En ce mois de janvier 2010, pas inintéressant de lorgner trente ans en arrière pour isoler 11 albums de chanson (pourquoi 11? parce que) symboles, dans leur perfection, des années Mitterrand.
Cette décennie sera aussi la dernière du vinyl, et des pochettes de 33-tours pensées comme des œuvres porteuses de sens - ou de messages subliminaux, qui s'analysaient comme on interprète un tableau...
Cette décennie sera aussi la dernière du vinyl, et des pochettes de 33-tours pensées comme des œuvres porteuses de sens - ou de messages subliminaux, qui s'analysaient comme on interprète un tableau...
FERRAT 80 (1980) de Jean Ferrat. La pochette d'abord, où l'on voit le poète devant un incendie, illustration d'un monde en dangereuse mutation... Jean Ferrat était de retour, avec des chansons coups de poing (Le Bilan), charnelles (L'amour est cerise) ou grivoises (La bourrée des trois célibataires), écologiques (Mon pays était beau) quand ça n'était pas encore la mode, de circonstance (Chanter)... Deux millions d'exemplaires écoulés en quelques semaines. Engagé, humaniste, citoyen, Ferrat démontrait qu'il était (encore) le maître du genre.
O GRINGO (1980) de Bernard Lavilliers. La salsa, Stand the guetto, O Gringo... Quelques-uns des titres-phares du chanteur baroudeur (au sens littéral du terme, "Vous commencez à m'énerver. Et les baroudeurs comme moi, quand ils s'impatientent, leurs revolvers partent tout seuls" Alain Bosquet, Les Bonnes intentions) figurent sur ce 33-tours conçu entre New-York et la Jamaïque. Lavilliers attaquait la décennie affûté, sûr de son talent, le flingue à portée de main (posé dans la valise).
LE RETOUR DE GÉRARD LAMBERT (1981) de Renaud. Avec cet album (le 5ème dans sa discographie), Renaud continue d'imposer son personnage, celui du poteau, du grand frère, du loubard idéal. Dix chansons taillées au couteau, dont l'immense Manu. Avec le retour de Gérard Lambert, on assistait aussi à l'apparition du bandana, le fameux foulard rouge qui deviendrait l'indissociable accessoire du chanteur, comme la pipe pour Brassens.
SEPPUKU (1982) de Taxi Girl. Janvier 82, Taxi Girl publie son unique album. Un disque pionnier : la pochette, la façon de chanter (la voix blanche de Daniel Darc), le son, la production, les riffs de Mirwais... Un must de la new wave française. Et les critiques débattaient : Taxi Girl est-il rock ou pas? Vingt ans plus tard, Daniel Darc sortirait de l'enfer avec l'admirable CRÈVE-CŒUR (2004), tandis que Mirwais produirait Madonna. Pas mal.
BABY ALONE IN BABYLONE (1983) de Jane Birkin. Trois ans après leur rupture, Serge Gainsbourg, inconsolable, compose pour sa muse un album fascinant. Sûrement le dernier chef-d'œuvre du Monsieur. Qu'on en juge : Les dessous chics, Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve ou Baby alone in Babylone ! Consécration pour Jane B., renversante d'émotion.
MORGANE DE TOI (1983) de Renaud. En août 1982, la naissance de sa fille va changer la vie de Renaud, épaissir son œuvre, consacrer son écriture, en même temps que Lolita semble l'assagir. N'a-t-il pas troqué son cuir contre un blouson en jean? Parce qu'il comprend cinq piliers du répertoire rénaldien (Dès que le vent soufflera, Morgane de toi, Deuxième génération, En cloque, Déserteur), MORGANE DE TOI est un album incontournable.
MISTRAL GAGNANT (1985) de Renaud. Jamais chanteur n'aura autant -et à lui-seul ! - symbolisé une époque. Avec MISTRAL GAGNANT, Renaud finit de sculpter sa légende. Après le loubard, le papa ébahi, voici l'homme, le père de famille, en proie à la mélancolie. Un album magnifique, dans la lignée du précédent, qui contient notamment l'une des dix plus belles réalisations de l'histoire de la chanson française : Mistral gagnant.
POP SATORI (1986) d'Étienne Daho. Deux ans après Week-end à Rome, Daho publie l'opus indispensable de la pop hexagonale. Tombé pour la France, Épaule Tattoo, Paris Le Flore, Duel au soleil... Que rajouter ? Des textes intelligents sur des musiques idéales. La jeunesse s'était trouvé une idole. Le meilleur des années FM. Quand on pouvait encore poser avec une cigarette...
THE NO COMPRENDO (1986) des Rita Mitsouko. L'album culte des Rita. À peine sortis de Marcia Baïla (#3 en juillet 85), Catherine Ringer et Fred Chichin revenaient sur les chapeaux de roue : Les histoires d'A., puis Andy avant C'est comme ça... La la la la. Une véritable usine à tubes. Inoxydable. La belle année 86 ! Si l'on excepte la défaite de la France en demi-finale (contre l'Allemagne forcément) du Mundial mexicain...
ULTRA MODERN SOLITUDE (1988) d'Alain Souchon. Il fallait qu'en 1988, Alain Souchon vienne sauver la Chanson de ses nouvelles têtes d'affiche (Patrick Bruel, Florent Pagny, François Feldman), histoire de rappeler que la variété peut ne pas manquer d'ambition, de poésie, de subtilité, d'humour et de rêverie. Toutes ces choses aussi mystérieuses que la beauté d'Ava Gardner...
CHEYENNE AUTUMN (1989) de Jean-Louis Murat. Plus rimbaldien (sur la pochette) que jamais, Jean-Louis Murat élève la chanson d'amour au rang des muses respectables. "Si je devais manquer de toi/ Mon vague à l'âme, mon poisson chat..." Un jour on entend ça à la radio et l'on se dit : "Bon sang, mais c'est bien sûr !" Un album d'une rare élégance, qui se révélera en outre libérateur pour Dominique Dalcan, Dominique A, Holden et ceatera.
Baptiste Vignol