C’que c’est beau la photographie















" C'que c'est beau la photographie / Les souvenirs sur papier glacé / Pas d'raison pour qu'on les oublie / Les beaux yeux, les beaux jours passés " (C'que c'est beau la photographie, Les Frères Jacques). La photo a longtemps profité d'une estime justifiée parce qu'elle nécessitait réglages et doigté. Puis vint l'heure du polaroïd, et la vulgarisation de l'instantané. Un procédé idéal pour épater ses amis, éblouir grand-mère et s'essayer à des jeux interdits, sans avoir à - honneur gardé ! - confier le tirage de ses clichés. "Elle s'expose à son op- / Érateur, elle stoppe / Arrêt image, elle m'attend / Et prend des poses en souriant..." (Bébé polaroïd, Alain Chamfort). L'art de la photographie n'a pas tardé à combler les amants passionnés : n'offrait-elle pas les preuves ineffaçables d'un bonheur qu'on pressent périssable ? Portraits et retrouvailles prirent alors place dans les alcôves pérennisant quelques instants d'intensité; d'autres photos, confidentielles, restant cachées au fond des armoires, dans le secret d'innocentes boîtes à chaussures. "Sur pellicule / On me fixe / Très relax / Classée X" (Classée X) s'enchantait Jane Birkin, qui n'a jamais manqué de photogénie. Car la photo flatte ou trahit ! Béguin, tocade, histoires de cœur ou de fesses ne riment pas avec happy end, sans pour autant échapper aux doigts de fée de la nostalgie. "Souviens-toi juste avant notre rupture / Les pieds dans l'eau à demi nus..." (24/36) déchantait France Gall. "Il ne reste plus / De nos délices / Qu'une photo en 24/36". Banalité d'un quotidien périmé.
Mais les temps ont changé. Le téléphone fait désormais office de camera. Chacun ayant la laisse de son portable au cou, de piètres émules de paparazzis traquent aujourd'hui l'inédit. On veut du trash. On se prend à bout de bras, on flashe incognito, on filme des scènes de vie, des passages à tabac, et l'on arrose la toile de ses travaux pixellisés. Quant aux amants éconduits, ils croient tirer vengeance de leur défaite en y balançant leurs photos, leurs prises de vues les plus intimes, avec la morgue du quidam qui tire le cordon de sa chasse d'eau.
C'est l'histoire d'une jolie nageuse, la meilleure d'entre toutes, qui troqua Lucas (son entraîneur de toujours) pour Luca, un bel Italien. La championne avait 19 ans, elle vivait un conte de fées. Et l'on parla de mariage, d'enfants à venir, voire même de changement de nationalité!
Tous les chemins mènent à Turin; encore faut-il en revenir. C'est donc l'histoire d'une jeune femme piégée, qu'on ne saurait néanmoins humilier, et qui en août 2008, aux Jeux Olympiques de Pékin, aura le mot de la fin. Rira bien alors qui rira... Mission accomplie, Laure Manaudou stoppera-t-elle sa carrière? Poursuivra-t-elle son étonnante quête de records? Quoiqu'elle décide, à sa bêtise, Luca Marin ajoutera la déconfiture de sa réputation.
À la question: "Où est votre petite amie?", Serge Gainsbourg répondait: "Elle est dans mon Rolleiflex/ Je le regarde perplexe/ Dois-je le foutre aux orties?" (Négative blues). Il est parfois préférable de faire table rase de ses souvenirs... Que restera-t-il de ces amours mortes quand au soir des J.O., l'or aura tout effacé? Quelques photos, pauvres photos d'une jeunesse qui sut affronter dignement l'arrogante goujaterie d'un amant vite oublié...

Baptiste Vignol