50-59 Du sang neuf

Les années 50 seront celles du vinyl, avec l'apparition du 25 cm pour remplacer les vieux (et lourds) 78 tours. Ainsi naîtra le marché du disque, qui croupit aujourd'hui. Ce seront aussi les années cabarets, celles des premiers hit-parades, des premières revues spécialisées (Music-Hall) et d'un jeune auteur-compositeur-interprète dont le génie, et l'humilité, marqueront à jamais la chanson française.
Voici donc 11 (pourquoi 11? parce que) disques essentiels pour dresser un tableau éloquent des années 50.



LE PETIT BONHEUR (1950) de Félix Leclerc. L'incontestable révolution du début de la décennie. Grâce à Félix Leclerc, la chanson va s'affranchir de Charles Trenet. Interprétés à la guitare, les refrains du Québécois connaissent un formidable succès. Le Petit bonheur, Bozo, Moi, mes souliers... Autant de références pour ces jeunes gens inconnus que sont alors Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart...



RÉCITAL DE L'ÉTOILE (1952) de Charles Trenet. En 1952, Charles Trenet est (déjà) considéré comme le légendaire Fou chantant. Je chante, Y a d'la joie, Boum, La mer, Revoir Paris, La folle complainte, J'ai ta main, Douce France... l'ont pour toujours installé au panthéon de la chanson. Mais au théâtre de l'Étoile, Trenet présente ses dernières créations. Encore des classiques ! L'âme des poètes, Mes jeunes années, Le serpent Python, Mon vieux ciné... Fabuleux Charles Trenet qui disait écrire des chansons comme un pommier fait des pommes.



GEORGES BRASSENS CHANTE LES CHANSONS POÉTIQUES (ET SOUVENT PAILLARDES) DE GEORGES BRASSENS (1952) de Georges Brassens. Éduqué au Trenet, libéré par Leclerc, encouragé par Patachou, Georges Brassens devient en un seul disque le nouveau phénomène de la chanson. La mauvaise réputation, Le parapluie, Le gorille, La chasse aux papillons, Cornes d'auroch, Hécatombe... Jamais autant de chefs-d'œuvres n'avaient été réunis sur un seul et même album !



LE VENT (1953) de Georges Brassens. Un an après son premier essai, Brassens récidive... et ne faiblit pas. J'ai rendez-vous avec vous, Bancs publics, Brave Margot, La cane de Jeanne... Ahurissant. Une question se pose cependant: quand cessera de souffler l'ouragan Brassens ?



LES SABOTS D'HÉLÈNE (1954) de Georges Brassens. Intarrissable et toujours aussi génial, Brassens propose maintenant Les sabots d'Hélène, Chanson pour l'Auvergnat, Une jolie fleur, Je suis un voyou, La première fille, P... de toi. En moins de trois ans, et trois galettes seulement, il a signé plus de chefs-d'œuvres que n'importe quel autre confrère (mis à part Charles Trenet) en une carrière. Phénoménal.



ALORS RACONTE (1956) de Gilbert Bécaud. Mr 100 000 volts comme on le surnomme depuis son triomphe à l'Olympia en 1954, publie là son deuxième 25 cm. Il s'y révèle un mélodiste redoutable : Le pianiste de Varsovie, La corrida, Alors raconte (l'un des hits de l'année) et l'éternel Je t'appartiens que reprendront ensuite (Let it be me) les Everly Brothers, James Brown et Bob Dylan.



CHARLES AZNAVOUR (1956) de Charles Aznavour. Auteur à succès pour Juliette Gréco (Je hais les dimanches, 1951), Édith Piaf (Jezebel, 1951), Gilbert Bécaud (Viens, 1952; Mequé Mequé, 1953), il n'a pas encore réussi à imposer sa voix... Sur ma vie, une chanson sur l'amour physique (thème scandaleux à l'époque), va faire d'Aznavour une star de la chanson. Qu'il est toujours 55 ans (et une ribambelle de succès) plus tard. Éloquent.



L'EAU VIVE (1958) de Guy Béart. Ce deuxième 25cm de Béart contient quelques modèles d'écriture comme Vous, Poste restante, Moitié moi, moitié toi... Mais c'est L'eau vive qui va tout emporter. Pendant deux ans, de juin 58 à mai 1960, cette chanson oscillera entre la première et la vingtième place du hit-parade. Un record.



LA SERVANTE DU CHATEAU (1958) de Ricet Barrier. La gaudriole, la pièce rigolote, l'inspiration grivoise compose un genre d'autant plus respectable qu'elle est troussée avec tendresse. En la matière, Ricet Barrier est un maître. La servante du château, La java des Gaulois, Dolly 25, La dame de Ris-Orangis lui valent une reconnaissance immédiate et l'estime des Frères Jacques pour qui ce diseur à l'ancienne écrira une vingtaine de chansons formidables.



DU CHANT À LA UNE !... (1958) de Serge Gainsbourg. Premier album, premier chef-d'œuvre. Le poinçonneur des Lilas, La recette de l'amour fou, Douze belles dans la peau, Ce mortel ennui... Tout Gainsbourg est là. Brillant, hautain, moderne, éminemment original.



NUMÉRO 4 : LA VALSE (1959) de Jacques Brel. Une bête de scène doublée d'un admirable auteur-compositeur. Avec ce quatrième album, Jacques Brel fait dans la perfection. La valse à mille temps, Les flamandes, La tendresse... Et Ne me quitte pas, qui sera repris dans le monde entier par Frank Sinatra, Nina Simone et Ray Charles. Un standard.

Baptiste Vignol