Indispensables

Il y a les disques majuscules, parce qu'ils abritent trois ou quatre chefs-d'œuvre de la chanson, ou parce qu'ils ont été des repères, des points de départ, des sources d'inspirations... Et puis il y a ces chansons, tout aussi prodigieuses, mais qui figurent plus esseulées sur des albums disons moins parfaits. Elles sont souvent regroupées sur des Best of ou des enregistrements publics. Voici donc pour clore en beauté cette anthologie de la discographie française 11 compilations (pourquoi 11? parce que) absolument indispensables.



Beaucoup se souviennent de Bourvil pour ses énormes succès, Les crayons (1946), La tactique du gendarme (1950), Ballade irlandaise (1957), Salade de fruits (1959), Un clair de lune à Maubeuge (1961).... Mais il comptait aussi dans son répertoire quelques perles plus confidentielles, C'était bien (1960), Ma p'tite chanson (1960), Mon frère d'Angleterre (1961) qui justifieraient à elles-seules sa présence dans ce Top 11.



Avec Eddy Mitchell et Michel Delpech - mais il fallait faire un choix..., Joe Dassin est l'exemple parfait du chanteur populaire. Habile mélodiste, doublé d'un "performer" au déhanché américain, ce docteur en ethnologie interprétait des ballades entraînantes que l'on est toujours heureux de chanter sous la douche, au volant, et de reprendre entre amis. "Elle m'a dit d'aller là-haut siffler sur la colline..." La belle Variété.



Sanguine, tendre, outrancière, onirique, délirante, théâtrale, voilà la plus grande interprète francophone (vivante). Citons, en vrac, chez Diane Dufresne J'ai rencontré l'homme de ma vie, Chanson pour Elvis, Oxygène, Le parc Belmont, Les hauts et les bas d'une hôtesse de l'air, Maman, si tu m'voyais, Strip Tease, J'vieillis... autant de merveilles qu'il convient de connaître. L'une des fiertés du Québec.



Il y eut les années Mirza, faites de tubes "rigolos" (Les cornichons, 1965; Oh Hé! Hein bon, 1965; Le téléfon, 1966) et sa période expérimentale où, de retour d'Italie, Nino Ferrer publie des albums très instrumentaux (MÉTRONOMIE, 1972), chantés presque entièrement en anglais (NINO AND RADIAH, 1974), mais qui contenaient chacun une splendeur : La maison près de la fontaine ou Le Sud. Inoubliable.



MORCEAUX DE CHOIX. Dès son premier 33 tours paru en 1968, l'excentrique annonce la couleur: BRIGITTE FONTAINE EST FOLLE. Bien. Puis elle enregistre COMME À LA RADIO, trop underground pour la résumer et quelques autres "expériences" sonores. Soutenue par Étienne Daho, elle réapparaît au début des années 90 et enchaîne les titres formidables (Le nougat, 1993; Conne, 1995; Ah! que la vie est belle, 1997; etc.). Une artiste hors-norme.



De 1950 où elle crée Je hais les dimanches de Charles Aznavour à JE ME SOUVIENS DE TOUT (2009), Juliette Gréco aura chanté des dizaines d'auteurs dont Jacques Prévert, Georges Brassens, Pierre Mac Orlan, Jean Ferrat, Maurice Fanon, Léo Ferré, Charles Trenet... Retenons La javanaise que lui offrit Serge Gainsbourg et dont elle fit un succès avant qu'il ne l'enregistre lui-même, Il n'y a plus d'après à Saint-Germain des Prés de Guy Béart ou Les vieux amants de Jacques Brel. Ce sont des chansons de Gréco. Voilà sa force, son génie! Sublimer des chansons jusqu'à les incarner.



Quand elle débarque en France en 1997, portée par Charles Aznavour, la presse unanime s'enflamme : "Attention, phénomène!" Une huitaine d'albums plus tard (et deux ou trois pépites par CD), Lynda Lemay n'a rien perdu de son pouvoir d'émotion, de son humour dévastateur, de sa simplicité. Dotée d'un charisme saisissant, il faut la voir sur scène où Le plus fort c'est mon père, La visite, À l'heure qu'il est, Les filles seules, Maudits Français... prennent une ampleur étonnante.



Parce qu'il fut une figure majeure de Saint-Germain-des-Prés, admirée par Marcel Carné, Jean-Paul Sartre et Albert Camus. De sa voix grise et monotone, désinvolte, populaire, "Moulou" chanta Jacques Prévert, Raymond Queneau, Boris Vian, Bernard Dimey, osant interpréter Le déserteur le jour même de la chute de Diên Biên Phu. Ce qui fit un scandale. Pour le bonheur aussi de ré-entendre Comme un p'tit coquelicot (1952) ou Un jour tu verras (1954)! Un très grand.



NOIR DÉSIR EN PUBLIC. Pourquoi ne pas avoir choisi un album-studio des NoirDèz? Parce que cet enregistrement réalisé pendant sa dernière tournée traduit à la perfection l'énergie du groupe, son âpreté, ses engagements, osons le dire sa poésie. La perfection du rock français.



Comment imaginer une discothèque sans un double-album d'Édith Piaf? Depuis Mon légionnaire (1935) jusqu'à À quoi ça sert l'amour (1962), on compte des centaines de chansons, et des dizaines de succès. Le symbole de la chanson française de Buenos Aires à Tokyo en passant par Auckland et San Francisco. Immortelle.



Avec JARDIN D'HIVER (2000), Salvador vit à 83 ans un étonnant retour en grâce pour un album largement surcôté. S'il figure dans ce palmarès, c'est pour ses chansons "créoles", aussi douces que des quartiers de mangue. Une île au soleil (1958), Bora Bora (1958), Dans mon île (1958)... Et bien sûr Syracuse (1963), Maladie d'amour (1950), Clopin Clopant (1946) et Le Loup, la biche et le chevalier (1955) qui lui valent la postérité.



SHELLER (1991). Une discographie importante, colorée, ambitieuse, truffée de plusieurs hits dont le premier disait "Donnez-moi madame s'il vous plaît du ketchup pour mon hamburger" (Rock'n'dollars, 1975). En 1991, Sheller, seul au piano, interprète ses plus grands succès, faisant la preuve, s'il était besoin, qu'une bonne chanson doit d'abord pouvoir être chantée dans ses plus simples atours. Quel régal de découvrir toutes nues Symphonam, Maman est folle, Nicolas, Les filles de l'aurore, Un homme heureux, Genève ou les magnifiques Miroirs dans la boue. L'un des plus beaux live de la chanson française.

Baptiste Vignol