Soudain Liz Taylor


Des dizaines de chansons inspirées par Marilyn et Bardot, égéries du siècle dernier. Mille fois moins de refrains sur Ava Gardner, dont le surnom était pourtant "le plus bel animal du monde". Mais Alain Souchon lui dédia un titre indémodable, La beauté d'Ava Gardner : "J'aime les regretteurs d'hier/ Qui trouvent que tout c'qu'on gagne, on l'perd,/ Qui voudraient changer le sens des rivières,/ Retrouver les chose premières,/ La beauté d'Ava Gardner..."
Quid d'Elizabeth Taylor? Un solitaire, enregistré par le parolier Jacques Duvall sur son indispensable et racé JE DÉÇOIS (1990). "Les paroles des chansons sont tout à fait secondaires, explique Duvall, c'est la musique qui est importante. C'est bien pour ça que j'ai choisi ce job. Comme mon travail est sans conséquence, qu'on me laisse l'exercer comme je l'entends." La musique était signée Jay Alanski, et les paroles d'Elizabeth Taylor racontaient:

Elizabeth Taylor
Retire lentement

Son peignoir lamé or

Ses bas et ses diamants

En sifflant du Gershwin

Et du Jack Daniels

Elle dénude sa poitrine

La plus belle c'est bien elle

Sa jambe dans la piscine

Plongée jusqu'au mollet
D'un geste las dessine
Des cercles dans le lait
...

La suite sur ce CD qu'il faut absolument posséder.


La mort des Actrices sur lesquelles nous avons fantasmé présente parfois l'avantage de nous replonger dans des hommages qui, par ricochet, nous poussent vers des plages légèrement oubliées. À (ré)écouter entre autres perles sur JE DÉÇOIS, Je t'interdis de vieillir: "Aïe! Tu vas m'rendre dingue, tu sais/ À force d'être aussi belle/ Mais continue tant qu't'y es."
Comment peut-on, en ayant été si bouleversante, à l'âge de 26 ans par exemple, dans La chatte sur un toit brûlant (1958), inoubliable dans Soudain l'été dernier (1959), basculer en moins d'une décennie dans la vulgarité et passer la deuxième moitié de sa vie à n'être que de la chair à tabloïds?

Baptiste Vignol

Jeanne Cherhal met dans le mille

Le 26 février 2011 à La Maroquinerie, Jeanne Cherhal mettait un point final au "Charade tour". Avant d'aller s'isoler dans son aquarium pour écrire de nouvelles chansons, elle dégaine ici quelques réponses à des questions naïves qui ne l'ont pas fâchée, et elle vise juste!


Un an tout juste après la sortie de CHARADE (mars 2010), vous achevez une tournée qui vous aura menés dans 80 villes françaises, mais également au Brésil, au Québec, en Suisse, en Belgique, à La Réunion. Un souvenir marquant?


Jeanne Cherhal - Le souvenir vivace qui me vient en premier lieu, c'est le tourbus! Cela peut sembler étrange parce que ce n'est pas lié directement à la musique, mais je ne connaissais pas ce mode de vie et je l'ai vraiment adoré. J'ai eu la chance de partir avec une équipe en tous points fabuleuse, nous étions dix sur la route, et nous étions très liés. Le fait de voyager (et donc dormir) en tourbus implique une bonne entente et une proximité indiscutable entre les membres d'une même équipe, tout le monde n'aime pas ça.



Avec La Secte Humaine, les quatre musiciens qui m'ont accompagnée durant toute cette tournée, et l'équipe technique que j'ai choisie, j'ai vécu une année vraiment forte au niveau émotionnel et musical, nous avons ri mais ri, partagé un quotidien pas forcément toujours très confortable, joué parfois dans des salles plus ou moins accueillantes, nous étions évidemment assez crevés (la fatigue est un des éléments indissociable d'une tournée, ça va de soi!) et pourtant jamais il n'y a eu la moindre tension entre nous, mais plutôt beaucoup de bienveillance et de respect de chacun.


(Éric Pifeteau, Stéphane Louvain, Jeanne Cherhal, Philippe Eveno, Gaëtan Chataigner)


En plus je crois que j'ai beaucoup appris musicalement et au-delà. J'ai pris beaucoup de plaisir à faire chanter La Secte Humaine en leur proposant des chœurs très écrits, à lâcher mon piano, à occuper l'espace, à imaginer une scénographie et un décor avec Damien Vincent, exceptionnel créateur lumière, à pratiquer quotidiennement (seule d'abord puis avec quasiment toute l'équipe au fil du temps!) un peu de sport pour me préparer au show du soir, beaucoup plus physique qu'auparavant, à me ménager des temps de récupération, etc. Cette tournée a été très différente de mes autres tournées, c'est celle qui me laisse le plus sur les genoux mais quel bonheur...

Depuis nos premiers concerts jusqu'aux derniers nous avons tenu une esthétique, un choix que j'avais fait instinctivement d'être entourée d'un groupe constitué et d'un son plus rock que précédemment, et je suis vraiment contente d'avoir fait ce choix, puisque le public s'est montré de plus en plus réceptif au fil de l'année. On se disait avant chaque concert: "On lâche rien!", ce qui signifiait pour nous que même si on sentait le public perplexe au début, dans une salle assise genre centre culturel pleine d'« abonnés », par exemple, ce n'était pas pour autant qu'il fallait adapter le concert, jouer moins fort ou moins longtemps. Et je crois, je sais, que nous avons bien fait, parce que ça s'est toujours bien terminé!

Les premières dates de concert que nous avons faites ensemble avec les gars ont été cette petite tournée de trois semaines au Brésil, et je dois dire que le fait de se retrouver si loin de chez nous dans un pays aussi incroyable nous a tout de suite soudés. Je me souviens de notre passage à Brasilia en particulier, cette capitale de cinquante ans terriblement lunaire! Nous étions assez abasourdis par ce que nous voyions.

Je garde aussi dans un coin de ma tête les dates que nous avons faites dans le Nord de la France et en Belgique. Bruxelles, Liège, Armentières, Roubaix, chaque fois que nous sommes allés jouer là-haut, c'était hyper chaleureux! À Liège en particulier, au festival Les Ardentes, où il devait en plus faire 40°! Je me souviens également de moments forts de la tournée lorsqu'il m'est arrivé de chanter en duo, et de façon parfois très spontanée, avec Diam's à Saint-Étienne, Boogers à Alençon, Alain Souchon aux Francofolies de La Rochelle, Smod à La Réunion, Benjamin Biolay au Bataclan.

Enfin parmi les trois concerts que nous avons faits à Paris, je retiendrai en particulier le dernier, à la Maroquinerie, qui est le lieu où je termine mes tournées, et une de mes salles préférées! Beaucoup de chaleur du public, de proximité, et un concert tendu d'émotion et de déconne entre nous précisément parce que nous savions que c'était le dernier!...



C’est au Brésil que vous avez tourné les premiers clips de CHARADE


- En effet. Gaëtan Chataigner, qui était musicien donc sur cette tournée, a passé énormément de temps à tourner des images, à inventer des situations. Au Brésil c'était assez fabuleux, puisque les paysages dans lesquels nous évoluions étaient d'incroyables décors! C'est d'ailleurs à partir de ces images que j'ai voulu monter un EPK (Electronic Press Kit, petit film promotionnel envoyé à la presse). Habituellement, un EPK retrace l'histoire d'un album avec des images de studio, et je trouvais ça terriblement ennuyeux et rébarbatif d'envoyer à la presse des images de moi toute seule dans un studio sombre! Nous avons donc réellement scénarisé un petit road movie pour tenir lieu d'EPK, et nous en avons même extrait un clip, très simple mais dont on m'a beaucoup parlé aussi, sur la chanson Mon corps est une cage. Je regrette qu'aussi peu de gens aient pu voir Postais do Brasil, ce road movie musical qui dure un petit quart d'heure. Je me suis sans doute plantée en ne surveillant pas d'assez prêt sa mise en ligne sur internet, qui a été proche du néant. C'est vraiment dommage...


(Gaëtan Chataigner)


Pendant la tournée française, j'ai proposé à Gaëtan de récidiver, afin d'immortaliser les moments que nous vivions tous ensemble. Nous avons donc tourné beaucoup d'images, et aussi pas mal de live, le point culminant étant notre dernier concert de la tournée, qui a eu droit à une vraie captation en bonne et due forme. Ma maison de disques, Barclay, ne souhaitant pas sortir un DVD de cette tournée pour des raisons évidentes de priorités que je ne conteste absolument pas, j'ai décidé de le sortir moi-même. Il ne s'est pas passé un concert je pense, où une petite poignée de personnes ne m'ait demandé « Mais vous allez faire un dvd de ce spectacle? » Même si j'en vends 1000 je veux absolument qu'il existe!



Une tournée du tonnerre, donc, mais un disque qui, bien que franchement salué par la critique, des Inrockuptibles au Nouvel Observateur en passant par Télérama ou Magic, n'a pas trouvé son public. À l'image de la moitié des disques qui paraissent désormais... Pensons aux échecs commerciaux des "derniers" Katerine, Daho, Anaïs, etc. La crise du disque a-t-elle changé quelque chose dans votre quotidien? Nourrit-elle des angoisses?


- Il est évident que pour la plupart d'entre nous, le métier a changé. Pour ma part, très concrètement, j'avais choisi depuis quelques années de renoncer à mon statut d'intermittente, estimant à juste titre qu'avec les redevances de mes albums qui marchaient, mes droits d'auteur et mes cachets, toucher en plus des allocations chômage était superflu et finalement plutôt malhonnête au regard de ce que je gagnais... Récemment j'ai du revoir mes principes à la baisse, principes que j'étais pourtant assez fière de tenir! Mon dernier album s'est vendu environ dix fois moins que mon premier, et à cette vitesse il est clair que je ne peux plus mégoter en me privant du statut d'intermittent, qui est une spécificité française tellement précieuse qu'évidemment elle est très menacée... En attendant, je suis à nouveau intermittente du spectacle, enfin dans les termes plus que dans les faits, puisque comme la plupart des intermittents, je me sens musicienne à temps plein bien sûr!...

En ce qui concerne la situation actuelle des ventes de disques, j'aurais du mal à fournir une analyse précise mais disons que dans un contexte où un album coûte entre 15 et 20 €, je ne peux que comprendre les gens qui, ayant à leur disposition les moyens de contourner la phase "achat physique" voire "achat tout court", ne s'encombrent pas de CD... Contrairement à un livre pour un lecteur je pense, le fait de posséder un disque n'est plus une nécessité pour un auditeur. Et puis il est évident qu'un petit boîtier plastique avec un micro livret de 16 pages de papier glacé n'a pas la majesté d'un 33 tours. Je ne suis pas du tout passéiste, mais j'ai l'impression que l'objet CD manque de charme et d'élégance pour qu'on ait vraiment envie de lui...

Par ailleurs, on se rend compte en consultant un peu les ventes de disques que le public ordinaire, celui qui achète une dizaine de disques par an, qui n'est pas spécialement mélomane, va se concentrer, et c'est tout à fait compréhensible, sur les succès de l'année ou les valeurs sûres, au détriment de découvertes beaucoup moins exposées. C'est une attitude tout à fait normale je pense quand on aime une discipline sans être un aficionado.

Je vais prendre un exemple qui n'a rien à voir et qui n'inclut pas de commerce : moi même, j'adore la natation, mais hormis Laure Manaudou, Coralie Balmy, Camille Lacourt et Alain Bernard, je suis incapable de citer d'autres nageurs français, parce que je ne m'y intéresse pas suffisamment et que je ne connais donc que les plus médiatisés, c'est-à-dire les meilleurs... Bon en fait mon raisonnement s'écroule ici, car il faudrait démontrer que les artistes qui vendent le plus sont les meilleurs... Et si c'était vrai, on le saurait. Mais je pense que je me fais comprendre. Bref, je dirais que la crise du disque a forcément changé la donne. Elle est angoissante mais doit aussi pousser les artistes à inventer de nouvelles formes, à se prendre en main, à compter sur eux-mêmes, à multiplier les collaborations et les expériences, à proposer au public des choses nouvelles afin qu'il ait toujours envie, à défaut d'acheter des disques, de se déplacer pour voir les artistes en vrai, puisque ce ne sont évidemment pas les maisons de disque, souvent empêtrées dans des problématiques internes, qui vont remédier à cette crise.


Est-ce que cela a encore du sens pour un label d’envoyer des artistes en studio, de payer des musiciens, un ingénieur du son, d’enregistrer en stéréo quand le grand public et l’immense majorité des adolescents écoutent de la musique en mono, et sur mp3 ?


- Je n'en sais rien... J'aurais tendance à dire oui, quand même, parce qu'il reste malgré tout des esthètes qui répugnent à écouter leur musique en mp3, mais quel pourcentage parmi les auditeurs?... Il n'en reste pas moins que le studio est réellement un lieu de création, de recherche, d'essais, et pas uniquement d'exécution.


(Philippe Eveno, Eric Pifeteau, Benoit Bloch, Stéphane Louvain, Damien Vincent, Enzo Pallazio, Doumé Maillard)


Avec CHARADE qui s'est vendu trois fois moins que le précédent [L’EAU], vous êtes passé d'une famille très chanson, plutôt pépère, dont vous étiez l'une des figures, estampillée Fersen ou Delerm, à une tribu plus rock et expérimentale. Pensiez-vous que cette évolution serait aussi compliquée à imposer au grand public.


- À vrai dire je ne me suis pas tellement posé la question parce que j'ai fait les choses telles que je les entendais au moment où je les ai faites. J'ai commencé à m'en inquiéter au moment des premiers concerts, autant dire quand c'était trop tard! Et encore, "inquiéter" est un bien grand mot, puisque j'étais curieuse plus qu'inquiète de voir comment allaient se dérouler les concerts avec cette nouvelle formule. Une partie du public qui me suivait jusque là a aimé ma démarche, une autre non, je pense que c'est sain. L'unanimité, dans l'art, c'est de toute façon un peu louche, non ? et pas très souhaitable. Le principal étant que je me sens en phase avec moi-même. Avec du recul, je peux tracer dans ma tête une sorte de ligne directrice assez logique à mes yeux entre mes quatre disques. Je veux dire que je n'ai pas le sentiment de m'être trahie, tout en ayant toujours travaillé avec une grande liberté ! Quel luxe quand j’y pense ! C'est déjà beaucoup.

Je sais très bien que certaines personnes n'aiment pas tel ou tel de mes disques parce qu'ils sont tout de même assez différents les uns des autres, mais je trouve ça positif. De toute façon je me connais assez pour savoir qu'il m'est impossible de me satisfaire d'un ronron, où que ce soit, donc en premier lieu dans ma musique! Je cherche, je me plante parfois, je recommence, j'essaie, et c'est tout ça qui me fait avancer! Je suis assez attirée par le nouveau, par une certaine forme de mise en danger dans mon travail. C'est ça qui m'excite et me donne envie de continuer.

Je pense à l'instant à une phrase de Michel Houellebecq dans La Carte et le Territoire. Comme je peux le faire puisque je suis chez moi, je vais chercher le bouquin... "En littérature et en musique, si tu fais toujours la même chose on t'accuse de te répéter et d'être sur le déclin, mais si tu changes on t'accuse d'être un touche-à-tout incohérent". J'ai rarement lu définition plus juste de la condition d'artiste!



Avant CHARADE, sur l'album LA SUPERBE de Benjamin Biolay, est sorti un duo époustouflant qui n'a pas eu la carrière single ni le clip qu'il méritait.


- Je suis d'accord, Brandt Rhapsodie méritait mieux. C'est une chanson dont on m'a systématiquement parlé dans toutes les interviews, bien qu'elle ne figure pas sur mon album (seulement en bonus digital)... Je suis étonnée et déçue que Benjamin Biolay et son entourage n'aient pas eu envie de l'exploiter plus, c'était évidemment mon souhait et aussi le leur au départ. Un clip chorégraphié, très scénarisé aurait pu l'illustrer à merveille, je crois. Benjamin en avait même parlé à Michel Gondry, m’a-t-il dit…

Je suis très attachée à cette chanson. Elle symbolise pour moi un moment de symbiose parfaite entre les deux chanteurs que nous sommes. Nous l'avons écrite et enregistrée d'un seul jet en une nuit; je peux dire sans prétention que c'est la meilleure de la douzaine de chansons que nous avons écrites et composées ensemble fin 2008. Nous avons vécu quelque chose d'assez fort dans ces moments de création et avions pour projet de faire un album ensemble. Le studio avait même été réservé à Madrid par ma maison de disques, des réunions avaient eu lieu, puis tout s’est écroulé comme un château de cartes. C'est l'énergie que j'ai puisé dans la déception de ne pas mener ce projet à bien qui m'a donné l'envie de faire CHARADE toute seule, en commençant les séances à Madrid !


Avez-vous regardé les dernières Victoires de la Musique?


- Pas entièrement. Je n'ai pas pu voir la première cérémonie dédiée aux révélations parce que j'étais en tournée, et pour la deuxième j'ai regardé le tout début car mon bassiste-clippeur préféré Gaëtan Chataigner était nominé pour le clip La Banane de Katerine. D'ailleurs il a décroché la timbale, je suis vraiment contente pour lui! Son audace et son sens du décalage sont récompensés, tant mieux ! Par ailleurs je suis plutôt d'accord avec le palmarès, Yaël Naïm et Gaëtan Roussel sont bourrés de talent et là aussi, on récompense de vraies personnalités, ça fait plaisir. Mais je n'ai pas regardé la cérémonie, je n'avais pas très envie. C'est un peu chiant en général, et je ne me sentais pas très concernée, forcément…


Quels sont vos coups de cœur artistiques en chanson française et internationale ces derniers mois?


- J'ai beaucoup écouté le nouvel album de Daphné, BLEU VENISE, qui comporte de vraies perles. Je viens de découvrir la chanteuse L, qui écrit des chansons très intenses et pas surannées malgré leur forme classique. Mille jeunes femmes écrivent à l'ancienne et ça m'horripile un peu en général, mais L possède un truc en plus, qui dérange et inquiète. Elle est très douée. Je suis une inconditionnelle de Keren Ann, je viens de recevoir son disque, je m'y plonge peu à peu. J'ai pas mal écouté l'album de Julian Casablancas. Le dernier PJ Harvey ne me transporte pas pour le moment mais je ne peux faire autrement que l'écouter, sa voix me bouleverse. Je me suis beaucoup réveillée au son des Broken Bells cette année, bien que ça ne soit pas si nouveau.



En parallèle de leur discographie et de leur carrière officielles, peu d'artistes français ont l'audace d'emprunter des chemins de traverse sous forme d'autres projets artistiques, désaxés, de collaborations à prendre comme des one shot, de mini-albums, de séries limitées...


- C'est pourtant vital ! Enfin le terme est un peu fort, mais c'est très nourrissant. Je pense quand même que pas mal de chanteurs tentent des trucs... J'ai énormément d'estime pour le travail de Claire Diterzi, sans cesse en recherche. La polémique autour de sa nomination à la Villa Médicis m'avait beaucoup marquée. J'aime profondément la démarche de Camille, qui d'ailleurs jouera bientôt au théâtre. Je suis admirative du fait qu'Arnaud Fleurent-Didier travaille avec des artistes japonais. Ou Florent Marchet avec l'écrivain Arnaud Cathrine. Philippe Katerine avec la chorégraphe Mathilde Monnier ou au cinéma. Benjamin Biolay qui fait feu de tout bois parce que son talent le vaut bien... Les chanteurs ne sont pas si enfermés que ça dans leur "case" je pense. Enfin pas ceux que j'aime en tout cas!!!

Pour ma part, quand l'occasion se présente je suis très friande d'expériences nouvelles. Écrire pour Tiken Jah Fakoly (Je ne veux pas ton pouvoir sur AFRICAN REVOLUTION), par exemple, n’était pas une chose banale pour moi. Ces derniers temps j'ai eu l'occasion de faire plusieurs lectures en public, et au printemps j’enregistrerai un livre dans son intégralité pour une collection de livres audio. Je suis par ailleurs en ce moment en répétition pour un opéra, The Second Woman, qui se monte au mois de mai aux Bouffes du Nord pour trois semaines de représentations. C'est une partition de musique contemporaine, je n'y connais vraiment pas grand chose mais quel plaisir d'apprendre et de se frotter à des chanteurs lyriques! Il y a peu de temps j'ai eu l'occasion de chanter avec JP Nataf, qui est mon acolyte des Red Legs, un duo que nous avions monté en parallèle de nos carrières "officielles" et qui a pris fin il y a au moins quatre ans. Nous avons tellement adoré ces retrouvailles que nous envisageons de refonder les Red Legs! C'est une vraie bouffée d'air, ce genre de choses...


À quels chanteurs fantasmeriez-vous de donner la réplique pour reprendre une désuète expression cinématographique ?


- À Lily Allen. Sa liberté, sa fraîcheur, son phrasé et son humour me renversent! Je suis désespérée qu'elle mette un terme à sa carrière. À Rufus Wainwright, Julian Casablancas, Robbie Williams. Mais c'est quand même assez peu probable, donc je fantasme comme vous me le demandez !... En France, j'adorerais chanter avec Françoise Hardy, Keren Ann, et Jean-Louis Murat. J'ai d'ailleurs écrit un duo en pensant à lui, il avait l'air d'accord pour que nous le chantions ensemble et les choses en sont restées là... Provisoirement j’espère!


Vous enchaînez les collaborations haut de gamme. Après Vincent Segal (12 FOIS PAR AN), Albin de la Simone (L'EAU) et Yann Arnaud (CHARADE), savez-vous déjà quelle fragrance aura votre quatrième album-studio qui sera en fait (en tenant compte de votre premier CD enregistré en public) votre N°5? Épuré? Composé? Synthétique?


- En toute logique j'aimerais l'enregistrer avec la Secte Humaine, tant leur son a bien épousé mes chansons. Mais ce n'est qu'une projection abstraite, rien n'est prêt. Je n'ai pas encore attaqué la vraie phase d'écriture, mais ce qui est sûr, c'est que je n'ai aucune envie de me retrouver à nouveau seule en studio avec un ingénieur du son. J'ai beaucoup aimé faire ça, mais c'est fait, c'est fait. Le prochain album devra vibrer et battre comme un cœur humain. J'ai hâte de savoir ce qu'il en sera vraiment...


(Danyél Waro & Jeanne Cherhal)


Peut-être écrirez-vous de nouveau quelques morceaux à La Réunion comme vous l’avez fait pour vos albums précédents? Vous êtes une habituée de l’île, et du festival Sakifo où vous vous êtes déjà produite à deux reprises. Avez-vous écouté le dernier disque Danyél Waro, chanteur réunionnais que vous dites beaucoup apprécier?


- Bien sûr! J'étais très curieuse également d'entendre notamment le travail de Yann Costa, qui l'a réalisé. Je trouve que les collaborations avec Tumi & the Volume et A Filetta sont vraiment réussies, et que c'est un grand crû! J'admire tellement Danyél Waro que j'ai eu envie à plusieurs reprises de lui proposer de chanter en duo, mais je n'ai pas encore osé passer le pas...

Concernant le fait d'écrire à la Réunion, j'ai la chance de pouvoir échanger mon appartement parisien avec des amis qui me laissent leur case de temps en temps, et c'est un grand bonheur d'installer ma petite bulle de travail sur l'île. Le Sakifo est un de mes festivals de prédilection, et celui où, avec les Francofolies de la Rochelle et de Montréal, je me suis produite le plus, puisque j'y ai déjà chanté trois fois, et non pas deux!

CHARADE est sorti en 2010, L’EAU en 2006. Rendez-vous en 2014 pour le prochain?


- J'espère que non, la scène me manquerait trop! Car pas d'album, pas de scène!


(Entretien Baptiste Vignol)

(Photos: collection personnelle JC; Géraldine Joigneault; Stanislas Fonlupt; Nicolas Ilinski; Rod; ©Daddzigal)