Après la sortie de MY PLACE en 1989 (réécouter This city, magnifique piano-voix…) et la tournée de feu qui l’escorta, des nuées de blancs-bec, emmitouflés dans leurs adolescences lycéennes, attendirent impatiemment que le mousquetaire suisse-allemand revienne avec un nouvel album. Ce fut ENGELBERG, lâché le 10 juin 1991, d’où jaillira l’«eichermania»… De leurs côtés, pendant ce temps, Daho (PARIS AILLEURS), Murat (CHEYENNE AUTUMN, LE MANTEAU DE PLUIE), MC Solaar (QUI SEME LE VENT RECOLTE LE TEMPO) ou les Rita Mitsouko (MARC ET ROBERT) sortaient des disques du tonnerre, éparpillant dans les étoiles des guirlandes de petits points d'or... Grande époque quand on y pense. Que Jane Birkin (AMOURS DES FEINTES), Bashung (OSEZ JOSEPHINE), Renaud (MARCHAND DE CAILLOUX), Véronique Sanson (SANS REGRETS), Laurent Voulzy (CACHE DERRIERE), Julien Clerc (UTILE), Alain Souchon (C’EST DEJA ÇA) et William Sheller (EN SOLITAIRE) magnifiaient, sans fléchir, droits et triomphants dans leur quarantaine. Au fond, ce virage des années 80-90 ne fut-il pas le dernier âge d’or de la chanson française? Trois décennies après avoir séduit la francophonie à coup d'envolées électriques, fiévreuses et romantiques (Sois patiente avec moi, Pas d’ami comme toi, Déjeuner en paix, Tu ne me dois rien), Stephan Eicher revient avec un disque d’une rare élégance. Un chanteur, c’est d’abord une voix. Un timbre. Ça n’est même que ça. Ceux qui s’en trouvent dépourvus, malgré leur talent, connaitront toujours des parcours parallèles, loin du grand public. Et la voix de Stephan Eicher a la douceur réconfortante des refuges, le charme des charpentes de grenier. Elle a trop consolé d’anges déchus pour qu’elle soit oubliée. HOMELESS SONGS abrite quatorze titres dont onze durent moins de trois minutes. Il passe vite. Mais mord instantanément. Une liqueur mordorée, suave et nuageuse. Hors-cadre. Débranchée. Avec Je n'attendrai pas, Stephan Eicher et son «parolier» Philippe Djian rappellent aussi, en deux minutes et neuf secondes d'émotion pure, qu'ils forment un tandem de toute première classe. « Que la justice intervienne / Qu'on soit démis de nos chaines / Que le ciel vire au lilas / Et que tu te lasses de moi / Je n'attendrai, n'attendrai... / Pas.» Les subtiles teintes du couchant dont Philippe Djian tamise aussi ses romans... Et qu'Eicher éclaire avec style... Et voix. Magique.
Baptiste Vignol