Incontournable


Le 5 juin 1981, l’agence épidémiologique d’Atlanta recense cinq patients, tous homosexuels, souffrant d’une pathologie liée au Virus de l’Immunodéficience. En France, le Dr. Rozenbaum relie ces cas à celui d’un steward dont il soigne l’affection pulmonaire. Nul ne se doute alors que le sida deviendrait l’épidémie la plus meurtrière du XXème siècle.
Très vite, cependant, l’idée d’un “cancer gay” terrorise les populations jusqu’à ce qu’une équipe menée par le professeur Montagnier isole, en 1983, l’origine de ce mal dont les premières victimes étaient homosexuelles ou toxicomanes.
Face au mutisme des responsables politiques qui rechignaient à lancer d’explicites campagnes de prévention, Barbara se voua, dans l’ombre, au sort des malades. Elle leur consacra l’un des premiers titres écrits sur ce thème (
Sid’amour à mort, 1987), visitant ensuite les prisons, accompagnée d’un médecin qui parlait du sida aux détenus.
En 1989, l’album KAMA-SUTRA de Michel Polnareff contenait une chanson préventive,
Toi et moi. Elle réduisait à néant les craintes fantasmatiques de contagion colportées par Jean-Marie Le Pen. Aux propos immondes du leader frontiste (“Les sidaïques, en perspirant du virus par tous les pores, mettent en cause l’équilibre de la nation. […] Le sidaïque est contagieux à partir de sa transpiration, de ses larmes et de sa salive. C’est un véritable lépreux moderne”), Polnareff répondait simplement : “Y a pas l’sida/ Toi et moi/ On s’capotera/ Et voilà!” (Toi et moi).
L’inertie des hommes politiques, cependant, obligea les malades à créer des associations pour alarmer l’opinion, échafauder des opérations spectaculaires, capoter l’Obélisque… pendant que Christophe Dechavanne, esseulé dans un silence médiatique, rappelait sans se lasser: “Sortez couverts!”
Emmenée par Michel Polnareff, la variété populaire s’est fortement impliquée contre ce fléau, de Jean-Louis Aubert (
Sid’aventure, 1989) à Jean Guidoni (N’oublie jamais qui tu es, 1996), d’Hervé Vilard (L’amour défendu, 1989) à Pierre Vassiliu (Nuit française, 1993), de Sapho (Éros et Thanatos, 1991) à Zazie (Dodo Rémi, 1995), d’Elmer Food Beat (Le plastique c’est fantastique, 1991) à Mano Solo (À quinze ans du matin, 1993)… en passant par Étienne Daho qui fut à l’origine du disque URGENCE dont les fonds servirent la recherche en 1992, Barbara (Le couloir, 1996), -M- (Mama Sam, 1999) ou Renaud (P’tit pédé, 2002).
Les toxicomanes, aujourd’hui, ne représentent plus qu’une petite minorité des nouvelles contaminations. Les traitements médicaux améliorent la vie des malades. Mais le sida frappe encore! Les rapports hétérosexuels représentent désormais la moitié des découvertes de séropositivité. En France, 130 000 personnes vivent avec le VIH. Ils ont été 6 300 à tomber malades en 2006 ; les 15-24 ans représentant 12% des nouvelles contaminations.
À l’échelle planétaire, le sida a tué 2,1 millions d’individus en 2006. 33,2 millions sont contaminés, dont 2,5 millions d’enfants de moins de quinze ans; le territoire le plus touché étant l’Afrique subsaharienne (22,5 millions de personnes) où le sida demeure la première cause de mortalité. En 1993, François Hadji-Lazaro dénonçait la position de Jean-Paul II sur le préservatif : “
Le pape a dit: “Plastique, tu ne mettras pas.”/ Pendant ce temps, on meurt au Rwanda/ Pendant ce temps, on meurt au Nigéria/ Et même tout près, là, tout près de toi” (Crime contre l’humanité, 1993). Quinze ans plus tard, l’Église n’a toujours pas révisé son jugement… Un aveuglement effrayant quand on sait que la pandémie ne pourra pas être enrayée sans l’aide des chefs religieux.
Pour Willy Rozenbaum, “aucun élément scientifique ne permet de faire le moindre pronostic sur la possibilité d’obtenir un vaccin contre cette maladie”, d’où l’obligation impérieuse de se protéger quelle que soit la nature du rapport (fellation, coït, sodomie). Sans préservatif, point de salut. Hélas, face à la banalisation de la maladie, les comportements à risque progressent. “
N’oublie pas la capote !” chantait Louis Chedid en 1992 : “Si tu n’la mets pas/ C’est comme si tu prenais un flingue […]/ Qu’tu pressais sur la gachette/ Pour te faire sauter, sauter, sauter/ La tête”.
Voilà vingt ans que l’on nous chante cette chanson-là, et pourtant, il faut encore redoubler d'efforts pour sensibiliser à nouveau la population afin que chacun s'approprie le message de prévention, et clame haut et fort: "Le sida ne passera pas par moi!", car, comme le chantait Julien Clerc, c'en est "assez de ces/ Machins qui piquent/ [...] Du hérisson/ Microscopique" (Assez... assez, 1996)!

Baptiste Vignol