Dans les yeux de qui? D’Alain Delon?


Il y a les chansons interprétées par Alain Delon (Laëtitia; Paroles, paroles; Comme au cinéma…), les chansons qui l’évoquent (Plus beau que moi tu meurs d’Aldo Maccione; Ma tête à moi de Marka; Toi pour moi de Clarika; Da Vinci code de Claude MC Solaar, etc.) et celles qui lui sont dédiées. Quel meilleur gage d’admiration que d’avoir des chansons qui vous rendent hommage? En 1991, les anglais de White Town sortaient un titre inattendu, Hair like Alain Delon, dont les paroles disaient : « I'm not the kind of man/ Who can wear just anything/ And I'm not the kind of man/ That can make a French woman sad or sing/ If only I could be like him/ Then everthing would be okay/ I'd always know just what to do/ And exactly what to say/ Wish I had hair like Alain Delon… »
Dix ans plus tard, le groupe norvégien The Margarets encensait le Français dans Alain Delon qui figure sur l’album WHAT KEPT YOU (#2 dans les charts norvégiens): « Is there someway you can reach her?/ The sunshine's got me dizzy/ Is there someway you can meet her?/ Heaven knows I'm not Alain Delon ! » Rappelons qu’en 1986, le chanteur de The Smiths, Morrisey, grand fan d’Alain Delon, avait pris une photo de son idole pour illustrer la pochette du mythique THE QUEEN IS DEAD.


Du côté de chez nous, un TRIBUTE TO ALAIN DELON AND JEAN-PIERRE MELVILLE est sorti en 2001, avec les participations de Bertrand Burgalat, April March, Jacno, Jean-Emmanuel Deluxe, Ariel Wisman et Helena Noguerra. L’ombrageux Fred Poulet a lui aussi gravé, sur son cinquième CD paru en 2005, une référence à l’acteur du Samouraï. Mais la palme de l’élégance revient à Julien Baer, roi de l’underground, qui s’est inspiré d’un site plutôt décalé, « danslesyeuxdalaindelon.com », pour écrire une balade émouvante, enregistrée lo-fi, seul à la guitare, et qui a l’avantage d’élargir le champ de vision des thématiques consacrées à Alain Delon. « Parfois j’voudrais être un ami des grands ce monde/ Beaucoup voyager partout… » À découvrir tout prochainement.

Baptiste Vignol

danslesyeuxdalaindelon.com

Mylène Farmer au Stade de... Farce




Je sais par avance que quelques fans dévolus corps et âme à Mylène Farmer ne manqueront pas de voir dans cet article une nouvelle provocation de ma part. Ils m’accuseront encore d’écrire sous l’emprise de la jalousie, dévoré par la frustration, moi, chanteur inconnu et donc improbable, qui ne pourra jamais rassembler suffisamment de spectateurs pour remplir ne serait-ce qu'un petit Bercy. Quelle honte ! Cet insuccès étant la garantie de mon manque de talent, autant que les audiences records de Secret Story sont la preuve que ce programme a du fond, ils me suggéreront de la fermer et de m’incliner respectueusement devant ce qui marche. Je trouve, du reste, que l’on ne respecte pas assez le jambon Herta emballé sous vide en portion 2 tranches qui a le meilleur rendement de tout le rayon charcuterie de mon hyper et qui marche bien lui aussi.
Le déferlement de messages fanatiques, souvent insultants, flirtant parfois avec la menace ou le harcèlement, qui avait suivi ma précédente bafouille concernant « l’icône rousse » devrait, il est vrai, me pousser à garder le silence. C’est justement pour défaire ce bâillon psychologique que je réitère. La simple idée qu’il serait préférable que je me taise, me pousse irrémédiablement à l’ouvrir. C’est dans ma nature. J’aimerais vérifier que mes mots ne tremblent pas et que mes goûts osent encore s’exprimer crûment, sans céder à la peur des représailles. Ne m’en veuillez pas de détester ce que vous vénérez et de le dire haut et fort, ce n’est pas contre vous, c’est pour moi. S’il s’avérait que Voltaire n’ait pas réussi à éveiller votre conscience à la tolérance que prône aussi Florent Pagny de manière plus accessible, épousez la philosophie du second (pour une fois vous serez pardonnés) et aux cris de « Oui, elle est chanmé c’te zicmu ! » laissez moi ma liberté de penser.

Alors, voilà ; je suis allé voir la star dont j’avais déjà dit tant de mal la fois précédente. Je suis masochiste, c’est mon droit ! Au Stade de France cette fois, le jour de son anniversaire. Rien n’interdit à une vedette de s’autocélébrer devant 80 000 clients prêts à lâcher chacun une centaine d’euros pour lui chanter en chœur « Happy Birthday to you » ; c’était le petit cadeau qu’elle tenait à s’offrir, ça partait déjà d’une bonne intention.
Sans à priori cependant j’imaginais que ce concert pourrait me faire réviser mon jugement. Parfois on tombe sur une mauvaise huître, pas de chance, il ne faut pas décréter pour autant que les huîtres ne sont jamais bonnes.
La tête de mort rouge projetée sur le rideau de scène n’était pas du meilleur présage quant à la délicatesse du spectacle à venir… Je ne fus pas déçu. Après une introduction interminable composée de sons inutiles et dépassés, Mylène est entrée, princière dans une tenue moche qu’elle a changé par la suite souvent pour d’autres tenues moches du même grand couturier. Mylène a dansé maladroitement sur d’improbables chorégraphies à la portée d’à peu près n’importe qui et dignes d’un spectacle de patronage. Et surtout Mylène a chanté… Très faux. Ma subjectivité peut parfois me conduire à la mauvaise foi, mais mes oreilles ne trichent pas, elles ne lui voulaient aucun mal. Elles ont pourtant beaucoup souffert. Bien entendu, Mylène a pleuré, peut-être à cause de ces notes qu’elle n’arrivait pas à atteindre. En gros plan sur tous ces écrans voués à sa beauté chirurgicale, elle a sourit aussi, tout en pleurant. À un moment, elle a traversé la foule sur un podium prévu à cet effet. Telle une prêtresse, elle a marché lentement. À un autre moment, un praticable l’a soulevée à quelques mètres du sol, puis il est redescendu. Elle s’est aussi assise dans un fauteuil en forme de scarabée ? Ou de mouche ? Ou de scorpion ? En tout cas il y avait des pattes d’insecte. Elle s’est même allongée en travers de ce siège. Que retenir d’autre ? Croix, squelettes, morts-vivants, rien ne nous fut épargné, jusqu’à l’ennui. La vulgarité de toute cette mise en scène trouve peut-être une explication dans la volonté de récupérer le public orphelin de Johnny Hallyday. Ce serait la seule excuse valable, le marketing. Le public ne fut même pas très chaleureux. Les as du montage devront se décarcasser pour prouver, DVD à l’appuis, qu’il s’agissait d’un moment de communion magique. Pour y trouver son compte, il fallait être inconditionnellement aveuglé, sourd à toute critique, embrigadé depuis toujours, bercé par ses refrains depuis la tendre enfance. En guise de générosité, elle aura dispensé quelques mercis.
Et puis au revoir.
Ne vous découragez pas, vous, les jeunes artistes qui éprouvez vos chansons ambitieuses dans les bars difficiles, sans artifices, condamnés à tout donner chaque soir pour convaincre un par terre clairsemé. Oui, vos petites salles à moitié pleines sont une injustice au regard de ce stade comble de vide. Mais ne baissez pas les bras et fuck them all. Ce n’est pas parce qu’ils étaient très nombreux à se tromper, qu’ils avaient raison.

Vincent Baguian.

La nostalgie, ça n'existe pas !



D'aucuns diront "Beigbeder vieillit", pire: "il est frappé de nostalgie". Dans le billet hebdomadaire qu'il écrit pour Voici, intitulé cette semaine "L'adieu aux albums", l'écrivain germanopratin regrette, après une déclaration de Thom Yorke où le leader de Radiohead affirme que son groupe n'enregistrera plus d'albums mais proposera désormais ses compositions une par une sur la toile au gré de son inspiration, le temps des disquaires, du vinyl au CD, quand on prenait le temps (notez l'imparfait) d'aller (notez l'intention) acheter sa musique, puis de la découvrir, chanson après chanson, en inspectant la pochette, en lisant les paroles, en consultant les crédits, avant que le téléchargement sauvage n'ait achevé ce produit. Beigbeder nous prie donc d'observer, non pas une minute mais une heure (le temps qu'il fallait selon lui pour écouter un 33 tours) de silence en hommage à quelques disques de sa mythologie (SERGENT PEPPER'S des Beatles, DARK SIDE OF THE MOON des Pink Floyd, PET SOUNDS des Beach Boys... Que de l'ancien!). Et le chroniqueur de conclure: "Quand donc notre civilisation s'apercevra-t-elle qu'Internet est en train de détruire ce que l'humanité avait de plus précieux : le temps ?" Car en cédant aux diktat de l'immédiateté, du zapping, du téléchargement, de la surconsommation (combien de milliers de morceaux un ipod peut-il contenir ?), nous nous sommes (définitivement?) défaits d'habitudes toute simples (aller en librairie, fouiner à la fnac, en quête de découvertes littéraires ou musicales) desquelles pouvait éclore une sensibilité. Cela vaut bien d'être nostalgique, non ? Nostalgie. Ce joli mot qui fâche les auteurs à la mode (allez savoir pourquoi...), les quincas frappés des affres du jeunisme vêtus comme des adolescents et les vieilles idoles qui, ne supportant pas l'idée du temps qui passe, s'excusent, sitôt qu'elles ont évoqué leurs glorieuses années : "Mais attention, hein, je ne suis pas nostalgique. Moi je regarde de l'avant !" C'est ça. N'est-il pas attristant d'entendre tel barbon, telle actrice, telle ancienne muse de Saint-Sulpice prétendre être insensible à ce sentiment? Comme s'il fallait un après à Saint-Germain-des-Prés...
Entre en avoir ou pas, Beigbeder a choisi : il déborde de nostalgie en pensant à toutes ces heures qu'il ne passera plus à écouter les dix nouvelles chansons de nouveaux chanteurs prometteurs, le livret de leur CD à la main. Car tout était là. Dans l'objet.

Baptiste Vignol