Nombreux doivent être encore les Français nés au virage des années De Gaulle/Pompidou qui ont gardé en mémoire les heures planantes à écouter sur leur platine CD le disque KÂMÂ SUTRÂ qu'un Michel Polnareff Royal-Monceauïsé sortit le 23 février 1990, quelques mois après être revenu sur terre, parachuté par Goodbye Marilou, ce chef-d'œuvre inspiré, sans que cela ne froisse quiconque, par le Concerto pour piano n°2 de Serguei Rachmaninov. Seuls les compositeurs de génie peuvent puiser chez les grands Romantiques sans qu’on ne les accuse de quoi que ce soit; Gainsbourg l’avait bien compris. Car Polnareff n’avait alors de comptes à rendre à personne. Sous quelle étoile suis-je né?, Love me please, love me, L’amour avec toi, Le Bal des Laze, Qui a tué Grand-Maman?, L'Homme qui pleurait des larmes de verre, Lettre à France brillaient pour lui au firmament. On se repassait donc KÂMÂ SUTRÂ avec l’envie folle de découvrir, pour ceux qui ne la connaissaient pas, l’œuvre complète du musicien, saisissant à quel point, un quart de siècle auparavant, celui qui ne se faisait pas encore appeler L’Amiral avait révolutionné la chanson française, l’emmenant vers des cieux qu’aucun vaisseau n’avait exploré. Une question se pose aujourd’hui : que pensera la jeunesse qui, poussée par on ne sait trop quelle curiosité, jettera (peut-être) une oreille sur ENFIN !, l'effarante bouse de Michel Polnareff chue dans une froide indifférence le 30 novembre 2018 après vingt-huit années de constipation créatrice? Qu’on peut ne plus être rien du tout après avoir été immense.
Baptiste Vignol