Lescop sort du bois


Des mois que La Forêt poussait sur le Net. Le parcours idéal d'un mini-tube underground. Lescop, cet inconnu, fait aujourd'hui la couverture des Inrocks, après avoir eu l'honneur d'une pleine page dans Technikart et - consécration ?- chanté dans le «Live» du Grand Journal de papy Denisot. Démarrage en fanfare. Systématiquement comparé aux vénérables Darc et Daho, Mathieu Lescop soufflerait une brise marine - et rochellaise - sur la pop éduquée magnéto-synthétique que ses aînés infusèrent dans les charts français il y a une éternité.
Son premier album LESCOP n'était pas encore dans les bacs que l'on savait déjà tout de l'univers ténébreux du jeune homme, Melville (Le Samouraï) et Schoendoerffer (La 317è section) pour le cinéma, la coldwave de Manchester ou Drieu La Rochelle, probablement pour sa plume kaléidoscopique. Tout? Sauf un détail, qui saute aux yeux: sa chanson phare, l'insondable La Forêt, rappelle un film contemporain de la Nouvelle Vague génialement photographié par Pierre Lhomme avec à l'affiche Romy Schneider, parfaite, et Jean-Louis Trintignant, sidérant dans le rôle d'un exalté de l'OAS... «Le combat dans l'île» (1961) d'Alain Cavalier. La référence cinéphile du morceau à l'insoutenable scène finale où Jean-Louis Trintignant, dont la fauve interprétation semble imprégner Lescop, et Henri Serre se chassent à main armée est tellement lumineuse que si le chanteur la niait, on ne saurait le croire. Des chefs-d'œuvre du septième art naissent parfois de fulgurantes chansons. Au bazooka.

Baptiste Vignol


Un poète est parti

(Francesca Solleville et Claude Vinci, photo Daniel Pantchenko)

En feuilletant le blog de Daniel Pantchenko (Chansons que tout cela), on apprend que Claude Vinci est mort le 7 mars 2012. Stupeur, j'ai laissé mourir un camarade sans en rien savoir et je n'avais rien lu sous les plumes pourtant averties des chasseurs de nouvelles que sont Benjamin Locoge (Paris-Match), le prince de l'interview, ou Emmanuel «Moi je» Marolle (Le Parisien). Cruelle désinvolture! En préface à la cantate DE DÉSESPOIRS EN ESPÉRANCE (1978), Louis Aragon écrivait des textes de Vinci qu'ils étaient «forts, sensibles, flairant parfois l'exquise saveur du quotidien pour s'en échapper aussitôt afin de s'envoler vers les hauteurs de l'universel. Une démarche éluardienne, brechtienne. "De l'horizon d'un homme à l'horizon de tous".» Pour parler de ces chansons, Aragon employait également le mot «diamants»...


En 2003, Universal avait sorti un double CD, l'aurait-on oublié? CLAUDE VINCI, QUARANTE ANS DE CHANSONS, sur lequel brillaient Liberté, la toute première qu'il enregistra, mise en musique du poème d'Éluard qui lui avait valu les compliments d'Yves Montand, son idole de jeunesse, Les amours de l'été offerte par Anne Sylvestre, Près d'Amoucha accompagné par Stan Getz, d'autres de Pierre Louki, Jean Ferrat, Léo Ferré, et vingt-quatre des siennes, dont les musiques étaient pour la plupart composées par Jean-Claude Petit.  Vinci était un homme de parole(s), marqué au fer rouge. Il «chantait» la guerre d'Algérie, qu'il avait désertée. L'amour, sans manières. La lutte ouvrière et l'engagement politique, avec une foi inébranlable: «Plutôt que de contester / Je préfère revendiquer / Car la revendication / Comporte la contestation...» (Moi, je revendique).
Nous nous étions rencontrés chez Pascal Sevran qui était le seul, quoi qu'on en dise, à recevoir sur son plateau les Pierre Louki, Anne Sylvestre, Marc Ogeret, Jean Vasca, Henri Tachan, Jacques Bertin, Francesca Solleville, Allain Leprest, Michelle Bernard, Sarclo, Michel Buhler... Nous nous étions revus sur le salon La Chanson des livres. Nous bavardâmes au téléphone - ah! cette voix chaleureuse qui prenait son temps, imposait son tempo, et qu'on peut entendre, au bout du fil, sur le blog de Pantchenko. Quand on lui demandait quelles étaient ses chansons préférées, il citait Le temps des cerises forcément, Le chant des partisans bien sûr, par Montand son «parrain», Le déserteur, Anne Sylvestre, sa «frangine», Ma France de Ferrat, du Ferrat-Aragon, L'affiche rouge de Ferré dont il avait modifié un vers avec la permission d'Aragon... Oui, la mort de Claude Vinci aurait dû cogner à l'huis de bien des cœurs. «Un jour, assurait Aragon, quand nous aurons vaincu le brouillage [des ondes], les chansons de Vinci feront anthologie.» Qu'ajouter après le poète si ce n'est que Claude est mort à quatre-vingt ans? Comme chantait Jean Ferrat, «t'aurais pu vivre encore un peu» l'ami!

Baptiste Vignol