Avant dix ans

C'est janvier 2010. Chacun y va de son Top 10, les meilleurs films, les meilleurs albums rock, les plus grands exploits sportifs, les plus beaux romans des années 2000. De lé 7 Jours à The Times, les classements font loi, confondant hélas trop souvent box office et qualité.
Rayon "Chanson", parce que tel album, PARADIZE d'Indochine par exemple, s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires, hop il se retrouve aussitôt dans la best list de Benjamin Locoge, chroniqueur ès-chanson de Paris Match. PARADIZE d'Indochine comme l'un des disques-phare de la décennie. Hum.
Pour établir ce genre de palmarès, mieux vaut se projeter dix ans en avant, s'imaginer en 2019 et se demander posément quels disques parus entre l'an 2000 et le 31/12/09 s'écouteront sans avoir pris de rides, nous faisant dire : "C'était bien !"
Voici donc 11 (pourquoi 11? parce que) albums essentiels des années zéro.


CORPS & ARMES
(2000) d'Étienne Daho. Ne serait-ce que pour le premier morceau, Ouverture, l'un des monuments du Rennais. Un album digne d'EDEN, de PARIS AILLEURS, de POP SATORI. Quand Daho était adulé jusqu'à Wellington - Nouvelle-Zélande, et qu'il symbolisait à lui tout seul la french touch.



MES CHANTS (2000) de Vincent Baguian. Parce que Baguian fait partie de ceux qui, au mitan des années 90, ont rendu à la variété ses lettres de noblesse. À écouter d'entrée : Seul au fond. De ces perles qui posent un auteur, imposent le respect et vous font présenter par Claude Nougaro en personne comme un “écrivain de chansons”. Et puis se laisser emporter par cette versification à l'ancienne, moderne cependant, en un mot brassenssienne.



COMME SI LA TERRE PENCHAIT
(2001) de Christophe. C'est avec cet album au titre durassien (dans "L'Amant", Marguerite Duras écrit du delta du Mekong : "... dans la platitude à perte de vue, ces fleuves, ils vont vite, ils versent comme si la terre penchait...") que le plus ailé des mélodistes français fit son grand retour. J'aime l'ennui, Voir ou Comme un interdit seront quelques clefs du fameux tour de chant que le Beau Bizarre donnerait en 2002 à l'Olympia. Inoubliable.



CHANSONS POUR LES PIEDS (2001) de Jean-Jacques Goldman. Le dernier album à ce jour du plus grand faiseur de tubes des 30 dernières années. 9 ans déjà. Son dernier album tout court ? Relisons ce qu'il disait en décembre 2001 à Gilles Médioni dans l'Express: "J'adore l'histoire de Jean Sablon, un chanteur des années 40 que ma mère aimait bien. En pleine gloire, il a décidé de s'installer dans le Midi et on n'a plus entendu parler de lui. Je suis fasciné par ce genre de destin." Un disque où il demandait notamment, quelques mois avant un funeste 21 avril: «Combien d'échecs avant que l'on comprenne?/ Et d'autos brûlées pour voter FN ?» (Un goût sur mes lèvres).
Il faut toujours écouter ce que disent les chanteurs populaires.



LE SAC DES FILLES (2002) de Camille. Un album aujourd'hui sous-estimé, pour ne pas dire décrié. Et pourtant. Il était le premier ouvrage, la première trace d'une musicienne qui allait s'imposer comme l'artiste féminine de la décennie. Sans LE SAC, pas de FIL ni de MUSIC HOLE ! Et puis, Mon petit vieux n'est-elle pas une chanson singulière? De ces portraits qui ne peuvent être écrits que par des auteurs d'envergure. À redécouvrir donc.



LILITH (2003) de Jean-Louis Murat. À ce jour le plus beau disque du sieur Bergheaud, avec CHEYENNE AUTUMN (1989) et MUSTANGO (1999). Un double album imparable, composé de 23 chansons pour une vingtaine de pépites. Qui dit mieux ? S'il fallait en extraire un titre... Disons Le voleur de rhubarbe. Une chanson qui sitôt découverte intègre le folklore, au sens noble du terme.



NOTRE-DAME DES LIMITES (2005) de Julien Baer. Le troisième album de Julien Baer atteint des sommets d'émotion. Depuis Le monde d'écroule (1997), Baer écrit des chansons magnifiques mais qui tardent à séduire le grand public. C'est chaque fois partie remise, car on ne peut éternellement signer autant de bijoux méconnus ! LE LA, son dernier CD, sorti en février 2009, aurait pu figurer dans ce classement. Mais c'est NOTRE-DAME DES LIMITES qui emporte le morceau pour des titres aussi renversants que Roi de l'underground, Tu es une île ou l'exquise Berceuse.



L'HORIZON (2006) de Dominique A. Dépouillé, émouvant, unique, intense, profond, poétique, modèle, perfection, admirable, frénétique... Autant de qualificatifs pour résumer en un mot cet album essentiel (un de plus!) de l'auteur-compositeur-interprète le plus influent, c'est-à-dire le plus souvent cité (avec Bashung et Renaud) par ses consœurs/frères ces 20 dernières années.



DES ROSES ET DES ORTIES (2008) de Francis Cabrel. 30 ans que Francis Cabrel poursuit son chemin, se fichant bien des modes et des critiques. Après SARBACANE, SAMEDI SOIR SUR LA TERRE et HORS SAISON, il retrouve là son niveau d'excellence. Du travail ficelé, avec amour et savoir-faire, et en bonus un chef-d'œuvre, qu'on reprendra encore dans cinquante ans : La robe et l'échelle.



LA SUPERBE (2009) de Benjamin Biolay. Enfin! L'album qu'on attendait, dont on savait Biolay capable. Avec deux véritables classiques : Brandt rhapsodie (cosigné et interprété en duo avec Jeanne Cherhal) et Ton héritage, qui ont illico intégré le répertoire éternel de la chanson française.



CLAIR (2009) de JP Nataf. Si cet album n'était pas sorti en novembre 2009, mais deux mois plus tard, on sait déjà qu'il aurait figuré dans le top 10 des années 2010. Quand en 2020 nous écouterons, si Dieu nous prête vie, les vieux CD de notre jeunesse envolée, nul doute que CLAIR fera partie de ceux qui n'auront pas flanché. Du grand art. Un de ces disques miraculeux dont on ne peut se défaire.

Baptiste Vignol