Pierre Schott l'échappé


GRINGO, ainsi s’intitule avec humour le nouvel et splendide album de Pierre Schott, alsacien jusqu’au bout des doigts qu’il a cornés par les cordes de sa guitare, ici une Heritage 535 version gaucher achetée à Houston – Texas chez Southpaw Guitars en 1995. Avec humour, donc, car le gringo est l’Américain des Etats-Unis ou, par extension, l’étranger non latin dans un pays hispanophone d’Amérique latine. Pas vraiment le profil de Pierrot. Mais le titre colle à merveille avec l’ambiance des dix nouvelles chansons, grasses et bluesy, du musicien. Sur la pochette, un vélo de course, posé contre un panneau indiquant l’arrivée au sommet du col du Cheval Mort. Rien d’hasardeux puisque Pierre Schott (ingénieur du son à la ville) sillonne depuis des années les départementales et puise dans les lacets des monts qu'il escalade une inspiration de haut vol. Au bout de la terre ouvre le CD : « Sur le grand plateau / Je suis parti tôt / Vent sous la semelle, / Laissant les séquelles… » Rimes parfaites (c’est le cas dans tous les morceaux) et textes d’une palette réjouissante: « Il y a des phénomène étranges, / Tu vois du rouge avant l’orange, / Parmi des coloris divers, / Parfois des yeux sont verts l’été / Mais bleus l’hiver… » (Bleus l'hiver). Et tout est de cette finesse, en clins d’œil et mises en abîmes dédiés à la musique de Robert Johnson (Robert chantait) que vénère Schott et dont il est, autant le dire, sous nos cieux, le meilleur commis-voyageur. « C’est dans des coins abandonnés / Dont les habitants sont morts, / Qu’on me surprend à sillonner / Parmi la faune et la flore… » chante-t-il encore dans Chemin de France, l’un des bijoux qu’abrite ce recueil superbement mis en pages où l’on voit passer des nuages et couler des rivières mais aussi  « des filles dénudées qui enchainent les longueurs »! Qu’un artiste de cette qualité dégaine dans son coin un disque aussi lumineux démontre à quel point les labels sont aujourd’hui définitivement largués, pas loin de la voiture-balai. Mais cela n'est pas le sujet.

Baptiste Vignol