“S’il fallait faire un palmarès de mes chanteurs préférés, je dirais qu’en France il y a cinq grands : Charles Trenet, Tino Rossi, Jacques Brel, Jean Ferrat et Guy Béart. J’insiste sur Guy Béart, car on l’oublie toujours” déclarait Georges Brassens dans VSD en décembre 1979. Pierre Perret ne figurait pas dans ce panthéon-là, celui de son maître à chanter. Il ne l’a pas avalé. Trente ans plus tard, dans “A cappella”, troisième tome de son autobiographie, l’auteur de Lily (une immense chanson, son immense chanson – quand Brassens en compte une trentaine de cette étoffe) réécrit l’histoire en salissant la mémoire du Sétois. À l’image d’un Michel Fugain crachant sur la jeune variété parce que ça l’insupporte de n’être jamais mentionné par ses pointures - quand les Dassin, Delpech ou Adamo recueillent encore bien des suffrages, Pierre Perret s’échine à mener un triste et piètre combat, pour une reconnaissance! Quoi de mieux, pense-t-il, que d’écorner l’image de Tonton Georges (qui pourtant l’hébergea impasse Florimont quand il était sous le sou) pour redorer la sienne, lui l’incompris, le plus mésestimé des chansonniers? Voilà quarante ans, démontre Sophie Delassein dans le Nouvel Observateur, que Pierre Perret s’invente des amitiés, avec Paul Léautaud notamment, chez qui, prétend-il, il aurait vécu quelques mois, alors que Marie Dormoy, exécutaire testamentaire et légataire universel de l’écrivain, a jugé bon de préciser en 1965 : “Depuis l’année 1933 jusqu’à celle de sa mort –1956-, j’ai été en relation presque continuelle avec Paul Léautaud. Jamais je n’ai rencontré Pierre Perret.”
En novembre 1963, raconte Perret, la chanson Tord-Boyaux fait un tabac (après vérification, puisqu’il faut semble-t-il tout vérifier des dires de Pierre Perret, c’est en mars 65 que la chanson rencontre le succès, atteignant la 7ème place d’un hit parade dominé par La plus belle pour aller danser de Sylvie Vartan, Nathalie de Bécaud et À présent tu peux t’en aller de Richard Anthony*). Qu’en dit son ami Georges Brassens, dont Perret s’estime aussi digne qu’un fils? Rien. Pas même une félicitation. «C’est comme si je n’avais pas existé. Son ego s’est très mal accommodé de mon succès» assure-t-il aujourd’hui. L’ego de Perret, lui, s’accomode très mal du temps qui passe, et de la place que lui réservent désormais les médias. Blessé de voir Renaud, Le Forestier ou Duteil le devancer dans le peloton des possibles “héritiers” de Brassens, il cherche donc à réduire quelque peu le génie de Brassens en minimisant la capacité qu’aurait son œuvre à susciter de l’intérêt! Dans T’as pas la couleur (2006), ne chantait-il pas, et tout Perret est là: “Georges, mon grand frère [ce souci de la filiation]/ Si […] tu revenais sur terre/ Pour y faire le chanteur/ […] Tu n’donnerais plus souvent/ L’aubade à la radio […]/ Car par malheur, les trois-quarts des stations/ Cultivent l’indifférence pour la bonne chanson”? Façon d'affirmer: si je n’y passe pas, tu n’y passerais pas non plus! Rien n’est moins avéré…
Question: Pierre Perret s’est-il un jour dit que Brassens pouvait tout à fait ne rien penser de ses chansons, aussi simplement que cela? N’étant pas dépourvu de talent (Le café du canal ou Mon p’tit loup sont de fort jolies chansons), il lui faudrait admettre qu’il n’a jamais eu le brio de son aîné, ni même la poésie de ses contemporains Ferrat, Béart ou Moustaki. Ce qui ne l’empêche pas d’être un parolier attachant. Même si, comme le souligne encore Sophie Delassein, certains dans son public seront navrés d’apprendre que Blanche, cette “furie” dont “les cuisses fuyaient comme deux truites vives”, rappelle furieusement La femme adultère de Garcia Lorca, dont les “cuisses s’enfuyaient sous moi comme des truites effrayées”.
Pierre Perret a sans doute de bonnes lectures. Et une fâcheuse tendance à s’approprier le génie des autres.
Baptiste Vignol
*Aucun hit-parade ne mentionne Tord-boyaux avant février 64.