Naturaliser James Corden, et vite!

(James Corden et son invité, chantant Let it be)

Le problème de la chanson française, de son avenir, n’est pas la qualité de ses auteurs, de ses compositeurs, de ses interprètes, c’est l’âge de ceux qui sont censés la promouvoir, aux yeux comme aux oreilles du grand public. Comment espérer que les kids du pays ne la trouvent pas ringarde, dépassée, poussiéreuse et bavarde lorsqu’elle est défendue par d'indéfectibles barbons obséquieux ou de jeunes quinquas vanneurs, le tif savamment décoiffé, qui s’écoutent – c’est le pire – davantage poser leurs questions qu’ils ne font attention aux réponses des artistes… Inutile de s'attarder sur la cérémonie des Victoires de la Musique, totem de la grand-messe la plus assommante qui soit. Place à la relève, enfin! Aux passionnés qui vibrent encore et connaissent leur sujet, son histoire, ses nouveautés. Une émission britannique fait un carton sur le Net depuis sa mise en ligne le 22 juin 2018 (100 millions de vues en un mois), avec pour invité Paul McCartney, ce génie absolu, ce dieu vivant, ce Mozart de la pop pour qui certains cinglés n’hésitent pas à se coltiner 24 heures de vol en bétaillère et prendre 12 heures de jetlag dans les cernes afin d'aller l’écouter en prière à Auckland, Nouvelle-Zélande. Voir McCartney live dans le plus beau pays de monde… Et mourir tranquille. Présenté depuis 2015 par James Corden, londonien de 39 ans, The late late show se déroule dans l’habitacle d’une voiture familiale. Tout bête. Corden est au volant et interviewe la star du jour avec une simplicité, une gaieté, une curiosité merveilleuses. Surtout, Corden connait à la perfection le répertoire de ceux qu’il interroge, ce qui permet évidemment des relances, des confidences et des moments de complicité rares et délicieux. Un peu de culture, d'écoute et d'humilité, voilà ce qui manque à nos animateurs, plus soucieux de leur image, et de leur coupe de cheveux, que de ce qu’ils pourraient tirer des artistes, s’ils s’oubliaient un peu.

Baptiste Vignol


La voie de Barbara


MAGNETIQUE est le titre de son sixième album. Il n’a rien de mensonger. Comme l’aimant, la voix de Barbara Carlotti attire invinciblement. Elle enchante, elle conquiert l'attention. Quant aux chants magnétiques que la Parisienne propose, ils ont la spontanéité et la bizarrerie des choses surréalistes. Ses divagations oniriques diffusent un fluide envoûtant, une influence mystérieuse, un rayonnement obsédant. Des gouttes de lumière qui descendent, ondulent et s’envolent. Pas facile d’évoquer l'univers languide, énigmatique, fantastique, insolite et osé dont la chanteuse, telle Philotès, se fait déesse au bord du vide. « Je cherche un goût de sable gris / De sperme, de sang et de vomi / Pour ne pas tout à fait mourir! » (Paradise Beach). Carlotti chante le plaisir. Elle l’étudie, s’y engouffre et le fait avec une sensualité dénuée de tout maniérisme. « Viens dans ma chambre que je t’explique / Je suis sûre que tu apprécieras » lance-t-elle, velours, dans Phénomène composite. Oh la promesse ! Inutile d'inspecter le livret du CD, pas d’adresse ni d’email pour répondre à l’invitation. Dans Voir les étoiles tomber, elle confie d’une voix lactée : « J’ai trop de feu, trop de violence, trop d’énergie, / Trop de désir, trop de peur / Et j’ai l’impression que si j’arrive pas / A canaliser tout ça / Je vais me consumer d’un coup / Mon cœur va lâcher… » Enfin, telle une cavalière aguerrie, elle détaille, dans La Beauté du geste, ses passe-temps intimes… « Moi j'aime les sports équestres !» L’inspiration méandrique de Barbara Carlotti fascine par son sens de l'oblique. Six ans après L’AMOUR, L'ARGENT, LE VENT (l'un des plus beaux disques de la décennie), la chanteuse, avec MAGNETIQUE, demeure au sommet de l’élégance française.

Baptiste Vignol


La blondeur des dunes


Apprendre dans Vanity Fair qu'Angèle serait « née » d'un featuring sur le morceau de son frère Roméo Elvis, J'ai vu, qui précéda les trois singles brodés d'or (La Loi de Murphy, Je veux tes yeux, La Thune) de la Bruxelloise. « Ma sœur a mis sa voix sur la prod, ça me calme / Papa écoute le son avec le sourire / Maman écoute le son avec le casque et le mal s'évapore... » Tenter d’imaginer la fierté de Marka, de leur mère… La voix d’Angèle semble venir de si loin… Un souffle chaud, une haleine caressante, qui vous enveloppe, vous apaise et se disperse dans l'air. Un message mystérieux porté par un invisible vent du sud qui pourlèche en les ciselant les dunes blondes et mouvantes du Sahara. Vague de frisson.

Baptiste Vignol

Zazie speede


Ne pas méjuger l’eau qui dort. Après deux saisons de professorat qui en auront déboussolé plus d’un, et quelques disques nébuleux, Zazie revient, allez hop, avec un single, Speed, qui s’impose comme un modèle du genre. Se méfier de la poudre, des compositions fusantes. En parlant à son cœur dont elle fait un personnage (« Je te sens battre au fond de moi / T'es pas tout neuf mais pas si vieux / Non, t'es flambant vieux »), ainsi que Jacques Brel s'adressait dans Mathilde à ses bras et ses mains (« Et vous mes mains, ne tremblez plus / Souv'nez-vous quand j'vous pleurais d'ssus… »), Zazie jaillit des abysses avec un hymne à l’amour éclatant de rage, de soif et de désir. Speed est une chanson volante. Elle agit comme une fusée, qui s’échauffe piane-piane, bouillonne, fend l’onde dans une gerbe d'écume, s’envole et finit sa course céleste avec incandescence. Que c’est beau une fusée qui illumine la nuit. Rarissimes sont les chansons françaises dont le tempo s'enflamme avec une telle évidence. Speed est un voyage. De trois minutes et trente secondes. Zazie n’a rien perdu de sa vélocité.

Baptiste Vignol