Tant qu'il y aura des porcs


Faut-il avoir une poubelle à la place du cœur, de la merde en guise de conscience et trimballer trois tonnes de lâcheté pour s'abaisser à shooter un homme qui depuis des années doit se résoudre à vivre caché pour échapper à ce qu'il n'a jamais véritablement enduré et dont il ne veut plus entendre parler: l'amour envahissant du public et l'obsessionnel intérêt des médias. Puisqu'il n'aspire qu'à la quiétude, Renaud se planque et fait silence, définitivement. Assez pour rendre dingue les petits journalistes, de piètre plume et de plus piètre éthique, qui, bien que Renaud n'ait jamais tué personne, volé quiconque ni même foulé aux pieds ses idéaux, le pistent, «enquêtent» et pire, le zooment en cachette. Se fichant bien qu'il soit le père d'un garçonnet en âge de voir dans les kiosques à journaux les couvertures de leurs magazines orduriers, ils s'«émeuvent», «enquêtent» et recueillent quelques «vérités» auprès d'«amis» qui, sous couvert d'anonymat, dépeignent à gros traits l'ancien chanteur mutique et caverneux. Aussi, pour en rajouter, puisqu'il faut toujours en rajouter dans le sensationnalisme, certains le disent désormais sur la paille, lui dont les chansons anarchistes, et ce fut peut-être l'un de ses grands dilemmes, ont fait une solide fortune de «patron bien gros». Quand Renaud s'exprime aujourd'hui, c'est par courtes phrases, pleines et rares. Ses potes y trouvent un sens de la fraternité dont sont privés ceux qui croassent et tapinent pour VSD.

Baptiste Vignol

À la même chaîne


Comment se lancer dans la chanson quand on s'appelle Cabrel et qu'on est la fille de Francis sans pâtir des sempiternels - et parfois fondés - préjugés sur les «enfants de»? Portant fièrement son nom, Aurélie s'en sort avec honneur, chantant, qui plus est, trois chansons composées par la star d'Astaffort (limpide Lève les bras, saisissante Tout l'indiffère) à qui elle dédie, et c'est habile, pour clore son album, Je ne suis pas jalouse: «Même si je suis consciente / Que vous le connaissiez / Bien avant que je chante / Je ne suis pas jalouse...» L'atout d'Aurélie Cabrel, c'est sa voix, qu'elle a chaude, claire et d'une justesse impeccable. Voilà qui commence bien puisque ça n'est plus si courant quand on écoute la nouvelle variété. Intelligemment écrite, produite avec soin, cette douzaine de chansons donne un disque à la simplicité franchement séduisante. Mais ce qui frappe, et bizarrement n'agace jamais, c'est la similarité vocale qui unit Aurélie à son père dont le timbre fait désormais partie de notre patrimoine. Mêmes intonations, même façon de faire durer les syllabes, de les enjamber, d'appuyer sur les voyelles, de buter sur certaines consonnes. C'est du Cabrel, pas de doute, et ça sonne avec tact. Actée cette singularité, Aurélie Cabrel devrait pouvoir s'exprimer, sans que son illustre ascendance ne lui fasse de l'ombre.

Baptiste Vignol

La pilcon sauvage


Depuis quatre semaines, le disque LA BANDE À RENAUD (sorti le 12 juin 2014) squatte la première position du Top des ventes en France: 117.000 albums écoulés à ce jour! Et l'hommage, à n'en point douter, dépassera le cap des 200.000 exemplaires. Comment ne pas sincèrement se réjouir d'une telle initiative qui remet en lumière, à sa manière, quelques-unes des plus belles chansons d'un des derniers géants de la scène francophone? Face à ce succès, un second volet, LE RETOUR DE LA BANDE À RENAUD, serait paraît-il sur les rails. On le sait, les directeurs artistiques des maisons de disque finissent parfois par manquer d'imagination, tant ils sont pressurés par le système. C'est donc pour les soulager qu'un collectif, «Le groupuscule des fans historiques de Renaud» (il faut l'avoir vu à la Pizza du Marais pour en faire partie), leur offre cette vingtaine de suggestions bankable, pleine de sens, d'impertinence et de stars qui ferait un disque d'enfer.

Dans mon hlm - Vincent Delerm
Mimi l'ennui - Alizée
Pochtron - Johnny Hallyday
La Teigne - Bertrand Cantat
Si t'es mon pote - Hugues Aufray
Ma chanson leur a pas plu - Pascal Obispo
Son bleu - Christophe Willem
Tu vas au bal? - Sébastien Patoche
Chanson dégueulasse - Étienne Daho
Olé! - Zaz
500 Connards - Michel Sardou
Corsic'armes - Patrick Fiori
Petit pédé - Baptiste Giabiconi
Fatigué - Patrick Bruel
Mon beauf - Christophe Maé
Le retour de la Pépette - Zazie
Allongé sous les vagues - M
Société tu m'auras pas - Florent Pagny
Tout arrêter - Faudel

Ça c'est Baguian


Sans doute vénère-t-il trop l'art d'écrire des chansons pour que celles qu'il a lui-même interprétées sur trois albums produits par Francis Cabrel aient franchi les portes du succès: trop affilées, trop pleines d'esprit, trop miroitantes. Il ne faut pas balancer à la gueule des gens ce à quoi ils ressemblent! Ça les rebute. Et pourtant ses tours de chants demeurent des souvenirs précieux pour ceux qui s'y pressaient entre amis désireux de partager l'univers d'un artiste élégant, à l'immobilité majestueuse. Et puis vers la fin des années zéro, le producteur Dove Attia, parce qu'il a fait Polytechnique, et qu'il est donc ambitieux, a su deviner chez Vincent Baguian - «Baguian? Un écrivain de chansons!» notait déjà Claude Nougaro - une éloquence capable d'insuffler aux comédies musicales des mots inattendus, une habileté salutaire. «Mozart l'Opéra Rock» comme «1789, les Amants de la Bastille» n'ont pas déplacé les foules pour la seule beauté des costumes. Les tubes étaient là, au service d'une intrigue dont le divertissement était la seule mission. L'émotion? Elle affleurait, elle s'imposait quand les 4000 personnes d'un Zénith de province entonnaient à pleines gorges, tel le Maracana chantant l'hymne brésilien, L'Assassymphonie, Vivre à en crever, Ça ira mon amour... Et voilà qu'aujourd'hui Vincent Baguian signe le livret d'une nouvelle comédie, «Mistinguett»; la Miss, l'inventrice du music-hall, étant incarnée par Carmen Maria Vega. Ceux qui l'ont vue sur scène savent que cette Lyonnaise d'origine guatémaltèque est une tragédienne de feu. Carton annoncé. Maintenant qu'il a trouvé le pactole en couvant des spectacles adaptés dans le monde entier (au moment pile d'ailleurs où l'industrie du disque qui le sous-estimait s'est écroulée…), que Vincent Baguian reprenne le micro! Qu'il enregistre enfin «ses» nouvelles chansons. Quel gâchis d'en priver ceux qui se passent encore du Brassens, du Boby, du Trenet. Leur cérébralité, leur ironie, leur tendresse et leur poésie surpassent allègrement les rauques sornettes éculées dans le ruisseau propret des chanteurs à lunettes portant en général une barbe de trois jours

Baptiste Vignol

L'art du clip


D'innumérables nuées d'excellentes chansons n'atteignent jamais l'oreille du grand public. Rarement très beau clip passe inaperçu. C'est la force de l'image, son pouvoir de séduction immédiate. Pour gagner la popularité à laquelle ils aspirent tous, les chanteurs devraient donc aujourd'hui déployer, à l'ère d'Internet, autant d'imagination pour habiller leurs chansons qu'ils en mettent pour les composer. Des clips, qui racontent une histoire, proposent de nouvelles lectures, sont faits de plans inattendus, à la Jean-Christophe Averty, de ruminations et d'éclairs; des clips, qui assument sans rougir leur ambitions panoramiques ou misent leur obole sur la sensibilité du spectateur, ses doutes et ses enjouements, sans surligner à gros traits vaguement esthétiques des paroles qu'ils voudraient sublimer à coups de perspectives bon marché. L'art du scopitone somnole en France. Loin des premières et grandiloquentes sorties de Mylène Farmer tournées en 35 mm par Laurent Boutonnat, passées les envolées jamais dénuées d'humour de Jean-Baptiste Mondino (C'est comme ça, Osez Joséphine), Philippe Bensoussan (La Balade de Jim, Musulmanes), Michel Gondry (La Tour de Pise) ou Bernard Schmitt (Là-bas, Ella elle l'a), le dernier «grand» clip d'une chanson française pourrait bien être Ta douleur de Camille. C'était en 2005. Ça date. Un clip, ça doit être d'abord une idée, forte, qui, parce qu'elle induit de l'inventivité, mais aussi du travail et du plaisir de faire - cela se remarque à l'écran !- captive le regard. Ingrédients d'une sacrée performance qui fait aujourd'hui sensation sur la Toile, donnant en quatre minutes une visibilité planétaire au morceau qu'il élève: The Writings on the wall du groupe OK Go. D'une exactitude réjouissante.

Baptiste Vignol