Et Bécaud dans tout ça?



Le succès engendre d’étranges séquelles. Il envenime la critique qui vous encensait et rend jaloux vos confrères. Bénabar n’échappe pas à la règle. “Le pire, c’est Bénabar” assurait Benjamin Biolay en juillet 2007. Comment Benjamin Biolay aurait-il pu s’imaginer, un an plus tard, affligé du même qualificatif par... Michel Fugain (“Biolay, c'est le pire!”) ? Mais dans une charge pleine d’aigreur, celui qui recherche le succès depuis qu’il a dissout son Big Bazar en 1977, n’épargnerait pas non plus Bénabar : “Est-ce qu’il va faire autre chose que de nous raconter le quotidien?” Ça ferait du bruit dans le Landerneau…
Tête de turc du moment, Bénabar s’agace dans Paris Match : “J’en ai marre de passer pour un connard !” Un certain Benjamin Locoge l’interroge grossièrement. “Vos confrères vous assassinent, démarre-t-il. À commencer par Benjamin Biolay, qui dit: "Bénabar me débecte".” Inexact. Autant être précis quand on donne dans la citation. “Le pire, c’est Bénabar” avait-il déclaré, certifiant en revanche, en Une de Technikart: “La chanson française me débecte”. Nuance. Puis Locoge continue : “Aimez-vous être comparé à Michel Sardou, à Gilbert Bécaud ?”, comme si Sardou et Bécaud, c’était kif-kif bourricot comme disait Paul Guth dans Lettre ouverte aux idoles… Bénabar aurait pu sauter sur l’occasion pour expliquer combien cette comparaison l’honorait ! Mais Bénabar, patatras, à en croire l’interview, est tombé dans le panneau. Restant bloqué sur Sardou, il a répondu : “Une partie des critiques qui me comparent à eux cherche à me dévaloriser en insinuant l’idée que Bécaud ou Sardou n’ont fait que de la merde.” Il en aurait dû en rester là, mais hélas, il a poursuivi : “Figurez-vous qu’il y a pas mal de chansons de Sardou pour lesquelles j’ai une faiblesse!” Et de Bécaud, que pense-t-il ? Rien, puisqu’il n’en dit pas un mot! Rappelons donc que Mr 100 000 volts (le surnom est souvent un gage de qualité, voire de reconnaissance, dans le domaine de la Chanson: le Fou chantant, la Môme, le French troubadour, Tonton Georges, la Chanteuse de minuit, etc.) était un showman épatant, que la bien-pensance finit par dénigrer, ne le trouvant plus assez “chic” pour l’inviter à la télévision, après qu’elle l’eut encensé quand il régnait sur le Music-Hall, doublé d’un mélodiste hors norme, l’un des rares français chantés par la crème des stars américaines. Jugeons plutôt: Elvis Presley, Frank Sinatra, Barbra Streisand s’approprièrent Et maintenant (What now my love); James Brown, le King et Bob Dylan Je t’appartiens (Let it be me)! De véritables classiques. Que ne connaîtraient ni le journaliste de Paris Match, ni l’auteur de Je suis de celles ?
Le meilleur moyen de ne pas passer pour un imbécile est de maîtriser son sujet, d’avoir un brin de culture. Benjamin Biolay n’en manque pas. On peut ne pas l’apprécier, détester son cynisme, son air ébouriffé, mais il connaît la Chanson, des refrains de Trenet aux surnoms de Gréco en passant par le génie mélodique de Gilbert Bécaud. Quand Bénabar aura compris que la chanson n’est pas née avec Maritie et Gilbert Carpentier, qu’il se sera imprégné des couplets de ses devanciers, peut-être composera-t-il une mélodie imparable, digne de Bécaud, Trenet*, Brel** ou Gainsbourg***. Il empochera alors de substantiels droits d’auteur, mais gagnera surtout le respect de ses pairs, l’admiration de ses cadets, étant même gratifié, qui sait, d’un surnom taillé sur mesure. La classe, quoi !

Baptiste Vignol

*La mer (Beyond the sea) a été reprise par Bobby Darin, George Benson, Robbie Williams; Que reste-t-il de nos amours (I wish you love) étant adaptée par Frank Sinatra ou Harry Connick Jr.
**Frank Sinatra enregistra Ne me quitte pas (If you go away), David Bowie Amsterdam, Nina Simone Les désespérés (The desperates ones).
***La javanaise a été adaptée par Mick Harvey, Manon par Pulp, Comment te dire adieu par Jimmy Sommerville…


Et maintenant, par Gilbert Bécaud
What now my love, par Elvis Presley