Lorsque dix ans seront passés


“À première vue, un ancien maçon afghan de 46 ans, une étudiante cambodgienne de 16 ans et un jeune libanais de 11 ans, ne semblent pas avoir grand-chose en commun. Pourtant, tous trois ont été les victimes innocentes de mines terrestres. Tous trois souffrent de blessures terribles pour le restant de leur vie. Et tous trois paient le lourd tribut de conflits auxquels ils n’ont pas participé, ayant été blessés parfois des années ou même des décennies après la fin des combats.” (Comité international de la Croix Rouge)

Plusieurs dizaines de contrées sont encore infestées de mines antipersonnel, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, où des centaines de millions de ces charges explosives ont été disséminées au cours des conflits qui ont ensanglanté le XXème siècle. Faut-il préciser que les mines terrestres sont les seules armes qui continuent à tuer après la fin des combats?
Malgré l’action des ONG, le carnage se prolonge. Chaque année, des milliers d’innocents sont gravement mutilés quand ils ne sont pas tués. “Je vais à la rizière, le soleil se lève sur l’horizon/ Je fredonne une chanson quand soudain…”. C’est CharlÉlie Couture qui souligne ainsi la cruauté du quotidien et rappelle l’insupportable vérité : “Entre les pierres et les roses/ Toutes les vingt minutes, une bombe explose” (Je suis miné, 2006). Nulle part l’impondérable n’est aussi barbare.
En 2006, les mines antipersonnel auraient explosé 5 750 vies. 34% des victimes sont des enfants, enfants-soldats pour nombre d’entre eux… “Déchiqu’tés aux champs de mines/ […] Pour les idées de leurs pères” (Morts les enfants) fulminait Renaud en 1985, tandis qu’Yves Duteil dénonçait le scandale de ce massacre: “Quel testament, quelle évangile/ Quelle main aveugle et imbécile/ Peut condamner tant d’innocence/ À tant de larmes et de souffrance?” (Pour les enfants du monde entier, 1987).
Le 3 décembre 1997 a été signée la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel. Ratifié par 133 nations, cet accord international n’est entré en vigueur qu’en mars 1999. Cependant ne nions pas les progrès accomplis : cinquante-et-un pays produisaient des mines en 1999, ils ne sont plus que treize aujourd’hui, dont la Chine, l’Inde, l’Iran, la Russie et les États-Unis. Seize recourraient aux mines, ils ne sont plus que deux à l’admettre : la Birmanie et la Russie. Mais 176 millions de mines susceptibles d’être utilisées sont encore stockées dans le monde, dont 110 millions rien qu’en Chine.
Les États signataires (ils sont 156 aujourd’hui) ont assaini 6 pays, désamorçant 42 millions d’engins. Mais il en reste trois fois plus à éradiquer ! Et ce nettoyage coûte cher… La fabrication d’une mine antipersonnel vaut deux euros, mais son élimination avoisine les 200. Pour récolter des fonds et répondre aux besoins des centaines de milliers de victimes, différentes personnalités, Alpha Blondy, Lady Diana, Paul McCartney notamment, ont voulu s’engager depuis des années. En Europe francophone, la chanteuse Axelle Red, ambassadrice de l’Unicef, s’est penchée sur ce fléau (Voilà tout c’qu’on peut faire, 2002), en dédiant au plus inconscient des bourreaux une véhémente supplique : “USA enlève tes mines”; avant qu’Enzo Enzo ne raconte, sur des paroles d’Allain Leprest, l’histoire poignante d’une jeune tzigane qui, assise près d’un feu de camp, le regard plongé dans les flammes, revit son rêve brisé par le mauvais sort tandis qu’« un accord de violon picore/ La jambe qui lui danse encore/ Sur les braises et sur les brindilles ». Car elle rêvait d’être danseuse, la petite fille… Et l’interprète de conclure : « Y a pas une étoile au Bolchoï/ Qui lui arrive à la cheville/ À la p’tite fille… avec une canne » (La petite fille, 2004).
Le 10 décembre 1997, le prix Nobel de la paix était remis aux représentants de la Campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel (ICBL), une formidable reconnaissance pour l’ensemble des associations impliquées - à la tête desquelles figure l'emblématique Handicap International. Dix ans plus tard, c'est aujourd'hui: la cause n’est-elle pas délaissée puisque les journaux télévisés n’ont point fait mention des deux dates anniversaires ? Si les mines tuent moins, l’aide aux survivants fait largement défaut. Des armées d’impotents, leurs rêves en berne et c’est peu dire, traversent la vie en claudiquant…

Baptiste Vignol