans doute que le succès inéluctable se fasse sans eux, ils l’amplifient. Un audimat même funeste, ça compte. Et les millions de fans, ou pas, manipulés, ou manipulés, s’en vont, gentils disciples disciplinés, remplir les sales salles. Ils déverseront leurs oboles dans les poches de producteurs machiavéliques qui ne pensent qu’à les faire revenir à d’autres messes payantes. La sinistre famille, engrangeant les millions de dollars, continuera à nous distiller sa tristesse au rythme d’hommages aussi rentables que faire se peut. Oui, Michael Jackson était un visionnaire. C’est même à se demander si ce n’est pas son extrême lucidité qui l’avait poussé à entamer sa décomposition de son vivant ?

Vincent Baguian.

L'âme des poètes


Quel effet cela fait-il d'avoir écrit un classique ? Autrement dit une chanson dont on sait, sitôt enregistrée, qu'elle marquera son époque et se jouera des décennies. Dans le sillage d'Avec le temps, Que reste-t-il de nos amours ?, Mistral gagnant ou Je t'aime moi non plus. Ces chansons qui ne vieillissent pas. Il faudrait le demander à Jeanne Cherhal et Benjamin Biolay qui dans un duo prodigieux, Brandt Rhapsodie, condensent en quatre minutes et quarante-quatre secondes ce qui faisait la magie du cinéma de Claude Sautet. Dont les films n'ont pas pris une ride.

Baptiste Vignol

Cliquer sur Brandt Rhapsodie

Que reste-t-il d'Henri Tachan?


Que reste-t-il d'Henri Tachan? Deux centaines de chansons, violentes, charpentées, parmi lesquelles des chef-d'œuvres (La table habituelle, Ma mère, Les z'Hommes, Pas vieillir, pas mourir, Entre l'amour et l'amitié, etc.) qu'illustrèrent en 1979 Cabu, Gébé, Reiser, Willem et Wolinski. L'ensemble de sa discographie vient d'être rééditée en une intégrale soignée.
Mais Tachan, c'était d'abord la scène. Qu'il a décidé d'arrêter, après 35 ans de tournées. Henri Tachan, ou le charisme des chanteurs à l'ancienne, ceux qui donnaient tout, à la Brel, simplement accompagnés d'un piano et d'une contrebasse. Jacques Brel disait d'ailleurs de Tachan : «Mesdames, le lion est lâché.»
Depuis quelques années, Tachan coule des jours heureux dans le sud de la France.


Pas plus tard qu'hier, pour chercher la définition exacte du «lit d'une rivière», je consultais le Robert Culturel en 4 volumes d'Alain Rey et trouvai dans la partie du mot consacrée au «meuble destiné au repos, au coucher, aux activités sexuelles», l'illustration textuelle suivante : «Entre l'amour et l'amitié, il n'y a qu'un lit de différence, / Un simple pageot, un pucier, où deux animaux se dépensent […]» (Henri Tachan, L'Amour et l'Amitié).
Henri Tachan sait-il seulement qu'un fragment de son œuvre figure dans un dictionnaire qui fait autorité? Un juste retour des choses pour un homme qui n'a jamais écrit ni chanté pour passer le temps.

Baptiste Vignol

Mes comptes d'apothicaire


La rubrique Indiscrets du Paris Match du 1er au 7 octobre 2009 révélait: "Maurane redécolle. Son disque hommage à Claude Nougaro est la bonne surprise musicale et commerciale de la rentrée. Trois semaines après sa sortie, NOUGARO OU L'ESPÉRANCE EN L'HOMME s'était déjà écoulé à plus de 75 000 exemplaires. Un record de ventes dans une industrie musicale sinistrée..."
Sauf que trois semaines après sa sortie, l'album de Maurane ne s'était réellement vendu, hélas, qu'à 20 700 unités. Quasiment quatre fois moins que le résultat annoncé. Alors? Mensonge de Match ou indiscrétion non vérifiée? Ça n'est pas avec ce genre d'annonce fallacieuse qu'on crédibilisera le marché de la variété...
Six semaines après sa sortie, au soir du 4 octobre 2009, le CD s'était écoulé à 34 500 exemplaires. La moitié du chemin?

Baptiste Vignol

Frédéric Mitterrand et Benoît Hamon : deux beaux enculés


Tout d’abord je tiens à préciser que mon esprit libertin s’offusque rarement de quelques pratiques sexuelles que ce soit. Je reconnais le droit et pratiquement le devoir à chacun de s’enfiler comme bon lui semble, par devant, par derrière, entre hommes, entre femmes, avec des objets, en se mélangeant, seuls, à deux ou à plusieurs. Celui-ci attiré par les travestis, un autre gérontophile, une dame mûre qui traque les jeunes éphèbes, je m’en branle. Que chacun agisse comme bon lui plaise, bisexuel, homosexuel, hétérosexuel, fétichiste, masochiste, soumis, la débauche a ses vertus. Je ne suis même pas choqué et pour tout avouer parfois sensible à certains désirs interdits et inavouables, tant qu’ils restent au stade de phantasmes. Le sexe, c’est toujours un peu sale quand c’est bien fait, et c’est pour ça que c’est tellement bon.
Ce préambule étant établi, je ne m’attendais pas à être désarçonné par les propos de Frédéric Mitterrand en entamant les pages qui font débat de son livre « La mauvaise vie ». J’aurais même accusé à priori la société d’excessive pruderie avant d’avoir pu juger par moi-même. Et je ressors de là avec la nausée. Non seulement le fait d’acheter des services sexuels dans un bordel avec des êtres humains portant des numéros ne ressemble pas à un échange libre entre adultes consentants, contrairement à ce qu’il déclare sur les plateaux télés, mais le fait d’en faire un livre est une circonstance aggravante. S’acheter une bonne conscience sous couvert d’aveux littéraires m’écœure. Il y aurait donc les pratiques dégueulasses de quelques incultes avides de sexualité bestiale sans fondement et celles de Monsieur Mitterrand, intellectuellement acceptables, en cela qu’elles produisent une œuvre ? Le photographe qui exercerait son talent à honorer une seconde fois les putes qu’il vient d’enfiler en offrant au public les clichés de ses ébats ne vaudrait pas mieux. Si vos remords, Monsieur Mitterrand, vous poussaient à vous amender, il fallait réserver vos aveux à un confessionnal ou à un tribunal, au lieu d’en faire commerce. Le récit détaillé de vos aventures infâmes (195 000 exemplaires) vous aura rapporté largement de quoi rembourser vos péripéties et votre voyage thaïlandais. Voici une belle manière de faire fructifier votre débauche, dépossédant au passage d’une part de ses bénéfices celui qui n’avait que son corps à vendre. Que vous ayez accepté que votre pouvoir d’achat serve de sex appeal en France, ou pire en Thaïlande, cela vous déshonore, mais peut m’inspirer à la rigueur un peu de compassion ; il faut s’aimer bien peu et mépriser au plus haut point le genre humain pour en être réduit à une telle extrémité. Mais que de cet «Enfer sexuel» vous ayez l’audace de faire un «Paradis de bénéfices» sous couvert de culture, cela, je ne vous le pardonne pas.
Quand à Benoît Hamon réclamant à tout bout de champ la tête de l’un ou de l’autre, pourvu qu’il soit du camp adverse, petit tartuffe de circonstance, prêt à emboîter le pas du Front National à des fins beaucoup plus politiciennes que morales, très discret quand il s’agit de débordements imputés à des membres de son propre parti, décomplexé du doigt d’honneur surtout quand on s’attaque à son auguste personne, silencieux pratiquement tout le temps concernant les dérapages du monde, trop occupé qu’il est à viser les sommets de son pays, je trouve qu’il y a des sujets sur lesquels il ne faut pas s’étendre, même gratuitement.

Vincent Baguian

Delon by Baer


Inspiré par les photos du site danslesyeuxdalaindelon.com, Julien Baer a composé une chanson inédite, livrée ici, sur Youtube, dans sa version démo, enregistrée dans son salon.
Attention: mélodie entêtante.
D'autres chansons d'autres chanteurs devraient suivre...

Delon

Dans les yeux de qui? D’Alain Delon?


Il y a les chansons interprétées par Alain Delon (Laëtitia; Paroles, paroles; Comme au cinéma…), les chansons qui l’évoquent (Plus beau que moi tu meurs d’Aldo Maccione; Ma tête à moi de Marka; Toi pour moi de Clarika; Da Vinci code de Claude MC Solaar, etc.) et celles qui lui sont dédiées. Quel meilleur gage d’admiration que d’avoir des chansons qui vous rendent hommage? En 1991, les anglais de White Town sortaient un titre inattendu, Hair like Alain Delon, dont les paroles disaient : « I'm not the kind of man/ Who can wear just anything/ And I'm not the kind of man/ That can make a French woman sad or sing/ If only I could be like him/ Then everthing would be okay/ I'd always know just what to do/ And exactly what to say/ Wish I had hair like Alain Delon… »
Dix ans plus tard, le groupe norvégien The Margarets encensait le Français dans Alain Delon qui figure sur l’album WHAT KEPT YOU (#2 dans les charts norvégiens): « Is there someway you can reach her?/ The sunshine's got me dizzy/ Is there someway you can meet her?/ Heaven knows I'm not Alain Delon ! » Rappelons qu’en 1986, le chanteur de The Smiths, Morrisey, grand fan d’Alain Delon, avait pris une photo de son idole pour illustrer la pochette du mythique THE QUEEN IS DEAD.


Du côté de chez nous, un TRIBUTE TO ALAIN DELON AND JEAN-PIERRE MELVILLE est sorti en 2001, avec les participations de Bertrand Burgalat, April March, Jacno, Jean-Emmanuel Deluxe, Ariel Wisman et Helena Noguerra. L’ombrageux Fred Poulet a lui aussi gravé, sur son cinquième CD paru en 2005, une référence à l’acteur du Samouraï. Mais la palme de l’élégance revient à Julien Baer, roi de l’underground, qui s’est inspiré d’un site plutôt décalé, « danslesyeuxdalaindelon.com », pour écrire une balade émouvante, enregistrée lo-fi, seul à la guitare, et qui a l’avantage d’élargir le champ de vision des thématiques consacrées à Alain Delon. « Parfois j’voudrais être un ami des grands ce monde/ Beaucoup voyager partout… » À découvrir tout prochainement.

Baptiste Vignol

danslesyeuxdalaindelon.com

Mylène Farmer au Stade de... Farce




Je sais par avance que quelques fans dévolus corps et âme à Mylène Farmer ne manqueront pas de voir dans cet article une nouvelle provocation de ma part. Ils m’accuseront encore d’écrire sous l’emprise de la jalousie, dévoré par la frustration, moi, chanteur inconnu et donc improbable, qui ne pourra jamais rassembler suffisamment de spectateurs pour remplir ne serait-ce qu'un petit Bercy. Quelle honte ! Cet insuccès étant la garantie de mon manque de talent, autant que les audiences records de Secret Story sont la preuve que ce programme a du fond, ils me suggéreront de la fermer et de m’incliner respectueusement devant ce qui marche. Je trouve, du reste, que l’on ne respecte pas assez le jambon Herta emballé sous vide en portion 2 tranches qui a le meilleur rendement de tout le rayon charcuterie de mon hyper et qui marche bien lui aussi.
Le déferlement de messages fanatiques, souvent insultants, flirtant parfois avec la menace ou le harcèlement, qui avait suivi ma précédente bafouille concernant « l’icône rousse » devrait, il est vrai, me pousser à garder le silence. C’est justement pour défaire ce bâillon psychologique que je réitère. La simple idée qu’il serait préférable que je me taise, me pousse irrémédiablement à l’ouvrir. C’est dans ma nature. J’aimerais vérifier que mes mots ne tremblent pas et que mes goûts osent encore s’exprimer crûment, sans céder à la peur des représailles. Ne m’en veuillez pas de détester ce que vous vénérez et de le dire haut et fort, ce n’est pas contre vous, c’est pour moi. S’il s’avérait que Voltaire n’ait pas réussi à éveiller votre conscience à la tolérance que prône aussi Florent Pagny de manière plus accessible, épousez la philosophie du second (pour une fois vous serez pardonnés) et aux cris de « Oui, elle est chanmé c’te zicmu ! » laissez moi ma liberté de penser.

Alors, voilà ; je suis allé voir la star dont j’avais déjà dit tant de mal la fois précédente. Je suis masochiste, c’est mon droit ! Au Stade de France cette fois, le jour de son anniversaire. Rien n’interdit à une vedette de s’autocélébrer devant 80 000 clients prêts à lâcher chacun une centaine d’euros pour lui chanter en chœur « Happy Birthday to you » ; c’était le petit cadeau qu’elle tenait à s’offrir, ça partait déjà d’une bonne intention.
Sans à priori cependant j’imaginais que ce concert pourrait me faire réviser mon jugement. Parfois on tombe sur une mauvaise huître, pas de chance, il ne faut pas décréter pour autant que les huîtres ne sont jamais bonnes.
La tête de mort rouge projetée sur le rideau de scène n’était pas du meilleur présage quant à la délicatesse du spectacle à venir… Je ne fus pas déçu. Après une introduction interminable composée de sons inutiles et dépassés, Mylène est entrée, princière dans une tenue moche qu’elle a changé par la suite souvent pour d’autres tenues moches du même grand couturier. Mylène a dansé maladroitement sur d’improbables chorégraphies à la portée d’à peu près n’importe qui et dignes d’un spectacle de patronage. Et surtout Mylène a chanté… Très faux. Ma subjectivité peut parfois me conduire à la mauvaise foi, mais mes oreilles ne trichent pas, elles ne lui voulaient aucun mal. Elles ont pourtant beaucoup souffert. Bien entendu, Mylène a pleuré, peut-être à cause de ces notes qu’elle n’arrivait pas à atteindre. En gros plan sur tous ces écrans voués à sa beauté chirurgicale, elle a sourit aussi, tout en pleurant. À un moment, elle a traversé la foule sur un podium prévu à cet effet. Telle une prêtresse, elle a marché lentement. À un autre moment, un praticable l’a soulevée à quelques mètres du sol, puis il est redescendu. Elle s’est aussi assise dans un fauteuil en forme de scarabée ? Ou de mouche ? Ou de scorpion ? En tout cas il y avait des pattes d’insecte. Elle s’est même allongée en travers de ce siège. Que retenir d’autre ? Croix, squelettes, morts-vivants, rien ne nous fut épargné, jusqu’à l’ennui. La vulgarité de toute cette mise en scène trouve peut-être une explication dans la volonté de récupérer le public orphelin de Johnny Hallyday. Ce serait la seule excuse valable, le marketing. Le public ne fut même pas très chaleureux. Les as du montage devront se décarcasser pour prouver, DVD à l’appuis, qu’il s’agissait d’un moment de communion magique. Pour y trouver son compte, il fallait être inconditionnellement aveuglé, sourd à toute critique, embrigadé depuis toujours, bercé par ses refrains depuis la tendre enfance. En guise de générosité, elle aura dispensé quelques mercis.
Et puis au revoir.
Ne vous découragez pas, vous, les jeunes artistes qui éprouvez vos chansons ambitieuses dans les bars difficiles, sans artifices, condamnés à tout donner chaque soir pour convaincre un par terre clairsemé. Oui, vos petites salles à moitié pleines sont une injustice au regard de ce stade comble de vide. Mais ne baissez pas les bras et fuck them all. Ce n’est pas parce qu’ils étaient très nombreux à se tromper, qu’ils avaient raison.

Vincent Baguian.

La nostalgie, ça n'existe pas !



D'aucuns diront "Beigbeder vieillit", pire: "il est frappé de nostalgie". Dans le billet hebdomadaire qu'il écrit pour Voici, intitulé cette semaine "L'adieu aux albums", l'écrivain germanopratin regrette, après une déclaration de Thom Yorke où le leader de Radiohead affirme que son groupe n'enregistrera plus d'albums mais proposera désormais ses compositions une par une sur la toile au gré de son inspiration, le temps des disquaires, du vinyl au CD, quand on prenait le temps (notez l'imparfait) d'aller (notez l'intention) acheter sa musique, puis de la découvrir, chanson après chanson, en inspectant la pochette, en lisant les paroles, en consultant les crédits, avant que le téléchargement sauvage n'ait achevé ce produit. Beigbeder nous prie donc d'observer, non pas une minute mais une heure (le temps qu'il fallait selon lui pour écouter un 33 tours) de silence en hommage à quelques disques de sa mythologie (SERGENT PEPPER'S des Beatles, DARK SIDE OF THE MOON des Pink Floyd, PET SOUNDS des Beach Boys... Que de l'ancien!). Et le chroniqueur de conclure: "Quand donc notre civilisation s'apercevra-t-elle qu'Internet est en train de détruire ce que l'humanité avait de plus précieux : le temps ?" Car en cédant aux diktat de l'immédiateté, du zapping, du téléchargement, de la surconsommation (combien de milliers de morceaux un ipod peut-il contenir ?), nous nous sommes (définitivement?) défaits d'habitudes toute simples (aller en librairie, fouiner à la fnac, en quête de découvertes littéraires ou musicales) desquelles pouvait éclore une sensibilité. Cela vaut bien d'être nostalgique, non ? Nostalgie. Ce joli mot qui fâche les auteurs à la mode (allez savoir pourquoi...), les quincas frappés des affres du jeunisme vêtus comme des adolescents et les vieilles idoles qui, ne supportant pas l'idée du temps qui passe, s'excusent, sitôt qu'elles ont évoqué leurs glorieuses années : "Mais attention, hein, je ne suis pas nostalgique. Moi je regarde de l'avant !" C'est ça. N'est-il pas attristant d'entendre tel barbon, telle actrice, telle ancienne muse de Saint-Sulpice prétendre être insensible à ce sentiment? Comme s'il fallait un après à Saint-Germain-des-Prés...
Entre en avoir ou pas, Beigbeder a choisi : il déborde de nostalgie en pensant à toutes ces heures qu'il ne passera plus à écouter les dix nouvelles chansons de nouveaux chanteurs prometteurs, le livret de leur CD à la main. Car tout était là. Dans l'objet.

Baptiste Vignol

It's time for a revolution



Et bien voilà, nous y sommes : on peut vendre moins de 200 disques par semaine et figurer au top IFOP* des meilleures ventes en France! Autant dire que cette apothéose est à la portée de chacun d'entre nous qui aimons la chanson. Suffirait en effet que nous enregistrions un album, que nos amis demandent à leurs amis (200 personnes, c'est jouable!) d'acheter l'objet pour que nous apparaissions parmi nos idoles. Songez plutôt: classée 184ème du Top avec 199 CD écoulés, Catherine Ringer (C.RINGER CHANTE LES RITA MITSOUKO AND MORE À LA CIGALE) ouvre le bal des victimes du marché. Puis viennent Lenny Kravitz (198 albums), Iggy Pop (194), Patrick Sébastien (192), Yael Naim (190)... Une question se pose cependant : que font les maisons de disques ?

Baptiste Vignol

* Top Ifop du 17/08 au 23/08/2009

S'arrêter là?

Parti trois mois autour du monde faire des photos pour un site disons décalé dédié aux yeux d'un acteur de légende. À chaque escale, bien inspecté le rayon "Chanson française" (appelé tout simplement "Chanson" au Japon) chez les disquaires ayant pignon sur rue. Édith Piaf et Charles Aznavour la symbolisent encore. Mais l'on écoute aussi Julien Baer à Tokyo (les Japonais ont du goût) et les refrains de Joe Dassin à Santiago du Chili. La voix de Françoise Hardy n'a pas fini de bercer Buenos Aires tandis que Serge Gainsbourg fascine quelques francophiles néo-zélandais. À l'île de Pâques en revanche, on n'écoute rien, on regarde, et on se tait.
Parti trois mois autour du monde (comme dans la belle chanson de Pierre Schott...), et rien ni personne pour redorer notre Variété. La revue Chorus vient de mettre la clef sous la porte. Mais Benjamin Locoge écrit toujours dans Paris Match (en vente partout sur la planète) - il semblait découvrir Michel Delpech dans un numéro récent, et tentait d'encenser la slameuse Luciole dans un article précédent. Les vieux disques de Michael Jackson animent un marché de plus en plus moribond. Nicolas Sarkozy serait fan de Julien Doré. Mylène Farmer s'apprête à faire ses adieux au Stade de France. C'est un scoop. Et l'on s'inquiète de savoir si Philippe Manœuvre sera du prochain jury de la Nouvelle Star... Quant à notre Johnny national, le voilà hospitalisé de force par ses assureurs. Autant s'arrêter là. Car la saison des festival bat son plein. Le Sakifo (de Saint-Pierre de La Réunion) commence demain. De quoi lever encore le poing en écoutant Java, Éric Triton, Zong ou Danyel Waro qui ne seront, grâce à dieu, jamais mis en cage par Locoge.

Baptiste Vignol


Le PS mérite une bonne droite



C’était déjà difficile d’être socialiste, cela devient impossible. Benoît Hamon, missionné par le PS au Grand journal de Canal +, multiplie les fausses notes. Il porte pourtant le nom d’un orgue au son envoûtant, quand il est joué sans couac, le Hammond B3, mais le sait-il ? Ignorant tout de la musique et de la manière dont elle se fabrique, il dénonce la loi Hadopi comme étant liberticide, l’imbécile. La première atteinte à la liberté, ce n’est pas Hadopi. La première atteinte à la liberté, c’est de dépouiller l’individu du fruit de son travail, sans son consentement, sans qu’il puisse fixer le prix de ce qu’il a produit, qu’il s’agisse de carottes, de paniers en osiers, de plans d’architectes ou de toiles de maîtres. Pourquoi ce qui est vrai pour un boulanger ne le serait-il pas pour un musicien ou un cinéaste ? À moins de considérer que la culture compte pour du beurre.
Produire une œuvre musicale coûte cher, très cher. Quel modèle économique permet d’offrir «gratuitement» ce qui est cher à fabriquer*? Même un socialiste chevronné ne pourra nous l’expliquer.
Et que l’on cesse de comparer, comme certains n’hésitent pas à le faire, la musique et les journaux gratuits. Ces derniers sont truffés de pub et financés de cette manière (je ne m’étendrai pas sur le contenu rédactionnel à la solde d’on ne sait trop qui, la gratuité ayant parfois un parfum de propagande). Ou alors, il faudrait accepter que les chansons téléchargées gratuitement soient également interrompues toutes les 30 secondes par une pub Tampax, en guise de nouvelles règles.
Si demain, la morale d’internet et les arguments fallacieux de ceux qui invoquent une loi liberticide devaient s’étendre au reste de l’économie, on se rendrait vite compte des limites du système.
- J’ai trouvé un moyen de remplir mon caddie et de sortir de la grande surface sans passer par la caisse. Ce n’est pas du vol !
- Je possède une clef qui me permet de démarrer toutes les voitures et de partir avec, je ne fais rien de mal.
- De toute manière, je n’aurais pas acheté cette paire de chaussure, alors le fabricant devrait être plutôt flatté que j’accepte de la porter gratuitement.
- Le caviar, c’est trop cher, alors je me sers.

Ceux-là mêmes qui donnèrent la parole à Benoît Hamon sur la chaîne cryptée, sans trop chercher à le contrarier, sont les premiers à lancer la police aux trousses des petits malins qui savent pirater les décodeurs Canal +. Ils ont pourtant eux aussi, à l’instar des voleurs internautes, l’alibi de vouloir accéder à la culture. Michel Denisot, assis sur son mirobolant salaire, aurait pu faire valoir un peu plus haut que sans les deniers des abonnés son «Grand journal» deviendrait rapidement un «misérable journal».
Je veux bien envisager de donner mes œuvres à ceux qui n’ont pas du tout les moyens de se les procurer ; et exclusivement à ceux-là. Les Fnac du cœur, pourquoi pas. Mais qu'au minimum, on me remercie pour mon geste, je n’étais pas obligé. Je n'admets plus que l’on trouve normal de me piller. Ce n’est pas seulement d’argent que l’on me dépouille, c’est toute ma valeur que l’on réduit à néant. Je me sens humilié par si peu de considération. Si le rôle social que je joue n'est pas aussi important, il est au moins aussi noble que celui des politiques. Si certains revenus sont discutables, penchons-nous d'abord sur ceux que leur confèrent leurs mandats, payés par notre solde, et quelles que soient leurs compétences. En tant qu'artiste, je n'en demande pas tant. C'est uniquement mon travail que je veux voir rétribué, à hauteur de que le public jugera digne de lui sacrifier.
Bien entendu lorsqu’on se réfère au nombre important de personnes qui s’adonnent au téléchargement illégal, se ranger de leur côté est plutôt opportun. Cela n’aura visiblement pas échappé au PS en quête de voix. Certains artistes n’osent même pas affirmer devant les caméras, que ce vol caractérisé leur porte atteinte, préférant la popularité à la loi.
Accepter que la création appartienne à tout le monde, gratuitement, sans contre partie, c’est affirmer haut et fort qu’elle ne vaut rien. Jusqu'à présent ce type de raisonnement était plutôt l'apanage d'une droite très à droite.

Vincent Baguian

* L’enregistrement de mon dernier album a duré un mois et demi et coûté 80 000 Euros (hors jaquette, photos, clip, promo). Construire un studio d’enregistrement digne de ce nom équipé du matériel adéquat coûte plusieurs centaines de milliers d’Euros. Devenir musicien, arrangeur, ingénieur du son, demande autant d’années d’études qu’un chirurgien. Je cède tous mes droits d’auteurs à des associations quand je le juge utile, c’est beaucoup et on peut vérifier. Qu’on me laisse décider à qui je veux donner.


Top des ventes (du 23 février au 1er mars)

1. U2 No line on the Horizon 63 109
2. La Fouine Mes repères 14 683
3. Seal Soul 13 962
4. Charlie Winston Hobo 10 224
5. Grégoire Toi + moi 8 019
6. Superbus Lova Lova 6 925
7. Coldplay Viva la vida 6 732
8. Peps Utopies dans le décor 6 631
9. Christopha Maé Comme à la maison 6 503
10. Bof Twilight 6 486
11. Patrick Fiori Les choses de la vie 5 740
12. Francis Cabrel Des roses et des orties 5 389
13. Pink Funhouse 4 390
14. Thomas Dutronc Comme un manouche sans guitare 4 277
15. Jason Mraz We sing, we dance… 4 031
16. Multi-interprètes Cléopatre, la dernière reine d’Égypte 3 639
17. La Rue Kétanou À contresens 3 623
18. Ridan L’un est l’autre 3 520
19. Bruce Springsteen Working on a dream 3 425
20. The Priests The Priests 3 290

Puis, en français:

29. Johnny Hallyday Ça ne finira jamais 2 807
31. Alain Bashung Bleu pétrole 2 655
33. Bénabar Infréquentable 2 564
36. Charles Aznavour Duos 2 376
37. Tryo Ce que l’on sème 2 340
41. Alain Souchon Écoutez d’où ma peine vient 2 164
44. Christophe Maé Mon paradis 1860
45. Stanislas L’équilibre instable 1 792
47. La Grande Sophie Des vagues et des ruisseaux 1 792
49. Abd Al Malik Dante 1759
53. Anaïs The Love album 1 666
etc.

L'avis d'un Grand Prix de l'Académie Charles Cros


Les 24ème défaites de la musique

Bien sûr, il y avait Alain Bashung et son œuvre. Quelle dignité quand au bout du chemin, ses peut-être derniers mots vont à son amour de la belle chanson et de l’audace qu’elle implique. Il y avait ce maître absolu du verbe, ce poète, son timbre incomparable, ses musiques ciselées, recherchées, originales, personnelles. Et dans son sillage, personne. Mise à part Camille.
J’ai tenu jusqu’au bout de la soirée, par conscience professionnelle sans doute, et j’ai contemplé le désert. Je ne citerai pas les noms de ces déserts, on me traiterait d’aigri. Je ne suis pas aigri au contraire, je suis perdu. Je voudrais m’accrocher à des locomotives, elles me sont essentielles, je rêve de n’être qu’un wagon et de me laisser entraîner sur les voies de talents bouleversants. Mais là, qui suivre ?
Pour être rock, il faudrait tel un cabri (oui l’homonymie est proche) parcourir la scène en sautant dans toutes les directions, hurler des propos vides de sens, dignes d’un élève de troisième (et encore il y en a qui assurent en 3ème) et haranguer la foule comme un gourou (pas loin du kangourou). Tout le monde debout! Faites du bruit! Est-ce que vous êtes là ? Combien de fois ces banalités ineptes ont été répétées ? Et le public se lève par politesse, victime d’une standing ovation réclamée à corps et à cris par « l’artiste ». Si c’est cela avoir du charisme, je préfère regarder les parcs à huîtres du bassin d’Arcachon, ils m’inspirent plus de respect et m’émeuvent bien davantage. Ou écouter encore un album de Brassens, qui était bien plus rock que ça, et sans bouger beaucoup. Une autre arrive sur scène à cheval. Cette entrée originale aura-t-elle dissimulé quelques secondes l’absence d’originalité de tout le reste qui concerne la chanson? Quelques-uns, de plus en plus nombreux, chantent en anglais; c’est moins risqué, au niveau du sens. Ils échappent du coup au ridicule de certains textes que l’on a pu entendre ce soir-là. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas non plus ce qu’ils font dans des catégories dites de "chanson française". Les heures passent lentement, je cherche les héritiers de Gainsbourg, Brel, Piaf, Barbara, Nougaro, Reggiani, Trenet, Souchon… Je vois des fils de. Mais les héritiers, je ne les trouve pas. Ce ne sont quand même pas les BB Brunes en train de remporter la victoire de la « révélation scène » de l’année ? (eux je les cite, parce que c’est quand même trop comique). Alors pour me rassurer je me dis que ce sont des professionnels qui ont voté, et qu’ils doivent bien savoir ce qu’ils font. Mais soudain, je repense à ce proverbe :
N’oublions jamais que le Titanic a été conçu par des professionnels… Et l’arche de Noé par un amateur.
Oui, le marché du disque est en crise. J’hésite entre la crise de rire et la crise de larmes.

Vincent Baguian

Top 50



“Si aujourd’hui le nombre d’entrées d’un film est parfaitement établi, connaître les ventes réelles d’un CD relève de l’enquête de police, déplore Olivier Maison dans Marianne (du 21 au 27 février). Le classement de l’Ifop, qui repose sur les seuls achats réels relevés dans 1200 points de vente est un classement fiable et… confidentiel. Les journalistes spécialisés doivent faire preuve de trésors d’ingéniosité pour obtenir des chiffres réservés aux "majors des majors" et de plus en plus protégés”.
Voici ceux de cette semaine - du 16/02 au 22/02.

1. Seal Soul 16 196
2. Charlie Winston Hobo 11 480
3. Grégoire Toi + moi 9 613
4. Superbus Lova Lova 9 154
5. Christophe Maé Comme à la maison 6 216
6. BOF Twilight 6 020
7. Francis Cabrel Des roses et des orties 5 866
8. Patrick Fiori Les choses de la vie 5 785
9. Bruce Springsteen Working on a dream 4 757
10. The Priests The Priests 4 533
11. Multi-interprères Cléopatre la dernière Reine d’Égypte 4 297
12. Franz Ferdinand Tonight: Franz Ferdinand 4 276
13. Raphael Saadiq The way i see it 4 254
14. Diane Alela To be still 4 217
15. La rue Ketanou À contresens 4 076
16. Roberto Alagna Sicilien 3 991
17. Katy Perry One of the boys 3 487
18. Jason Mraz We sing, we dance, we steal things 3 439
19. Johnny Hallyday Ça ne finira jamais 3 373
20. Orelsan Perdu d’avance 3 365
21. Peps Utopies dans le décor 3 242
22. Amy MacDonald This is the life 3 157
23. Lily Allen Its’ not me, it’s you 3 127
24. The Pussycat dolls Doll Domination 2 918
25. Alain Souchon Écoutez d’où ma peine vient 2 854
26. Charles Aznavour Duos 2 836
27. Bénabar Infréquentable 2 816
28. Pink Funhouse 2 668
29. Morrissey Years of refusal 2 654
30. Tracy Chapman Our brigh future 2 494
31. Coldplay Viva la vida 2 484
32. Duffy Rockferry 2 455
33. Scred Connexion Ni vu ni connu 2 436
34. Justin Nozuka Holly 2 376
35. Tryo Ce que l’on sème 2 311
36. Christophe Maé Mon paradis 2 158
37. Emily Loizeau Pays sauvage 2 125
38. La Grande Sophie Des vagues et des ruisseaux 2 058
39. Rohff Le code de l’horreur 1 929
40. Antony and the Johnsons The crying light 1 926
41. Sheryfa Luna Venus 1 868
42. AC/DC Black ice 1 859
43. Alexandre Tharaud Avant-dernières pensées solos & duos 1 846
44. BOF Lol 1 795
45. Thomas Dutronc Comme un manouche sans guitare 1 786
46. BOF Slumdog millionaire 1 737
47. Rihanna Good girl gone bad 1 633
48. Akon Freedom 1 629
49. MGMT Oraculor Spectacular 1 628
50. Lady Gaga The fame 1 598
(…)
198. Isabelle Boulay Nos lendemains 299
199. Britney Spears Blackout 298
200. Jonas Brothers A little bit longer 295

Domenech ou comment s'en débarrasser?



L’écrivain Bernard Morlino tient un blog passionnant pour qui aime le football et la littérature. Tout lecteur quelque peu fureteur découvrant d’aventure sa plume acérée se laissera séduire par les envolées de l’auteur, son art de la comparaison, l’ardeur de ses indignations, l’innocence de ses émois, ses coups de pieds au cul (de Jean-Michel Larqué notamment), son incroyable mauvaise foi (à l’encontre de Michel Platini par exemple), ses allégories aussi lumineuses qu’une ouverture de Platini justement, aussi chevaleresques qu’une course de Maradona, aussi tranchantes qu’un dribble d’Éric Cantona, aussi diaboliques que le pied gauche de Puskas, aussi fulgurantes qu’une accélération de Yohan Cruijff. Rien d’étonnant à ce que les développements de Bernard Morlino soient pétris de références, de citations poétiques, de réflexions philosophiques, d’interrogations politiques puisque le football, affirme-t-il, c’est de la littérature en plein air.
On apprend, par exemple, entre un éloge à Di Stéfano et un plaidoyer pour le gallois Ryan Giggs, que Louis Nucera (qui n’était pas footballeur comme chacun sait, mais cycliste), à qui Morlino consacra un récit, “Louis Nucéra, achevé d’imprimer” (2001), lui avait confié, en parlant de Pierre Perret: "“Tu sais, Bernard, avec Georges [Brassens], on n’a jamais cru que Perret ait vu une seule fois Léautaud”". Et Louis de m’expliquer: Léautaud notait tout dans son journal, Perret n’y apparaît jamais.”" Car Morlino, qui aime la chanson – et Astor Piazzolla, approuve la démarche de la journaliste Sophie Delassein qui mettait à jour récemment dans le Nouvel Observateur la mythomanie du chanteur, soulignant le mérite de cette enquête tapageuse pour l’éthique d’une esthétique chansonnière.
Mais revenons au gazon cru des pelouses sportives. L’équipe de France a perdu avant-hier, 11 février 2009, un match de football contre l’Argentine. Les “muchachos” qu’elle affrontait semblaient galvanisés par leur nouvel entraîneur, Diego Armando Maradona (quel nom tout de même!), à qui, visiblement, comme l’a noté un jeune spectateur marseillais sur l’antenne d’Info Sport, “ils voulaient faire honneur”. Difficile en effet de vouloir être digne du sélectionneur tricolore, l’insipide Raymond Domenech, dont Morlino détaille à coups de paragraphes hilarants tout le bien qu’il pense. Mis à part Estelle Denis (mais l’amour a ses raisons…), Franck Ribéry et Jean-Pierre Escalette, qui peut donc encore se réjouir des bavardages de Raymond Domenech? Lui qui a décidé d’évincer David Trezeguet, le plus français des Argentins, quand Maradona en aurait probablement fait l’une de ses pièces maîtresses…
Mais revenons au plus christique des joueurs de football. Maradona, donc. Sur son blog, Morlino dit tout del Pibe de oro. La passion qu’il suscite encore quinze ans après sa retraite, lui, le seul sportif dont on pourrait se tatouer le portrait sans crainte du ridicule. Quel autre visage de footballeur (à part celui de George Best) pourrait-on ainsi arborer ? Celui de Philippe Fargeon. Je plaisante. Aucun. Pas même ceux de Pelé, d’Éric Cantona ou de Chris Waddle.
L’image de Maradona, sa légende, ses errances, ont quelque chose d’universel. Voilà pourquoi la variété s’en est emparé. Car ce nom revient dans plusieurs chansons. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent s’en vanter. Michel Platini (cf. “Comparer n’est pas raison” posté sur cette page en octobre 2007), Éric Cantona (cf. “Melancholy of Cantona”, juillet 2008) et Diego Armando Maradona.
Il a tes yeux, Maradona/ Et tes cheveux, Maradona/ Quand je le vois, Maradona/ Je sais déjà/ Qu’il sera un champion comme toi” (Maradona) psalmodiait Linda de Souza en 1986 dans une chanson sur l’amour d’une mère pour un gamin qui voulait tant ressembler au numéro 10 argentin. En 1994, alors que le football venait de sombrer dans le monde des affaires, la Mano Negra suppliait: “Berlusconi, Bez et Tapie ont bien compris/ L'heure est aux choux gras.../ Et aux bourreaux des tibias/ Santa Maradona, priez pour moi!” (Santa Maradona, 1994). Douze ans plus tard, le chanteur Riké admettait ne s’être toujours pas remis d’un chef-d’œuvre de Maradona : “ Un ballon qui roule/ […] Mes potes et moi sur un bout d’champ/[…] Je suis le Pibe de oro/ J’prends mon envol à Mexico” (Je vole). Cette chevauchée fantastique où, lors du Mundial Mexicain de 1986, el Diez (un autre de ses surnoms) traversa le terrain pour crucifier les Anglais n’a rien perdu de son pouvoir émotionnel. Un homme, seul, un prestidigitateur, qui mystifie une équipe médusée. Inoubliable. Nul doute qu’en 2020, on chantera encore les exploits de Maradona – quand le nom de Raymond Domenech sera effacé de toutes les mémoires. Pourquoi ? Parce que la vie de Dieguito (encore un surnom) tutoie l’épopée. “Si yo fuera Maradona/ Viviria como el” (La vida tombola, 2007) assure Manu Chao. Tout est dit. Une idole à laquelle on s’identifie. Un homme libre, avec ses contradictions. Un symbole romantique, aux airs de guérillero. Qui inspire le respect aux jeunes du monde entier.
Les surnoms (la Panthère noire pour Eusebio, le Divin chauve pour Di Stéfano, Alegria do povo – joie du peuple – pour Garrincha, le Hollandais volant pour Cruijff, le Kaiser pour Beckenbauer, Mighty mouse pour Keegan, el Matador pour Kempes, le Pelé blanc pour Zico, Platoche pour Platini – le Roi Michel en Italie, Éric the King pour Cantona, JPP pour Papin, Mister George pour Weah, le Maradona des Carpates pour Hagi, le Président pour Laurent Blanc, Zizou pour Zidane, Trezegol pour Trézéguet…) se gagnent à coups d’exploits qui vous valent parfois d’être fêté en chansons. Elles témoignent de la persistance des héros populaires dans l’inconscient collectif. Alors, quel surnom pour Domenech qui ne fasse point d’ombre au Duc Amédée du glorieux XV de France d’antan? Il faudrait interroger Bernard Morlino. À moins que Pierrot de Castelsarrasin n’embouche son mirliton…

Baptiste Vignol

Le blog de Bernard Morlino

Lettre ouverte à Jack Lang, par Vincent Baguian



(Il existe de bien jolies chansons sur l'Arménie. Vincent Baguian a écrit la plus belle, la plus émouvante et la plus universelle: Je suis une tombe. Figurant sur son album CE SOIR C'EST MOI QUI FAIS LA FILLE, il l'interprète en duo avec Diane Minassian.)

"Il suffit de taper « Jack Lang Arménie » sur le net pour voir la vidéo où ce bon Jack Lang met entre guillemets le Génocide Arménien. Bien sûr ça fait froid dans le dos. Mettre des guillemets sur un génocide, Arménien, Rwandais, Juif peu importe, c'est comme cracher sur des charniers avec de jolis mots. Vous êtes un profanateur en costume, Monsieur Lang. Vous reconnaissez les massacres, vous n'ignorez pas que des centaines de milliers d'arméniens, hommes, femmes et enfants (pas des guerriers, la population civile) ont été exterminés en raison de leur nationalité et de leur religion. Cela s'appelle un génocide, tout simplement. Il y a des mots qui ne supportent pas les guillemets. On ne peut pas dire : un barbare entre guillemets, un serial killer entre guillemets, un nazi entre guillemets. Votre rhétorique est trop parfaite pour que vous puissiez l'ignorer. Alors, quel est votre intérêt ? Vous avez été pour beaucoup dans la reconnaissance du génocide Arménien par l'Assemblée Nationale, et ce revirement soudain est étonnant. Mais vous êtes un fin politique, ce qui suppose que vous êtes honnête entre guillemets et droit entre guillemets. On peut imaginer qu'un intérêt supérieur à vos anciennes opinions sera passé par là. Il vous fallait à l'époque les voix des Arméniens, aujourd'hui il vous faut sans doute autre chose. Je ne veux pas savoir quoi, cela doit être écœurant. C'est votre intérêt seul qui gouverne et dicte vos paroles, voilà qui définit bien une crapule, sans guillemets."

Vincent Baguian

Pour écouter Je suis une tombe



Pierrot l'amertume



S’il fallait faire un palmarès de mes chanteurs préférés, je dirais qu’en France il y a cinq grands : Charles Trenet, Tino Rossi, Jacques Brel, Jean Ferrat et Guy Béart. J’insiste sur Guy Béart, car on l’oublie toujours” déclarait Georges Brassens dans VSD en décembre 1979. Pierre Perret ne figurait pas dans ce panthéon-là, celui de son maître à chanter. Il ne l’a pas avalé. Trente ans plus tard, dans “A cappella”, troisième tome de son autobiographie, l’auteur de Lily (une immense chanson, son immense chanson – quand Brassens en compte une trentaine de cette étoffe) réécrit l’histoire en salissant la mémoire du Sétois. À l’image d’un Michel Fugain crachant sur la jeune variété parce que ça l’insupporte de n’être jamais mentionné par ses pointures - quand les Dassin, Delpech ou Adamo recueillent encore bien des suffrages, Pierre Perret s’échine à mener un triste et piètre combat, pour une reconnaissance! Quoi de mieux, pense-t-il, que d’écorner l’image de Tonton Georges (qui pourtant l’hébergea impasse Florimont quand il était sous le sou) pour redorer la sienne, lui l’incompris, le plus mésestimé des chansonniers? Voilà quarante ans, démontre Sophie Delassein dans le Nouvel Observateur, que Pierre Perret s’invente des amitiés, avec Paul Léautaud notamment, chez qui, prétend-il, il aurait vécu quelques mois, alors que Marie Dormoy, exécutaire testamentaire et légataire universel de l’écrivain, a jugé bon de préciser en 1965 : “Depuis l’année 1933 jusqu’à celle de sa mort –1956-, j’ai été en relation presque continuelle avec Paul Léautaud. Jamais je n’ai rencontré Pierre Perret.
En novembre 1963, raconte Perret, la chanson Tord-Boyaux fait un tabac (après vérification, puisqu’il faut semble-t-il tout vérifier des dires de Pierre Perret, c’est en mars 65 que la chanson rencontre le succès, atteignant la 7ème place d’un hit parade dominé par La plus belle pour aller danser de Sylvie Vartan, Nathalie de Bécaud et À présent tu peux t’en aller de Richard Anthony*). Qu’en dit son ami Georges Brassens, dont Perret s’estime aussi digne qu’un fils? Rien. Pas même une félicitation. «C’est comme si je n’avais pas existé. Son ego s’est très mal accommodé de mon succès» assure-t-il aujourd’hui. L’ego de Perret, lui, s’accomode très mal du temps qui passe, et de la place que lui réservent désormais les médias. Blessé de voir Renaud, Le Forestier ou Duteil le devancer dans le peloton des possibles “héritiers” de Brassens, il cherche donc à réduire quelque peu le génie de Brassens en minimisant la capacité qu’aurait son œuvre à susciter de l’intérêt! Dans T’as pas la couleur (2006), ne chantait-il pas, et tout Perret est là: “Georges, mon grand frère [ce souci de la filiation]/ Si […] tu revenais sur terre/ Pour y faire le chanteur/ […] Tu n’donnerais plus souvent/ L’aubade à la radio […]/ Car par malheur, les trois-quarts des stations/ Cultivent l’indifférence pour la bonne chanson”? Façon d'affirmer: si je n’y passe pas, tu n’y passerais pas non plus! Rien n’est moins avéré…
Question: Pierre Perret s’est-il un jour dit que Brassens pouvait tout à fait ne rien penser de ses chansons, aussi simplement que cela? N’étant pas dépourvu de talent (Le café du canal ou Mon p’tit loup sont de fort jolies chansons), il lui faudrait admettre qu’il n’a jamais eu le brio de son aîné, ni même la poésie de ses contemporains Ferrat, Béart ou Moustaki. Ce qui ne l’empêche pas d’être un parolier attachant. Même si, comme le souligne encore Sophie Delassein, certains dans son public seront navrés d’apprendre que Blanche, cette “furie” dont “les cuisses fuyaient comme deux truites vives”, rappelle furieusement La femme adultère de Garcia Lorca, dont les “cuisses s’enfuyaient sous moi comme des truites effrayées”.
Pierre Perret a sans doute de bonnes lectures. Et une fâcheuse tendance à s’approprier le génie des autres.

Baptiste Vignol

*Aucun hit-parade ne mentionne Tord-boyaux avant février 64.