Qui a le droit d'faire ça?


Rien n'est plus agaçant que de voir chaque matin le souriant Thierry Freret se réjouir sur iTélé qu'il fasse une douceur d'avril en décembre. Rien, jurions-nous. Et puis l'on tombe hélas sur Patrick Bruel aspergeant L'Aigle noir de neige artificielle comme l'on décorerait un sapin de Noël… Certes il avait déjà jadis bombardé Amsterdam. C'était consternant bien sûr, mais l'acteur, devenu chanteur populaire, avait alors, en pleine «bruelmania», l'excuse de la jeunesse. Et l'on n'est pas sérieux quand on s'imagine, à trente ans, avoir la trempe d'Yves Montand. Mais pourquoi aujourd'hui saccager ainsi L'Aigle noir? Avec une sensiblerie outrée, un pathos prétentieux, une fausseté criante à rendre Lara Fabian folle de jalousie. 
Bruel a connu Barbara. C'est ce qu'il explique partout en évoquant les fax que lui adressait la diva. Peut-être a-t-il alors pensé avoir la légitimité, et le souffle, pour s'attaquer à cet Annapurna. Le problème, en réalité, n'est pas de savoir si l'on peut reprendre ou pas Barbara. D'autres l'ont fait avec grâce: William Sheller bien sûr (qui l'a très bien connue aussi, sans exhiber leur correspondance), Nilda Fernandez (qu'elle appelait «mon cep», ce dont il n'a jamais cherché à tirer avantage) ou bien encore Hervé Vilard qui prouve, s'il était besoin, quel bel interprète il est en s'appropriant C'est trop tard sur sa captation au Théâtre La Bruyère qui vient de sortir sur CD. Non, la seule question qui tienne quand on se glisse dans le répertoire des géants est de le faire avec égard, tact et humilité. Bruel, lui, y saute à pieds joints. Parce qu'il abuse d'un ton qui manque d'aisance et de naturel, qui se voudrait profond, sûrement, mais suscite de la gêne, pour lui, pour Elle, pour tous ceux qui ne connaitraient pas encore Barbara, l'homme qui chantait Qui a le droit ? fait ici la démonstration, en enrobant de chantilly L'Aigle Noir, Perlimpinpin (grand dieu, ces arrangements à la Jeanne Mas!…), Nantes ou Ma plus belle histoire d'amour, qu'on peut contracter le diabète en écoutant des chefs-d'œuvre. Chapeau bas.

Baptiste Vignol