Le chapeau de Mireille


Insatiable Baptistou, j’ai souvent conté les circonstances touchantes qui m’ont valu d’être l’unique interprète du Chapeau de Mireille. Les re-re-voili… Comme à chacune de ses rentrées, Georges testait avec ses copains ses nouvelles chansons en vue de Bobino. J’étais dans une période de problèmes sentimentaux qu’il connaissait bien sûr; il me chante Le Chapeau – je la trouve très réussie – et lui demande “Rejoue-la moi”. Il la rejoue.
- Elle te plaît?
- (Sans même me douter de ce qui allait se passer) J’en ferais bien mes beaux dimanches !
- Alors je te la donne…
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, Brassens n’était pas du genre à faire de grandes démonstrations publiques ou privées, envers ses amis. Mais il s’arrangeait toujours pour le leur montrer à l’occasion, et là, “l’occasion” était un sacré cadeau (je n’ai pas dit “un cadeau sacré”, mais mieux que ça…).
Quelques mois plus tard, je la chante chez les Carpentier.
Maritie: Dites-donc, Marcel, ce n’est pas un petit laissé-pour-compte qu’il vous a donné là, votre ami Georges?
- En effet, j’en suis encore tout retourné.
Georges (dans sa moustache): Bof! Il la chante bien mieux que je n’aurais su…
Ces mots devant quelques millions de télespectateurs. No comment.

Marcel Amont

Georges Brassens accompagne Marcel Amont sur Le chapeau de Mireille

Le regard de Vincent



En quête d’idée neuve, à sec de thématique, ce blog sommeillait depuis presque un mois… Mais voilà qu’un ami, Vincent Pierre, qui en fut à l’origine, me force à me pencher sur un thème inchantable : le cancer. Car Vincent est parti, fauché par la sale bête, alors qu’il s’apprêtait, semble-t-il, à la juguler. Il n’avait que 47 ans. Peu de chansons ont su transcender cette question. Vieillir de Jacques Brel (“Mourir face au cancer par arrêt de l’arbitre”, 1977), Marcia Baïla (1984) des Rita Mitsouko, Un autre monde (1984) de Téléphone, Faut faire avec (1999) de Bécaud… La chanson n’est plus faite pour qu’on s’apitoie ; il est passé le temps de Berthe Sylva. Mais des dizaines de refrains ont pleuré la perte d’un ami. Une chanson de Jean Ferrat pourrait avoir été dédiée à Vincent. “Tu aurais pu vivre encore un peu/ Pour notre bonheur, pour notre lumière/ Avec ton sourire, avec tes yeux clairs/ Ton esprit ouvert, ton air généreux…” (Tu aurais pu vivre, 1991). Car Vincent faisait partie de ces amis précieux dont la compagnie nous élève.
Chez lui, dans la grande maison blanche du chemin des Champacs, nous refaisions le monde, la politique et nos vies, nous refaisions la chanson aussi (il aimait Léonard Cohen, George Harrison, Tété, Jeanne Cherhal, Barbara…), l’écoutant nous chanter les siennes - car il en écrivait!, et nous nous obstinions à nous amuser! Trouver le bon sujet, celui qui nous ferait rire. C’était salutaire de rire avec Vincent. C’était bon pour l’esprit. Et bon pour la santé… “Santé!”, comme il s’évertuait à lancer, son verre à la main, quand nous trinquions aux jours meilleurs… Ensuite, la table dressée, il nous prévenait immanquablement: “Goûtez-moi ça, vous allez m’en dire des nouvelles. Je le réussis toujours magnifiquement…” Sa vivacité, son esprit, son humour rendaient ces soirées essentielles, sa verveine délicieuse et nos fous rires “inextinguibles” comme nous aimions les qualifier. Apte à cultiver notre mélancolie. À lui reprocher de s’être fait la belle. “Tu aurais pu vivre encore un peu/ Mon fidèle ami, mon copain, mon frère/ Avant de partir tout seul en croisière/ Et de nous laisser comme chiens galeux…” (Tu aurais pu vivre, Jean Ferrat)
Intelligent, Généreux, Cultivé (mais très cultivé!... Vincent nous épatait par ses références quasi-encyclopédiques), Drôle (mais alors infiniment drôle), Amoureux, Attentif et Fidèle sont des qualités que l’on retrouve rarement chez une même personne… Non seulement Vincent les cumulait, mais en plus il les portait haut! Et puis, comme si cela ne suffisait pas, il était doté d’un COURAGE devant lequel nous nous sommes tous inclinés. Jamais une plainte, aucun abattement… Un type exemplaire! Dont Joseph et Rosalie, ses enfants, pourront toujours être fiers.
Et puis “Le Doc” comme on l’appelait – Vincent Pierre supervisait la cellule inter-régionale d’épidémiologie Réunion-Mayotte dans l’océan Indien - avait le goût des surprises. Nous avions prévu il y a quelques mois de partir en familles à l’île Rodrigues pour une semaine de vacances. N’était-ce pas la bonne destination pour le voir enfin effectuer quelques figures de Kite surf, ce sport de glisse auquel il venait de se mettre avec son bel enthousiasme? Hélas, par la force des choses, le projet n'est plus de mise. Pourtant, heureux de ses récents résultats médicaux, il avait décidé, sur un court de tennis, le 27 septembre dernier, entre deux séances de chimio, qu'on y aille début 2009. “N’en parlons pas à Anne, ni à Elsa, on leur annoncera pour Noël quand nous aurons tout organisé.” C’était notre dernier secret. Et là, Vincent, tu m’obliges à le révéler… Salut l'ami! On n’en a pas fini de parler de toi. Cependant, vois-tu, je vais finir par t’en vouloir d’avoir Ferrat dans la tête. Car… “on aurait pu rire encore un peu/ Avec les amis des soirées entières/[…] Et dans la beauté des choses éphémères/ Caresser nos femmes et lever nos verres/ Sans s’apercevoir qu’on était heureux.
La chanson, parfois, dit si bien les choses.

Baptiste Vignol

Tu aurais pu vivre par Jean Ferrat