«Je suis la flamme de ta peau brûlée»


Certaines chansons sont si fortes, si belles, si brulantes, qu’on se souvient toute sa vie du lieu où nous nous trouvions, de la personne avec qui nous étions, du temps qu'il faisait lorsqu’on les a découvertes. Parfois, cela se passe dans une salle de spectacle. Et l’on reste alors scotchés quelques secondes à son fauteuil avant d’essuyer une larme et de clamer son admiration. Ou bien alors à la radio, en voiture, et dans ces cas-là on se gare, pour retrouver ses esprits, après avoir baissé le volume du son. Mais le cadre de cette illumination peut être aussi celui d'un salon, chez des amis, d'un sous-sol canapé ou d'un paradis perdu par une nuit de pleines lunes… Ces chansons se glissent dans nos vies. Les étoilent. Elles sont inoubliables. Un duo vient de rejoindre cette constellation. Éclos sur internet grâce au label Entreprise qui s’est posé cette question toute bête, mais géniale: «Et si untel et unetelle faisaient de la musique ensemble, ça ressemblerait à quoi?» La chanson s’intitule Laka, «Pour toi» en français. Et tout y relève du prodige, du phénomène, du miracle. Les arrangements, d’une profondeur et d'un éclat inédits. L’ambiance, chevaleresque, comme un condensé de romantisme épique et d’énergie cosmique... La musique, orageuse et désenchantée. La poésie du texte français (« tu pourrais me boire en entier / Mais j’ai peur de te noyer d’amour…»), la chaleur envoutante de la langue arabe, et les voix climatiques de Fishbach et de Bachar Mar-Khalifé. Une chanson intimidante. Comme l’est souvent l'union de deux démons ou (si on n’aime pas les gros mots) la rencontre de deux natures. Car Fishbach et Mar-Khalifé tissent leur toile avec une fluidité captivante, hors de ligne. Ils chantent et jouent comme la mouette s'amuse avec le vent sur lequel elle se laisse planer sans jamais être emportée.

Baptiste Vignol