L'élévation Ludéal


Il a tout pour, la voix, épaisse, chaude, crémeuse, l'écriture, pleine d'images et aventureuse, l'instinct de la mélodie qui tourne et galope. Il fait partie de celles et ceux grâce auxquels on peut affirmer que la chanson française, cette vieille dame toute refaite, peut encore foutre la gaule. Son disque précédent, ALLEZ L'AMOUR (2010), contenait un tube, un vrai: Allez l'amour, sauf qu'on ne l'a jamais entendu ni vu son clip, pourtant aussi simple qu'efficace. Comment tomber sous le charme de nouvelles idoles si l'on ne nous les présente pas? Pardon pour l'antienne mais ce sont les programmateurs-radio (dont il faut bien se demander par quel stratagème ils obtiennent leur poste) qui, par indifférence, bêtise et ignorance, étouffent la nouveauté quand elle est vive et valable. S'ils étaient curieux, sensibles et cultivés, ces gonzes-là n'enverraient pas aux Victoires ceux qui y sont convoqués. Tiens, en parlant des gens des Victoires, ils ont l'air malin avec le refus des Daft Punk d'y concourir, eux qui viennent de tout rafler aux Grammy Awards… Quand on a la prétention de servir la musique, de la programmer, il faut un peu d'éducation; cela ne se trouve pas sous le sabot d'un canasson. «J'ai l'authentique sang chaud/ Des chevaux sauvages/ Et ce n'est pas au lasso/ Qu'on m'amadouera…» Ainsi le chanteur Ludéal ouvre-t-il PAON D'OR, discrètement sorti de sa boite le 6 janvier 2014. C'est son troisième album et il mérite déjà tous les trophées que le métier ne lui donnera pas. Allons-nous coucher[…] mes rêves élastiques/ […] mènent à l'éther et aux sommets sans cimes/ […] Je suis plus à l'aise en altitude/ Là-haut mes ailes ont de l'envergure») fait forcément songer à l'«Élévation» de Baudelaire («Par-delà le soleil, par-delà les éthers/ […] Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse/ S'élancer vers les champs lumineux et sereins…»). Sinon? Qu'as-tu dans la tête? est un bonbon dont on aimerait tellement croire Daho encore capable («Qu'as-tu dans la tête?/ Des filles ou des mecs/ Toutes façons je t'aime/ Tel que t'es»). L'indicible et mâle volupté des chœurs d'Au largeAu large quand on nageait ensemble/ On s'emmêlait aux algues/ Qu'on repoussait ensemble/ En retrouvant la plage…») donne envie d'aller se pâmer dans l'onde. Quant à Deux minutes, elle possède le feu clair des chansons les plus limpides d'Alain Bashung. Ce disque d'or démontre que, tout comme le plumage de l'oiseau, certaines inspirations, même dédaignées, se renouvellent avec éclat.

Baptiste Vignol