«
Trois mois ». Voilà l’espérance de vie que certains charognards
donnaient à Renaud en plein cœur de l’été. La canicule passée, cette
même presse ne lui accorde plus, c’est logique, que deux mois à zoner.
Que diront-ils à Noël? Surtout, cette énigme se pose à leur sujet:
comment se contrefoutre avec autant de cruauté du mal que l’on fait?
Renaud est le père d’un garçon d’une douzaine d'années dont on imagine
la tristesse lorsqu’il tombe dans la rue, en allant à l’école, sur ces
prédictions placardées dans les kiosques, sans parler des questions
auxquelles il doit sans cesse répondre sous les marronniers… En octobre
1978, Jacques Brel, souffrant d’un cancer, mourait des suites d’un coup
de froid alors que, traqué par des paparazzis, il s’était, pour leur
échapper, caché pendant deux heures dans les toilettes de l'aéroport du
Bourget. Renaud, depuis dix ans qu’on annonce sa mort imminente, leur
adresse, impavide, des doigts d’honneur. Ici Paris, Oops, Ici… Les
rédacteurs en chef de ces tabloïds au rabais se signalent, quand ils
parlent, à l’haleine fétide du mange-merde. Si seulement le chanteur
couvait assez de haine en lui pour leur dédier, les faire taire, ou du
moins les maculer de déshonneur, une lettre ouverte de quelques lignes
délicieuses rédigées à la main, de son écriture pointue. Cela ferait
tatatssin. Et les mettrait à l’index. Mais Renaud les méprise, dans le
désert de son silence rouge-gorge, à jamais debout.
Baptiste Vignol