Il
aura suffi d’une chanson, d’une seule, Âme fifties, pour qu’Alain Souchon, en
évoquant les années N&B d’une société qui bourgeonnait, rappelle à ses
apôtres, et sans forcer son talent, qu’il demeure, en 2019, le patron. De
l’autre côté de l’Atlantique, au Québec, deux sœurs, debout dans leur époque, dépeignent avec une finesse «souchonnante» le crépuscule apocalyptique
d’une décennie en flammes. Car LA MORT DES ETOILES de Mélanie et Stéphanie Boulay s’impose comme le premier
grand disque francophone post #MeToo et #GretaThunberg ! « Que
restera-t-il de nous après nous ? » « S’il vous plait quelqu’un,
faites quelque chose » « Si la fin du monde est derrière le
hublot » « Vous étiez jeunes avant nous, votre feu a tout
brûlé » « On m’a trouvée trop ronde, je me suis faite ovale » « Il
me voulait bouche fermée ou dans le lit à dire “Encore” » « J’aime
les poings qui défendent des vies »… Chansons de femmes. De femmes en
colère (comment ne pas voir l'empreinte d'Anne Sylvestre?). Dont l'écho est irrésistible, donc. Chansons terriennes. De quête. Et d'inquiétudes. Que la poésie, l’équation nord-américaine des musiques, l’envol des
refrains, la sensualité des arrangements, la beauté des souffles et des respirations,
l’indicible souplesse de l’interprétation, l’harmonie féérique des voix, l’émoi
des chœurs, cœur battant, purgent de tout fatalisme. Enfin, trois merveilles d’amour
pur subliment cet album étincelant: Bateaux (« Nos dos comme des mâtures,
/ Nos corps comme des bateaux / Nous sommes force de la nature / Nous irons où
il fait beau »), Les plants de fraises (« Le ciel était doux comme du
lait / J’aimais ton cœur comme de la braise ») et Léonard que Mélanie a écrite pour son petit garçon sur les «paupières» duquel elle voit quand il dort «deux fenêtres où regarder…». C’est l’espérance folle des
Sœurs Boulay qui rend modernes et captivantes leurs chansons.
Baptiste Vignol