Et Bécaud dans tout ça?



Le succès engendre d’étranges séquelles. Il envenime la critique qui vous encensait et rend jaloux vos confrères. Bénabar n’échappe pas à la règle. “Le pire, c’est Bénabar” assurait Benjamin Biolay en juillet 2007. Comment Benjamin Biolay aurait-il pu s’imaginer, un an plus tard, affligé du même qualificatif par... Michel Fugain (“Biolay, c'est le pire!”) ? Mais dans une charge pleine d’aigreur, celui qui recherche le succès depuis qu’il a dissout son Big Bazar en 1977, n’épargnerait pas non plus Bénabar : “Est-ce qu’il va faire autre chose que de nous raconter le quotidien?” Ça ferait du bruit dans le Landerneau…
Tête de turc du moment, Bénabar s’agace dans Paris Match : “J’en ai marre de passer pour un connard !” Un certain Benjamin Locoge l’interroge grossièrement. “Vos confrères vous assassinent, démarre-t-il. À commencer par Benjamin Biolay, qui dit: "Bénabar me débecte".” Inexact. Autant être précis quand on donne dans la citation. “Le pire, c’est Bénabar” avait-il déclaré, certifiant en revanche, en Une de Technikart: “La chanson française me débecte”. Nuance. Puis Locoge continue : “Aimez-vous être comparé à Michel Sardou, à Gilbert Bécaud ?”, comme si Sardou et Bécaud, c’était kif-kif bourricot comme disait Paul Guth dans Lettre ouverte aux idoles… Bénabar aurait pu sauter sur l’occasion pour expliquer combien cette comparaison l’honorait ! Mais Bénabar, patatras, à en croire l’interview, est tombé dans le panneau. Restant bloqué sur Sardou, il a répondu : “Une partie des critiques qui me comparent à eux cherche à me dévaloriser en insinuant l’idée que Bécaud ou Sardou n’ont fait que de la merde.” Il en aurait dû en rester là, mais hélas, il a poursuivi : “Figurez-vous qu’il y a pas mal de chansons de Sardou pour lesquelles j’ai une faiblesse!” Et de Bécaud, que pense-t-il ? Rien, puisqu’il n’en dit pas un mot! Rappelons donc que Mr 100 000 volts (le surnom est souvent un gage de qualité, voire de reconnaissance, dans le domaine de la Chanson: le Fou chantant, la Môme, le French troubadour, Tonton Georges, la Chanteuse de minuit, etc.) était un showman épatant, que la bien-pensance finit par dénigrer, ne le trouvant plus assez “chic” pour l’inviter à la télévision, après qu’elle l’eut encensé quand il régnait sur le Music-Hall, doublé d’un mélodiste hors norme, l’un des rares français chantés par la crème des stars américaines. Jugeons plutôt: Elvis Presley, Frank Sinatra, Barbra Streisand s’approprièrent Et maintenant (What now my love); James Brown, le King et Bob Dylan Je t’appartiens (Let it be me)! De véritables classiques. Que ne connaîtraient ni le journaliste de Paris Match, ni l’auteur de Je suis de celles ?
Le meilleur moyen de ne pas passer pour un imbécile est de maîtriser son sujet, d’avoir un brin de culture. Benjamin Biolay n’en manque pas. On peut ne pas l’apprécier, détester son cynisme, son air ébouriffé, mais il connaît la Chanson, des refrains de Trenet aux surnoms de Gréco en passant par le génie mélodique de Gilbert Bécaud. Quand Bénabar aura compris que la chanson n’est pas née avec Maritie et Gilbert Carpentier, qu’il se sera imprégné des couplets de ses devanciers, peut-être composera-t-il une mélodie imparable, digne de Bécaud, Trenet*, Brel** ou Gainsbourg***. Il empochera alors de substantiels droits d’auteur, mais gagnera surtout le respect de ses pairs, l’admiration de ses cadets, étant même gratifié, qui sait, d’un surnom taillé sur mesure. La classe, quoi !

Baptiste Vignol

*La mer (Beyond the sea) a été reprise par Bobby Darin, George Benson, Robbie Williams; Que reste-t-il de nos amours (I wish you love) étant adaptée par Frank Sinatra ou Harry Connick Jr.
**Frank Sinatra enregistra Ne me quitte pas (If you go away), David Bowie Amsterdam, Nina Simone Les désespérés (The desperates ones).
***La javanaise a été adaptée par Mick Harvey, Manon par Pulp, Comment te dire adieu par Jimmy Sommerville…


Et maintenant, par Gilbert Bécaud
What now my love, par Elvis Presley

L'or de l'Olympe



Comment une sportive peut-elle devenir une des plus grandes championnes de tous les temps? On ne sait pas trop évidemment. Si une recette existait, on compterait ici-bas un nombre effrayant de «plus grands champions de tous les temps »… Ceci dit, celle qui fut désignée «Nageuse de l'année 2007 » possède probablement les clefs pour en devenir une.
C'est une athlète d'exception et on la plaint bien sûr après l'échec humiliant qu'elle vient d’essuyer à Pékin. Mais tout supporteur raisonnable et néanmoins fougueux de la belle (j'en suis !!!) est obligé de reconnaître qu'aujourd'hui, Laure Manaudou possède un nouvel atout. Insouciante et ultra-légère lorsqu'elle coiffa ses lauriers aux Jeux d’Athènes en 2004, au point d'avouer naïvement, du haut de ses 17 ans : «Je ne me rends pas compte de ma performance », elle réalise maintenant, punie, mais mâture, l’incroyable auréole que représentaient ses titres et ses records.
Du coup, même si un inévitable ras-le-bol l'amène à ne rien désirer d'autre qu'un break, elle risque fort, en championne, de se relever. Avec en plus de ses aptitudes naturelles, la conscience aiguë du travail qu'il va lui falloir fournir, et puis l'envie d'en découdre ! De se venger de ces Jeux foireux.
En la voyant pleurer après sa défaite sur le 200m dos et balbutier qu'elle ne savait pas si ça valait la peine de continuer, le supporteur raisonnable mais néanmoins fougueux fut d'abord pris de compassion, mêlée d'un certain agacement face à l'acharnement télévisuel qui consiste à zoomer sur les larmes de l’égérie déchue. S'ensuivit un court accès de colère devant l’indiscipline de la star en péril. Puis vint cet élan d’espoir qui nous autorise à concevoir de glorieux lendemains: désormais, en effet, Laure Manaudou sait qu'elle ne doit pas son fabuleux palmarès à ses seules capacités, mais à l’épuisante addition du talent avec le travail. Elle va donc s'y remettre dare-dare, poussée par cette rage qui ne s’acquiert qu’après l’échec.
On lui reproche aujourd’hui son exposition médiatique, ses frasques amoureuses, son indépendance d’esprit et ses contrats publicitaires, mais il faut reconnaître que pour une championne de vingt ans, une telle indocilité suscite une sorte d’admiration (et puis, au moins, elle ne l'ouvre pas à tort et à travers sur n'importe quel sujet sous prétexte qu’elle est un personnage public).
Elle est charismatique, belle et douée. Chez les sportifs de très haut niveau, réunir ces trois qualités n'est pas répandu. Dès qu'elle retrouvera la confiance et la force de trimer avec un coach qui pourra lui parler aussi librement que Philippe Lucas (le côté "aboiement" en moins), elle redeviendra l’incomparable Manaudou. Pour le moment, c’est le cas d’école qu’elle incarne qui stigmatise l’attention : « Voilà ce qui arrive quand on délaisse l'entraînement et qu'on se fait trop confiance… »
Mais une telle personnalité a tout pour se remettre à niveau et intégrer le giron des « plus grands champions de tous les temps ». Après avoir investi les sommets, s’être écroulée, elle se relèvera certainement, grandie par la conviction que le plus beau reste à venir.

Jeanne Cherhal

Succès d'été, suite et fin.

Et pour clore cette improbable théorie de chanteurs rococo, celui qui s'en fit un funeste porte-parole :



"Chez Pascal Sevran
Les rythmes sont navrants,
Les thèmes décevants..."

Donne-moi le micro IAM (1992)

Si l'on devait lire un ouvrage sur Pascal Sevran, alors que paraissent plusieurs bouquins laudatifs, il faudrait se pencher sur l'enquête minutieuse de Laurent Balandras, parue en septembre 2007 chez Tournon : "Pascal Sevran, l'homme à qui la chanson ne doit rien".

Stone & Charden

Succès d'été... (11/12)



« I wanted marry with you,
And make love very beaucoup,
To have a max of children,
Just like Stone and Charden.
But one day that must arrive,
Together we disputed,
For a stupid story of fric,
We decide to divorced… »

It is not because you are Renaud (1980)

Philippe Lavil

Succès d'été... (10/12)



« Je veux bien te chanter
Le Yellow submarine
Alors plutôt façon Jenifer
Je peux aussi te faire Philippe Lavil
Mais ça va te coûter plus cher
Tiens v’là Vaison-la-Romaine... »

Vaison-la-Romaine Jean-Louis Murat (2002)

Claude Barzotti

Succès d'été... (9/12)



« Je me compare à Tino Rossi,
À Dassary, Georges Guétary,
Au grand Pavarotti, à Gino Vanelli.
Je n'm'appelle pas Frank Sinatra,
Ni Mariano ni Caruzo, mais comme Julio,
Comme Roméo, le Bel Canto, j'l'ai dans la peau !
Je ne viens pas de l'Italie,
Je sérénade les filles jolies…
Et je me fous de Barzotti ! »

Chanteurs de charme Jean Lapointe (1985)

Herbert Léonard

Succès d'été... (8/12)



« Ça pouvait pas êt' pire
Comme ambiance de terreur
J'avais froid dans l'échine
J'vivais l'top de l'horreur
Jusqu'à ce qu'en sourdine
Comme venant de nulle part
Y'a Herbert Léonard
Qui chante Pour le plaisir...»

Monsieur Marchand Lynda Lemay (2005)

Mireille Mathieu

Succès d'été... (7/12)



« J'ai marché dans les rues, ton ombre dans la mienne,
Les vainqueurs distribuaient la soupe à l'Opéra,
J'ai lapé dans le bol tendu par un para
Là où nous goûtions les tempêtes wagnériennes.
On avait déblayé boulevard des Capucines,
Vers l'Olympia en ruines, j'ai vu quelques putains,
C'est bon signe je crois lorsque le vieil instinct
Narguant les convenances remonte des racines.
J'ai fait un grand détour pour ne pas, rue Royale,
Contempler le charnier où grouillent encore les rats,
C'est là où fut dit-on abattu Jean Ferrat,
Et le vent apportait des musiques martiales…
Les vainqueurs défilaient commentés par Zitrone,
Moi je ne disais rien, les yeux sur la télé,
Ta mère se lamentait : ses opalines fêlées
Malgré l'ordre et la paix la faisaient rire jaune.
"Allez mon petit Jean, votre quartier est triste
Et rempli de cadavres en décomposition,
Restez donc à dîner, il y a une émission
Avec Mireille Mathieu, je l'aime bien comme artiste…" »

Tout va bien Jean Guidoni (1983)

Richard Anthony

Succès d'été... (7/12)



« Tu vois, rien n'a vraiment changé
Depuis que tu nous a quitté.
Les cons n'arrêtent pas de voler,
Les autres de les regarder.
Si, l'autre jour on a bien ri :
Il paraît que Le déserteur
Est un des grands succès de l'heure
Quand c'est chanté par Anthony ! »

Pauvre Boris Jean Ferrat (1966)

Michel Fugain

Succès d'été... (6/12)



« Laisse Michel Fugain
Aboyer avec les chiens, mon ange.
Laisse aboyer les chiens,
La caravane est loin ! »

Laisse aboyer les chiens Benjamin Biolay (aux Francofolies de Montréal, août 2008)

Rappel. Fin juillet 2008, Michel Fugain donne son sentiment sur ses jeunes confrères de la variété française : « Je pense qu'il y a une bande de petits cons là-dedans, et je pèse mes mots, qui ont l'impression qu'ils savent tout faire, qu'ils connaissent tout. Et ils ont tort, car ils savent peu de choses. Est-ce qu'ils savent qu'on a entendu des merveilles, nous, pendant des années ? Comment ont-ils l'impression qu'ils vont nous mettre sur le cul ? Ils ne savent pas faire de mélodie. Ils ne savent pas parler d'autre chose que de leur nombril. […] Cali, j'ai fondé énormément d'espoir dans ce mec... L'évolution de Cali, elle me gonfle. Bénabar, bon, on attend... J'ai pas envie de dire que c'est pas bien... mais bon, est-ce-qu'il va faire autre chose que de nous raconter le quotidien ? Mathieu Chedid ? Est-ce qu'un jour il va chanter ? Benjamin Biolay ? Pour moi, c'est le pire. »

Discussion de bistrot

Gérard Lenorman

Succès d'été... (5/12)



« Moi j’ai la nostalgie des années 70
Du visage de Romy, du premier film X,
De mon adolescence allée du Parc Monceau,
De Gérard Lenorman qui parlait aux oiseaux… »

La nostalgie des années 70 Didier Barbelivien (2001)

Démis Roussos

Succès d'été... (4/12)



« Quand je me trouve grosse,
Je pense à Demis Roussos ! »

Le bonheur Marina Foïs (2002)

C.Jérôme

Succès d'été... (3/12)



« Stone et Charden chantaient L'Avventura
Et Mike Brant se demandait : Qui saura ?
Johnny disait à Sylvie : Que je t'aime !
Et Brel écrivait ses derniers poèmes.
Polnareff osait tout pour faire sa pub
Et les Stones roulaient déjà à pleins tubes,
Juju fredonnait La Californie,
Moi je chantais Kiss me as you love me… »

À pleins tubes C.Jérôme (1997)

Mike Brant

Succès d'été... (2/12)



"Mais une nuit des voyous, des vrais enfants d'salauds,
Pendant qu'Dédé pionçait, z'y ont fracturé son box,
Z'y ont tiré son klaxon et son autoradio,
Ses cassettes de Mike Brant et ses jantes en inox.
Dédé le lendemain en voyant le tableau,
Lui qu'avait une santé d'académicien,
S'est chopé l'infarctus dont nous causent les journaux
Et l'a cassé sa pipe tout seul au p'tit matin..."

La tire à Dédé Renaud (1979)

François Valéry

Succès d'été... (1/12)



« Pour faire une recette de cuisine
Pour gober d’la chlorpromazine
Pour doser le liquide vaisselle
Pour se parfumer les aisselles
Pour déballer une Vache qui rit
Un CD d’François Valéry
C’est fou comme le monde se complique
Quand on lit pas les fiches techniques ! »

Mode d’emploi Juliette (2004)

Plus c'est gros, mieux ça passe



En France, le disque de Carla Bruni, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT, s’est écoulé à 165000 exemplaires depuis sa sortie le 11 juillet, annonce la maison de disques Naïve, “très satisfaite du démarrage de l’album”.
Comme s'il fallait absolument persuader l’opinion que cet opus casse la baraque; mais les chiffres officiels, délivrés chaque semaine par l'IFOP, ne chantent pas la même chanson…
14100 CD vendus les deux premiers jours d'exploitation, puis 18200 (du 13 au 19 juillet), 13300 (du 20 au 26), 13700 (du 27 juillet au 2 août) et 8900 (du 3 au 9 août) ne font pas un total de 165000 copies, mais un (bon) résultat (vu l'état du marché) de... 68200 !
Faut-il s’étonner que l’industrie discographique prenne l’eau de toutes parts si ses labels gèrent leurs affaires aussi correctement qu’ils additionnent leurs chiffres de ventes ? Sans parler du public qu’elle mystifie ouvertement. Quant aux médias, ils relaient l’information docilement, sans jamais préciser qu'il s'agit des ventes de gros (c'est-à-dire faites aux magasins), et non pas des ventes de détails (c'est-à-dire au public). Ainsi reste-t-il dans les grandes surfaces 100000 disques de Carla Bruni qui doivent encore trouver preneurs.

Parole d'expert

Quand Brel tapait sur son piano


En 1959, en revenant de la tournée Opus 109 avec Jacques Brel en vedette, les Cinq Pères en vedettes américaines, Bernard Haller, Simone Langlois, Gainsbourg et moi en première partie, on arrive à Paris où Brel a rendez-vous avec Bruno Coquatrix. Il était alors prévu que Brel fasse l’Olympia en vedette américaine de Philippe Clay, mais Monsieur Canetti, qui avait organisé la tournée Opus 109 (le “sang neuf” de la chanson) et “drivait” la carrière de Brel, pensait que c’était encore un peu tôt pour un grand passage à Paris. Brel en revanche ne l’entendait pas de cette oreille: ce qui était prévu devait se faire… J’étais dans la voiture de Brel avec Suzanne Gabriello quand on est arrivé à l’Olympia, rue Caumartin, à l’entrée des artistes. Brel dit à Suzanne: “On n’en a pas pour longtemps. Attends-nous et si quelqu’un arrive, aboie!” On rigole Suzanne et moi (c’était bien l’humour de Brel) et nous montons voir Coquatrix - grâce à qui, mais c’est une autre histoire, j’accomplirai mon service militaire à Montlhéry et ne partirai pas deux ans en Algérie... “Je veux le faire!” répétait Brel. “Je veux le faire!” Quand nous sommes redescendus, Suzanne a tout de suite compris qu’elle avait devant elle la prochaine “Vedette américaine” de Philippe Clay.
Pendant toute la tournée, Brel travaillait ses nouvelles chansons pour cette rentrée parisienne. À chaque fois que l’on arrivait dans les casinos, il allait dans sa loge, enfilait son costume et montait sur la scène où il y avait toujours un piano, et il tapait dessus… Il cherchait le rythme de sa prochaine chanson. Il en voulait une à 5 temps, comme Dave Brubeck qui venait de conquérir le monde avec son Take five. Nous, on se préparait pour la soirée et on entendait Brel : 1.2.3.4.5, 1.2.3.4.5… Il en sortira deux chefs-d’œuvre, Ne me quitte pas et La valse à mille temps… Réfléchissez bien… Ne-Me-Qui-Tte-Pas, 1.2.3.4.5. et La-Val-S’À-Mill’-Temps.
J’ai vu le spectacle à l’Olympia. Merveilleux au Trois Baudets, Philippe Clay n’était pas très à l’aise sur une grande scène comme l’Olympia. L’artiste doit s’adapter, le public ne réagit pas de la même façon selon la grandeur de la salle. D’un côté, c’est une “veillée”; de l’autre, c’est une démonstration… Et Jacques Brel est devenu une star!

Ricet Barrier

Une île où il fait beau la nuit









Quel point commun réunit Popa Chubby, Jeanne Cherhal, Tiken Jah Fakoly, Joeystarr, Neneh Cherry, Ayo, Patrice et, disons… Rachid Taha? Ils se sont tous déjà produits au Sakifo festival de La Réunion.
Avec la saison des beaux jours, s’en vient le carrousel des grand-messes rock’n’roll; Francofolies (de La Rochelle, de Montréal), Vieilles Charrues (Carhaix en Bretagne), Paléo festival (de Nyon), Eurockéennes (de Belfort) étant même maintenant, dans l’esprit de chacun, associés aux collectivités qui les soutiennent. D’ailleurs, aucune mairie ne cesserait de soutenir un événement qui met sa commune en lumière, génère une économie substantielle et ravit la population locale et les vacanciers!
L’île de La Réunion est connue pour ses paysages, ses randonnées, la beauté festivalesque de ses cirques et son intense activité volcanique. Il n’est pas impossible qu’elle profite un jour, par ricochet, et jusqu’en lointaine “métropole”, du succès populaire du Sakifo de Saint-Pierre, ce rendez-vous musical s’étant déjà imposé comme la plus importante manifestation culturelle de l’océan Indien.
Assise au bord d’un lagon, Saint-Pierre prend la forme d’un amphithéâtre déployant ses rues parallèles sur le versant de la montagne. Où que l’on soit dans cette cité balnéaire, le spectacle de la mer le dispute à celui du Piton des Neiges qui culmine à 3069 mètres d’altitude.
Quand l’été chauffe l’hexagone, c’est l’hiver austral dans les Mascareignes. Les alizés soufflent, mais la température de l’eau avoisine les 24°. Et les baleines passent au large de Saint-Pierre... Sitôt le soleil couché, les vents retombent et l’on s’enchante, au clair de lune, de cieux véritablement féeriques. Parfois, “l’azur phosphorescent de la mer des Tropiques” illumine si bien l’horizon qu’on croit apercevoir, montant de l’océan, les étoiles nouvelles dont rêvaient les Conquérants de Hérédia. Une île où il fait beau la nuit*!
Du 6 au 10 août 2008, sur le sable de la Ravine Blanche, à deux pas du lagon, des artistes aussi captivants que Dionysos, Cocorosie, The Do, Bumcello, Brisa Roché, Keziah Jones ou Lo’Jo vont se succéder en plein air, au milieu des grands filaos qui longent le bord de mer. Cette programmation éclectique, on la doit à un illuminé, un bâtisseur passionné, Jérôme Galabert, qui s’est dit, en dépit des difficultés dûes à l’éloignement: “Je vais le faire”.
Depuis cinq ans, il organise, à 9000 km de Paris, malgré des frais d’approche exorbitants, et la frilosité de partenaires institutionnels qui ne semblent pas avoir tous pris conscience de l’enjeu touristique que représente le Sakifo, une manifestation d’envergure et de qualité qui n’a rien à envier aux “gros” festivals européens. L’occasion, qui plus est, pour Firmin Viry, Danyèl Waro, Lo Griyo, Nathalie Natiembé, Davy Sicard ou Zong (qui incarnent l’identité réunionnaise dans ce qu’elle a de plus métissé, de l’ancestral maloya aux beats électro de Yann Costa) de recevoir des confrères musiciens du monde entier, de leur révéler l’âme créole et de jouer à domicile, dans un cadre idéal, devant un public insulaire en quête de sensations et de découvertes.
L’osmose est si particulière qu’ils sont nombreux à vouloir revenir, certains pour des collaborations artistiques (Nathalie Natiembé avec Bumcello, Émilie Loizeau avec Danyèl Waro)! La Réunion porte alors bien son nom. Quant au festival Sakifo, il en est une illustration concluante.

Baptiste Vignol

* d’un autre poète, Vincent Witomski.

Le site du Sakifo

Le music-hall d'Assayas





















« Moi j'aime Juliette Gréco
Mouloudji, Ulmer, les Frères Jacques
J'aime à tous les échos
Charles Aznavour, Gilbert Bécaud… »
Moi j’aime le Music-Hall, Charles Trenet, 1955

Étonnant comme Michka Assayas, dont on peut supposer qu’il connaît un peu la Chanson, étant l’auteur d’un indispensable Dictionnaire du Rock paru chez Robert Laffont, peut dire – et signer, ce qui est plus contrariant – de grossiers contresens dès lors qu’il s’aventure dans le domaine des variétés.
Dans son billet consacré au dernier album de Camille, le remarquable MUSIC HOLE (VSD, 30 juillet 2008), il écrit: “Face à un talent aussi exceptionnel, on est forcément casse-pieds. Bien plus qu’avec une bonne élève laborieuse. […] J’avoue que quand elle s’adonne à ses jeux de mots et allitérations rigolotes, je me renfrogne un peu, parce que ça me fait penser aux Frères Jacques.”
Il a tort. Et ça n’est pas être “casse-pieds” que de le souligner! Mais peut-être n’a-t-il jamais vu un spectacle des Frères Jacques? Ce serait regrettable, car Michka Assayas aurait pu les applaudir, leur tournée d’adieu s’étant achevée en 1982… Il avait alors 24 ans. Peut-être ce journaliste ne connaît-il point encore l’œuvre du quatuor? Ce serait plus gênant pour quelqu’un qui prétend y chercher une référence. À moins qu'il n'ait parlé sans réfléchir, comme ça, pour faire son Jacques… Ce qui serait lamentable.
Rappelons-lui que les Frères Jacques élaboraient leur répertoire avec tant d’humour, de brillance et de poésie qu’ils furent fêtés, trente ans durant, dans les théâtres du monde entier. Interprètes de génie, ils étaient admirés et servis par Raymond Queneau, Serge Gainsbourg (dont ils créèrent Le poinçonneur des Lilas), Boris Vian, Francis Blanche, Bernard Dimey - que des tocards!-, sans oublier Ricet Barrier, Georges Brassens, Charles Trenet ou Boby Lapointe.
Se souvient-il, le chroniqueur, que le quatuor en collants noirs chantait si bien les chansons de Prévert que le poète s’en montrait fier? “Aux feux de la rampe, écrivait-il, les Frères Jacques allument un vrai feu de joie et les planches brûlent en crépitant, et ils dansent autour en chantant.”
Voilà qui vaudra toujours plus qu’un satisfecit de Michka. Mais peut-être Jacques Prévert est-il ringard au regard d’Assayas?

Baptiste Vignol

Chanson sans calcium
Stanislas (avec Brigitte Bardot)