Mylène Farmer au Stade de... Farce




Je sais par avance que quelques fans dévolus corps et âme à Mylène Farmer ne manqueront pas de voir dans cet article une nouvelle provocation de ma part. Ils m’accuseront encore d’écrire sous l’emprise de la jalousie, dévoré par la frustration, moi, chanteur inconnu et donc improbable, qui ne pourra jamais rassembler suffisamment de spectateurs pour remplir ne serait-ce qu'un petit Bercy. Quelle honte ! Cet insuccès étant la garantie de mon manque de talent, autant que les audiences records de Secret Story sont la preuve que ce programme a du fond, ils me suggéreront de la fermer et de m’incliner respectueusement devant ce qui marche. Je trouve, du reste, que l’on ne respecte pas assez le jambon Herta emballé sous vide en portion 2 tranches qui a le meilleur rendement de tout le rayon charcuterie de mon hyper et qui marche bien lui aussi.
Le déferlement de messages fanatiques, souvent insultants, flirtant parfois avec la menace ou le harcèlement, qui avait suivi ma précédente bafouille concernant « l’icône rousse » devrait, il est vrai, me pousser à garder le silence. C’est justement pour défaire ce bâillon psychologique que je réitère. La simple idée qu’il serait préférable que je me taise, me pousse irrémédiablement à l’ouvrir. C’est dans ma nature. J’aimerais vérifier que mes mots ne tremblent pas et que mes goûts osent encore s’exprimer crûment, sans céder à la peur des représailles. Ne m’en veuillez pas de détester ce que vous vénérez et de le dire haut et fort, ce n’est pas contre vous, c’est pour moi. S’il s’avérait que Voltaire n’ait pas réussi à éveiller votre conscience à la tolérance que prône aussi Florent Pagny de manière plus accessible, épousez la philosophie du second (pour une fois vous serez pardonnés) et aux cris de « Oui, elle est chanmé c’te zicmu ! » laissez moi ma liberté de penser.

Alors, voilà ; je suis allé voir la star dont j’avais déjà dit tant de mal la fois précédente. Je suis masochiste, c’est mon droit ! Au Stade de France cette fois, le jour de son anniversaire. Rien n’interdit à une vedette de s’autocélébrer devant 80 000 clients prêts à lâcher chacun une centaine d’euros pour lui chanter en chœur « Happy Birthday to you » ; c’était le petit cadeau qu’elle tenait à s’offrir, ça partait déjà d’une bonne intention.
Sans à priori cependant j’imaginais que ce concert pourrait me faire réviser mon jugement. Parfois on tombe sur une mauvaise huître, pas de chance, il ne faut pas décréter pour autant que les huîtres ne sont jamais bonnes.
La tête de mort rouge projetée sur le rideau de scène n’était pas du meilleur présage quant à la délicatesse du spectacle à venir… Je ne fus pas déçu. Après une introduction interminable composée de sons inutiles et dépassés, Mylène est entrée, princière dans une tenue moche qu’elle a changé par la suite souvent pour d’autres tenues moches du même grand couturier. Mylène a dansé maladroitement sur d’improbables chorégraphies à la portée d’à peu près n’importe qui et dignes d’un spectacle de patronage. Et surtout Mylène a chanté… Très faux. Ma subjectivité peut parfois me conduire à la mauvaise foi, mais mes oreilles ne trichent pas, elles ne lui voulaient aucun mal. Elles ont pourtant beaucoup souffert. Bien entendu, Mylène a pleuré, peut-être à cause de ces notes qu’elle n’arrivait pas à atteindre. En gros plan sur tous ces écrans voués à sa beauté chirurgicale, elle a sourit aussi, tout en pleurant. À un moment, elle a traversé la foule sur un podium prévu à cet effet. Telle une prêtresse, elle a marché lentement. À un autre moment, un praticable l’a soulevée à quelques mètres du sol, puis il est redescendu. Elle s’est aussi assise dans un fauteuil en forme de scarabée ? Ou de mouche ? Ou de scorpion ? En tout cas il y avait des pattes d’insecte. Elle s’est même allongée en travers de ce siège. Que retenir d’autre ? Croix, squelettes, morts-vivants, rien ne nous fut épargné, jusqu’à l’ennui. La vulgarité de toute cette mise en scène trouve peut-être une explication dans la volonté de récupérer le public orphelin de Johnny Hallyday. Ce serait la seule excuse valable, le marketing. Le public ne fut même pas très chaleureux. Les as du montage devront se décarcasser pour prouver, DVD à l’appuis, qu’il s’agissait d’un moment de communion magique. Pour y trouver son compte, il fallait être inconditionnellement aveuglé, sourd à toute critique, embrigadé depuis toujours, bercé par ses refrains depuis la tendre enfance. En guise de générosité, elle aura dispensé quelques mercis.
Et puis au revoir.
Ne vous découragez pas, vous, les jeunes artistes qui éprouvez vos chansons ambitieuses dans les bars difficiles, sans artifices, condamnés à tout donner chaque soir pour convaincre un par terre clairsemé. Oui, vos petites salles à moitié pleines sont une injustice au regard de ce stade comble de vide. Mais ne baissez pas les bras et fuck them all. Ce n’est pas parce qu’ils étaient très nombreux à se tromper, qu’ils avaient raison.

Vincent Baguian.