Éteindre Drucker


Drucker. 72 ans au compteur. Combien de temps faudra-t-il encore se le farder? Le voilà maintenant qui nous annonce: «Michel Delpech s'éteint doucement.» La charogne. Précisant : «Si je le dis, c'est à sa demande.» Et alors? Drucker est répugnant sous ses sourires faussement humains et cette mégalomanie qui l'oblige à toujours se mettre en perspective. Pas une interview sans qu'il évoque un souvenir qui le concerne, une anecdote qui le mette en valeur, une confession qu'il aurait recueillie. À l'écouter, il serait le confident des plus grands, celui dont ils voudraient tous tenir la main quand l'heure fatidique s'approche… Druckérisons un peu: en 1999, Michel Drucker avait prévu de consacrer un Vivement dimanche prochain à Charles Trenet qui allait fêter son quatre-vingt-cinquième anniversaire et Trenet avait voulu que Pascal Sevran y participe. Étant moi-même complètement dingue de Trenet, Sevran, dont j'étais l'un des programmateurs, m'avait donc gentiment demandé de l'accompagner sur ce tournage. Arrivés à l'heure au studio Gabriel, Pascal Sevran détestait être en retard, nous retrouvâmes Charles Trenet patientant dans un coin, en bas des escaliers, avec Georges, son fidèle secrétaire. «Si c'est comme ça je vais m'en aller» répétait-il, tandis que Drucker terminait l'enregistrement d'une autre émission, avec Alain Prost, ou Michel Leeb... Pascal avait alors attrapé Françoise Coquet par le bras: «Mais enfin, vous ne pouvez pas laisser Charles ainsi comme une bonne attendre dans un courant d'air!» À peine Sevran avait-il fini sa phrase que Trenet tournait les talons, annonçant: «Bon, je m'en vais… D'ailleurs je suis déjà parti!» alors qu'il remontait péniblement les marches qui mènent à l'avenue Gabriel où était garée sa Roll's Royce. Mis au fait du drame qui était en train de se jouer, Drucker interrompit un instant son tournage et, tentant de rattraper Trenet, criait «Charles!» en courant après la Roll's du Fou chantant qui lentement s'éloignait… C'est sans prendre de gants que Sevran lui précisa ce qu'il pensait de son sens de l'hospitalité. Devant achever l'épisode en cours, Drucker dit alors à Sevran, qui n'en espérait pas tant: «Écoute, comme il est parti et puisqu'il faut qu'on fasse un “Vivement Dimanche prochain”, tu es mon invité!» Sans attendre sa réponse, la star des variétés redescendait l'escalier au pas de course pour retrouver Prost ou Michel Leeb, je ne sais plus… Dix minutes plus tard, Sevran, qui ne se séparait jamais de ses «collaborateurs» ainsi qu'il nous présentait quand l'un de nous l'accompagnait, m'avait naturellement demandé de le suivre dans la loge de l'animateur où ils allaient, avec Françoise Coquet, concevoir à la va-vite sa propre émission. La loge était belle, sombre, confortable et Drucker fort aimable. En se déshabillant pour changer de chemise, Michel, torse nu et le ventre plat, interrogea Sevran: «Tu as re-signé pour l'année prochaine?» C'était le mois d'avril et Sevran était en pourparlers. «Non. Pas encore.» «Signe, Pascal, signe. Sois sûr que si tu ne le fais pas, un autre prendra ta place, et personne ne te regrettera. Regarde [Jacques] Martin!» Cinquante ans que le manège tourne avec Michel Drucker. Du balai! Sans parler du fait qu'il ringardise la chanson comme nul ne l'a jamais fait avant lui.

Baptiste Vignol