Si le génie était gage de succès, Bertrand Belin serait une star. Son sixième album, PERSONA, vient de sortir et c’est probablement le meilleur de sa discographie, le plus abouti, musicalement, où l'auteur, fidèle à ses lacis, nous attire dans des forêts obscures peuplées de rêves, d'épouvantes et de nostalgies. « La nuit je parle, je parle seul / Je te parle tout seul / Pour te dire des choses nouvelles… » (Choses nouvelles). Les gens pensent à Bashung lorsqu'ils tombent sur Belin, pour sa voix de boa, d'abord, qui étouffe sa proie, pour l'univers aussi, et ses percées labyrinthiques. Mais on aurait tort d'oublier la probable influence de Dick Annegarn, de Marcel Kanche ou de Rodolphe Burger, ces artistes qui ne transigent pas. Les nouvelles chansons de BB demeurent radicales, aiguisées, sibyllines : « On annonce un été de Canadair » chante-t-il dans Glissé redressé. Là, sur ce flash rimbaldien, c'est l'ombre de Ferré qui s’impose. Fermez les yeux un peu plus loin, écoutez Grand Duc (« Tous les enfants qui s’en vont de l’école / Les parents, leurs yeux flous / Je sens leurs parfums, je vois tout, j’entends tout… ») et vous verrez Léo. Sous les traits d'un guitar hero. Sitôt le disque lancé, nous voilà donc happés dans PERSONA, comme prisonniers d'un road movie qui roule, s'enroule, s'étire sans s’inquiéter de la norme. Alors, ces chansons dépourvues d'amarres, et pourtant bien ancrées dans le réel d'une France qui s'essouffle («J'ai glissé / Je n'ai plus de paix, de paye, de pays / Je n'ai plus de pain / M'en faire don»), finissent leur course en nous laissant pollinisés par tant d'opacité. De faconde mordorée. D'élégance tendue.
Baptiste Vignol