Clarika, tu sais


«Je suis 1000 vies, mais le cœur d'un seul» annonce d'entrée le nouveau disque de Clarika, son septième en carrière depuis 1993 et qui sur treize chansons jamais pleurnichardes évoque avec une voix de flammes douces la rupture amoureuse, nette, et sans appel, puisque «la vie trop conne, tôt ou tard, finit toujours pas tout gâcher» (Je ne te dirai pas). La tête de son ex quand, en écoutant ces chansons, il a pu contempler les dégâts de son geste luire au travers de quelques vers tranchants : «Le poignard plongé dans l'cœur et la lame qui s'retire pas» (Je ne te dirai pas), «Le choix de troquer son épouse contre une mannequin prépubère» (Le choix), «T'en fais pas, on finira pas notre histoire, comme Georgette et Bernard, qui se sont dits au revoir, adieu pour la dernière fois, là, dans un lit du Lutetia…» (Le Lutetia). Cet opus élégant s'achevant avec Les beaux jours, sage complainte pâle et poignante: «Alors j'attends la boule au ventre, oui mais j'attends que les beaux jours rentrent, que les beaux jours rentrent, que les beaux jours rentrent…». 
Clarika, pour les novices, ce fut un bol d'air salutaire et de modernité canaille dans la variété française aiguillée par le Top 50 à l'aube des années 90, devançant d'une part Les Elles, Nina Morato, Rachel des Bois, Claire Diterzi (tout l'opposé des mièvreries fades et molles arrangées par Manoukian pour Liane Foly), annonçant d'autre part La Grande Sophie, Jeanne Cherhal et Camille. DE QUOI FAIRE BATTRE MON CŒUR, sorti en février 2016, est ce qu'elle a fait de plus fort depuis ÇA S'PEUT PAS, il y a vingt ans, qui contenait, outre le mini-hit Beau comme garçon T'es beau comme garçon, mais y a tant d'air dans ta tête / Qu'on peut y faire de l'avion, la la la la la»), Non, ça s'peut pas, ce trésor: «Ça s'peut pas qu't'aies pas un jour, ça s'peut pas / Pour une autre les yeux d'l'amour, tu m'oublieras…» Il n'y a que les prémices d'une relation amoureuse ou bien sa fin qui inspirent les artistes. «Il faut qu'ils aient au cœur une entaille profonde pour épancher leurs vers, divines larmes d'or !» notait Théophile. Clarika est là, de retour.

Baptiste Vignol

La télé nouvelle


Qu'a donc accompli le pianiste André Manoukian pour jouir d'une réputation artistique qu'il ne mérite vraiment pas, lui qui n'a signé jusqu'ici, en trente cinq ans de carrière, qu'une chanson vaguement populaire (Au fur et à mesure) pour Liane Foly en 1991, cumulant en revanche les échecs commerciaux parmi lesquels ses projets solo dont tout le monde s'est toujours tamponné ou bien encore l'album CHEYENNE SONG qu'il a composé et produit en 2008 pour, mais si, souvenez-vous, Gaëtane Abrial… Des états de service assez lumineux visiblement pour avoir été fait Chevalier des Arts et Lettres en janvier 2014 des mains d'Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture. La bonne blague. Mais il faut dire que depuis 2003, Manoukian squatte les télé-crochets en tous genres (Nouvelle Star, Danse avec les stars, La France à un incroyable talent…) où il distille à tout-va des citations soi-disant philosophiques qui n'impressionnent que les gogos. Dans la nouvelle édition de Nouvelle Star où il vient comme chaque année prendre son chèque, Manoukian s'est révélé le 18 février 2016 tel qu'il est peut-être dans le fond, bête et méchant. Face au candidat sud-coréen venu interpréter à la demande de la production Je ne regrette rien d'Édith Piaf (il aurait souhaité chanter un titre de R.Kelly a-t-il expliqué au site Konbini), Manoukian et ses compères (Sinclair - mais qu'a donc accompli Sinclair pour… -, Élodie Frégé et l'ex-rappeur Joeystarr) se sont comportés comme ils n'auraient pas osé le faire face à quelqu'un venant d'Afrique Noire, raillant, à coups de fous-rires déplacés, son prénom («On va t'appeler Luc» lui balance Didier Morville, alors qu'il s'appelle Dukhwan Kim), son accent, son phrasé, ses origines en somme… Mais ça n'est pas tout. Deux secondes à peine après le début de sa prestation, Manoukian ricanait déjà, précisant, hilare, et content de lui: «Moi, un petit peu quand même», si tôt que l'étudiant francophile de 18 ans eut terminé les deux fameux premiers vers de la chanson («Non, rien de rien / Non, je ne regrette rien»), lequel sera stoppé net par Joeystarr avant la fin du troisième vers, au bout de vingt et une tristes et humiliantes secondes… Le pompon du mépris revenant à Élodie Frégé qui, pour commenter l'audition de Dukhwan Kim, avance simplement: «Je ne sais pas si c'est la cuisine française qui te reste dans la gorge, mais ça sonne très, très bizarre quand même!» Pauvre télévision française.

Baptiste Vignol

Toujours Renaud


Et hop, après les cinq millions d'écoutes depuis que la chanson a été dévoilée sur la Toile le 28 janvier 2016, c'est un million de vues qui viennent de s'ajouter pour le clip de Toujours debout tourné dans un Grand Palais désert mais plein d'une émotion propre à submerger les fans de Renaud. «J'suis retapé», dégaine-t-il à l'entrée du morceau, «remis sur pieds, droit sur mes guiboles. Ressuscité !» Et c'est vrai qu'il touche au cœur, le plaisir de retrouver le regard bleu du chanteur, lucide et droit. Sa dégaine aussi, élégante et fidèle au héros populaire que l'ancien minot de la Porte d'O est devenu à force de refrains légendaires soufflés sur l'hexagone depuis 1975. Les doigts bagués d'or comme aux temps d'espérance des années Mitterrand, bien posé sur ses jambes (de plus en plus?) arquées, le chanteur énervant rassure ici son public en montrant un visage reposé. La gestuelle est là, nette, et les mimiques aussi, attendrissantes. Chaussé de camarguaises, tout simplement fringué du fameux équipage jean délavé, t-shirt et cuir noir, Renaud, croix huguenote sur la poitrine, continue d'agacer ceux-là qui le détestent tant, et l'on devine ici le pied qu'il y prend. Pourtant, comment ne pas s'émouvoir au sourire enfantin, celui du garnement, qu'il esquisse à la quarante et unième seconde du morceau et qui ressemble à un baiser? Le secret de l'immense succès de Renaud réside aussi, par-delà la force des mots et son sens de la métaphore («C'est l'hécatombe, c'est Guernica», qu'il est beau ce vers-là qui dit tant à la fois), dans la complicité, unique, avec laquelle ce mec imprévisible a su, avec le temps, tatouer l'âme des Français. 

Baptiste Vignol

Les gens sont méchants


La variété est bizarre qui sacre des chanteurs auréolés par le métier avant que les médias ne s'en écartent violemment, puis que le public ne les oublie, volage adorateur de mille visages divers qui s'entiche toujours d'une nouvelle idole. Jeanne Mas, François Feldman, qui remplirent Bercy au faite de leurs gloires, Liane Foly, Bénabar, Raphael ou bien Shym aujourd'hui… Gens élevés jusqu'au-dessus des nues. Vianney tombera-t-il du piédestal sur lequel ses pairs l'ont dressé? Sacré «chanteur 2015», bien qu'il n'ait vendu, depuis octobre 2014, que 60.000 IDÉES BLANCHES (quand un Kendji Girak s'approche du million de Français suffisamment séduits pour acheter son premier album sorti en septembre de la même année), Vianney Bureau, né à Pau en février 1991, ne se distingue pas simplement par sa coupe savamment décoiffée. Il s'illustre également par sa façon de tenir sa guitare, comme un jeune papa gauche qui ne saurait trop comment porter son bébé, ainsi que par des reprises, disons, aléatoires. Quand j'étais chanteur aux dernières Victoires sonnait empoté, et c'était triste; mais L'encre de tes yeux, dont il vient d'asperger de fausses notes et de bredouillements interminables le Grand Studio d'RTL, faisait mal aux oreilles malgré la délicatesse d'Anne Sila. Le jeune homme est intelligent et vient avec panache de refuser l'invitation des Enfoirés où se ruent d'anciennes starlettes périmées. Rebelle à suivre?

Baptiste Vignol