Cardinaux costumés contre canards sauvages

"Vocalises hystériques, petit rot, débit précipité, mimiques, pour faire genre, (...) douée, mais emmerdeuse. Tête à claques. (...) démonstration d'autosatisfaction vocale crispante. (...) bravache, et tellement dépassée par son entreprise ! Cantonnée à ses considérations sur la météo marine, ses onomatopées, ses galipettes verbales (« Oh mon thé! Mon thé ! Monté aux cieux »)."
Mais qui diantre provoque ainsi l'ire de Véronique Mortaigne, l'indéboulonnable critique musicale du quotidien Le Monde dans son article du 12 avril 2008?
Pourtant, la jeune chanteuse Camille - car c'est bien d'elle qu'il s'agit - avait déchaîné l'enthousiasme de l'ensemble des médias de l'hexagone lorsque parut Le Fil, deuxième album d'une artiste prodige. D'ailleurs, Véronique Mortaigne n'écrivait-elle pas en février 2005, à l'instar de ses confrères et consœurs : "Camille est d'une singularité qui rappelle le duo Higelin-Fontaine, période Comme à la radio, moins la fibre politique. Puisque Camille est une amoureuse, énergique, inventive, gamine et folâtre…" Précisons que depuis, la chanteuse a obtenu un disque de platine pour 400.000 exemplaires vendus de cet album-référence, un Prix Constantin et deux Victoires de la Musique. Forcément, ça énerve. Et selon le fameux adage, les critiques brûlent ce qu'ils ont adoré. "À tant vouloir inventer, Camille en oublie souvent l'essentiel : la mélodie, simple et directe, qui porte l'émotion. (...) dissimulée derrière la performance" écrit Valérie Lehoux dans le Télérama du 12 avril 2008.
Est-ce l'effondrement du marché du disque qui panique ces plumes respectables? Est-ce la crise que traverse la presse qui obstrue leurs oreilles aguerries? L'arrivée tardive du printemps? À moins que ce ne soit l'abus d'écoutes intensives sur les myspace du monde…
Camille aura livré en trois ans, à la chanson de France, pas moins de deux chefs-d'œuvre avec Le Fil et Music Hole, réitérant coup sur coup le miracle Gainsbourien de L'histoire de Melody Nelson et de L'homme à tête de chou. Dans vingt ans, lorsque nous ne saurons plus rien du nom des journalistes musicaux d'aujourd'hui, d'autres étudieront la création musicale des années 2000 et seront fascinés par l'incroyable créativité de Camille. Ils poufferont probablement de lire ici où là les archives de l'époque qui l’égratignent et encensent, à quelques jours d'intervalles, le nouvel album de Francis Cabrel dont on ne peut pas passer sous silence ces quelques dithyrambes : "Multi-intrumentiste, Michel Françoise a réalisé Des roses et des orties avec Cabrel, en respectant les arcanes du genre, guitares, batterie. C'est une manière classique de faire passer ses idées. Celles du chanteur aux yeux bleus ont pris du mordant. La misère des migrants (Les Cardinaux en costume, refrain en espagnol, sur le ton de La corrida), la description d'une humanité hésitante, masse d'individus de bonne volonté confrontés à un monde dirigé par des stratèges (Le Chêne-liège, Des hommes pareils, Des roses et des orties), la folie (Le Cygne blanc) : comment s'insérer, comment appartenir à l'humanité politique quand on est chanteur de charme ?" (V. Mortaigne, Le Monde du 4 avril 2008)
"Ce onzième opus a été écrit et enregistré dans une grange aux poutres centenaires, qui servait autrefois à stocker des céréales séchées. Les arrangements acoustiques ont rarement été aussi épurés. Tout semble pesé au gramme près. Les textes ont la même finesse. Pas un mot de trop. Les roses pour les sentiments et la fraternité, les orties pour les critiques sociales. Un peu comme il l'avait fait sur Saïd et Mohamed, le petit-fils d'immigrés italiens dénonce le racisme ordinaire puis l'immigration choisie dans les blues rocks Des hommes pareils et African Tour. Il épingle les comportements trop clinquants à son goût de certains politiques sur Les cardinaux en costume. Après s'être Assis sur le rebord du monde il y a quelques années, il s'adosse contre Le chêne liège pour méditer sur les religions. Il parle d'une femme en perdition (Le cygne blanc) avant de célébrer l'adoption (Mademoiselle l'aventure)." (Le Nouvel Obs du 3 avril 2008)
"À sa table, devant un cerisier, il a joué de la guitare, décortiqué la presse, puis écrit comme il le faisait quand il habitait à la Défense, période Répondez-moi. Par respect pour son père, ouvrier d’origine italienne, il a travaillé à l’heure où les musiciens se couchent (7 h 30-11 h 30), puis enregistré sous l’œil de Michel Françoise (...) Avec La Robe et l’Échelle, il démarre sur une ode aux premiers émois. Et se termine ainsi en douceur, après s’être insurgé contre la précarité, le chômage et «tout ce qui porte, en gros, un costume»" (L. Perrin, Libération du 31 mars 2008).
Avec tout le respect que l'on doit à Francis Cabrel, les engouements unanimes qui saluent son nouvel opus paraissent exagérés. Que salue-t-on des chansons ou du personnage? Tout comme Camille se voit probablement sanctionnée par sa forte personnalité, Cabrel est porté aux nues en raison de sa simplicité. Mais doit-on attendre d'un artiste qu'il ressemble à Mr tout le monde? Attend-on d'un auteur qu'il nous ponde des poncifs sur les sans-papiers, les sans-abri, les sans-enfants? Que dirait-on si ces mêmes chansons avaient été écrites par Francis Lalanne ou Michel Sardou?
Il est certes difficile d'écouter un disque sans prendre en compte ce que l'on sait de l'artiste qui l’a composé. Tout comme il est risqué de s'opposer aux goûts du public (120 000 albums de Cabrel vendus en une semaine contre 17 000 Music Hole). Les journalistes étant logiquement à l'abri de ces présomptions, gageons que l'étourderie leur fera d'ici peu préférer les Canards Sauvages de Camille aux Cardinaux en Costume de Cabrel...

Laurent Balandras

Faut-il en avoir honte?






















Quand Margot dégrafait son corsage/ Pour donner la gougoutte à son chat…” (Brave Margot, 1953) chantonnait jadis Georges Brassens.
Son génie se manifestait dans l’art de faire sourire et d’émouvoir avec une stupéfiante économie de moyens. La construction de ses chansons, tricotage étonnant de tournures désuètes et d’intrigues insolites, faisait illico son effet : “Et Margot, qu’était simple et très sage,/ Présumait qu’c’était pour voir son chat/ Qu’tous les gars, tous les gars du village/ Étaient là, la la la la la…”
Petits, gros, en poire ou en pomme, compacts, élastiques, lourds, fermes ou remontés, les seins sont l’obsession des fantasmes de l’homme. La langue des dictionnaires, du Larousse au Robert, dispose d’autant d’images pour les dénommer (mamelles, doudounes, obus, roberts, nichons, nénés, nibards, pare-chocs, flotteurs, roploplos…) qu’il existe de modèles déposés. C’est à chacun sa préférence ! À chacune sa consistance. Et ses regrets : “Les autres filles ont de beaux nichons/ Et moi, moi je reste aussi plate qu’un garçon/ Que c’est con!” (Di dou dah, Jane Birkin, 1973).
Quoi de plus sensuel que la courbe d’un sein ? “La pointe de ton sein/ A tracé tendrement/ La ligne de ma chance/ Dans le creux de ma main” (Sanguine, joli fruit, 1953) s'enthousiasmait Yves Montand dans un chef-d’œuvre de Jacques Prévert. Tous les artistes de talent, les amoureux du beau, les assoiffés d’azur, peintres, poètes, sculpteurs, photographes, écrivains et chanteurs, se sont passionnément recueillis sur le pouvoir érotique des seins. Quoi de plus troublant, en effet, que le dessin d’une aréole ? Quoi de plus érotique qu’un mamelon qui se dresse, mûr, dans une eau trop fraîche ? Et Nougaro d’écrire : “Ce poème maladroit, suspect mais succinct/ Je l’enfante comme si j’en étais enceint/ Depuis Nice où tes seins/ Giclaient dans l’or du bassin” (À tes seins, 1967).
Depuis l’apparition tropézienne du monokini en 1964, les estivantes libérées trempent leurs lolos avec insouciance. Combien de poilus sur les plages, allongés sur le ventre – des fois que… -, passent leurs vacances à reluquer, derrière des lunettes noires, les seins des voisines alentour étendues sur le dos dans un bain de soleil ? À n’en avoir jamais assez… “Faut des ballons/ Des cerceaux/ Et les seins de/ Sophie Marceau” (Assez… assez) s’enflammait même Julien Clerc en 1997. Parce que Sophie s’offusqua de l’hommage bienvenu (écrit par David McNeil), Alain Souchon en remit une louche, glorifiant à son tour la symétrie mammaire de l’actrice chérie des Français : “Sans les seins de Sophie Marceau/ Qu’est-ce qu’on fait ?” (Au ras des pâquerettes, 1999).
Ces chansons furent en fait de prémonitoires mélopées puisque Sophie Marceau se retrouva, six ans plus tard, en pleine montée des marches au festival de Cannes, un sein à l’air après qu’une bretelle de sa robe eût lâché ! L’image, séduisante, illustra l’ensemble des gazettes. Et Marianne notait dans son numéro du 21 mai 2005 : “Ce sein soudainement dévoilé nous a permis de vérifier (à notre grand soulagement) que la France reste la France. Rassurant quand on pense au tollé qu’avait soulevé, outre-Atlantique, le téton exhibé par Janet Jackson. Rien que pour cela, merci, Sophie.”
Symboles de l’amour maternel, de la douceur veloutée, du plaisir de sentir, de voir et de toucher, les seins n’évoquent jamais la brutalité. Féminin, insolent, espiègle ou triomphant, le sein est l’emblème du beau sexe, et l’objet de mille publicités. Recouvert, il intrigue, dénudé, il enflamme. D’ailleurs, c’est en reprenant une formule d’André Malraux dans “Les Conquérants” (1929) qu’Alain Souchon concluait: “La vie ne vaut rien/ Mais moi quand je tiens, tiens/ […] Les deux jolis petits seins de mon amie/ Là je dis rien, rien, rien/ Rien ne vaut la vie” (La vie ne vaut rien, 2001).
L’Express du 10 avril 2008 nous apprend qu’en Suède, des femmes militent pour avoir le droit de laisser leur haut aux vestiaires et nager seins nus dans les piscines publiques. Lancé par deux étudiantes suédoises en novembre 2007, le mouvement s’appelle Bara Bröst (Juste les seins) et entend interpeller l’opinion sur la “sexualisation” de la femme dans la société et ses règles établies qui “discriminent le corps” féminin. Pour parvenir à leur but et pouvoir sans honte se baigner comme le font les hommes, autrement dit torse nu, ces féministes organisent des happenings dans les piscines du pays: par petits groupes, des femmes sortent des vestiaires poitrine dénudée et se précipitent à l’eau sous le regard étonné des autres baigneurs. Né dans la petite cité d’Uppsala, le mouvement fait des vagues et vient d’atteindre le Danemark. Ainsi la ville de Copenhague a-t-elle décidé, le 27 mars dernier, que ses piscines municipales seraient désormais ouvertes aux seins nus. “Les hommes devront s’y faire, comme à la plage: il en va de l’égalité entre les sexes” explique Frank Hedegaard, conseiller municipal de gauche, à l’origine du vote.
En définitive, et par les temps qui courent, ne serait-ce pas là une raison supplémentaire d’émigrer vers le nord pour aller “vivre", comme le suggèrent les Fatals Picards, "dans une super social-/ Démocratie à la suédoise” (Non, rien ne pourra, 2005) ?

Baptiste Vignol