Elle est « en train de donner un coup de fouet à la chanson française» prétend le magazine Society
(n°90, septembre 2018) dans lequel Juliette Armanet s’exprime à tire-larigot. Le sens de la
mesure et la modestie de la jeune femme sont exemplaires. De cet entretien
fleuve, il faudra retenir que « la nouvelle Véronique Sanson » affirme avoir été «désespérée» lorsque fut instaurée la loi antitabac. «Désespérée»! Car Juliette «adore la fumée de cigarette». Elle a l’émotion facile aussi. La preuve: le rap français la «submerge», davantage «qu’une chanson triste de Barbara». Alors pour ne pas se noyer, elle évite d’en écouter, car elle n’est pas certaine d’avoir «le cœur assez bien accroché» pour supporter quelque chose d’aussi «spleenétique». Avec une pudeur confondante, elle ouvre les rideaux de son intimité («Quand il ne fait pas beau, je me mets dans mon lit, je me lamente, je mange des chips») et confesse «pleurer pour de vrai», «rigoler», devenir «folle» lorsqu'elle compose à son piano, dont elle joue, dit-elle, tous les jours, depuis vingt ans, avec une frénésie diabolique. «Les
flics sont venus plein de fois pour tapage diurne. D’un seul coup, je
me rends compte que tout l’immeuble n’en peut plus de m’entendre chanter
mes “Ah, j’ai maaal”.» Elle joue si fort, Juliette, elle joue si
bien, elle gémit tant quand elle chante, chez elle, tous les jours, que
les poulets passent toquer à sa porte pour lui demander de la mettre en
sourdine… Quelle artiste ! Qui professe au lecteur : «Je pense que j’écrirai des chansons désespérées jusqu’à mes 95 ans». Chouette! Voilà qui nous promet de longues et passionnantes
interviews au fil des six prochaines décennies. Quand on l’interrogeait
sur son art, Barbara répondait, agacée: «Je fais des petits zinzins comme une autre ferait une robe et c’est tout.»
Baptiste Vignol