C'était une chouette émission sur M6, de celles qu'on ne voit pas passer. Ça devient rare. Filmés sagement, à l'ancienne, Renaud et ses très proches (délicieuse Dominique qu'on n'avait jamais vue s'exprimer autant, et avec quelle clarté; fraternels Pierre Tarde et Bloodi qui accompagnent l'artiste au quotidien; attentif et attentionné David Séchan, le jumeau du chanteur) répondent à une voix off (celle du journaliste Didier Varrod), complice et chaleureuse. Et Renaud de parler, sans jamais s'étaler, guidé par ses maîtres: «"On ne pose pas de question à quelqu'un qui est ému", disait René Char. Et je suis ému.» Voilà qui cadre l'ambiance. Comment dès lors rester de marbre devant la tendresse de Renaud lorsqu'il évoque sa vieille mère de 95 ans venue le voir au Zénith début octobre 2016 ou les yeux éblouis de son fils Malone qui le découvrait, là, sur scène: «"C'est bien ce que tu fais, papa!"». Comment ne pas pas se marrer avec lui lorsqu'il revoit réjoui des images d'archives montrant un Coluche déconnant? Comment ne pas sourire lorsqu'il tente d'imiter la voix fluette de Marie Dormoy l'invitant à entrer chez elle, alors qu'il avait dix ans, pour réclamer un autographe à Georges Brassens qui lui rendait visite? Et comment ne pas s'émouvoir par sa profonde sensibilité lorsqu'une minute plus tard, au bord des larmes, Renaud se rappelle la mort du poète qu'il apprit à la radio en se rendant à une répétition: «J'étais au volant de ma voiture, je me suis arrêté sur le bord de la route pour pleurer, comme je pleure maintenant»? Comment encore ne pas être troublé lorsqu'il parle de son père romancier, de cette pudeur excessive qui les sépara, affirmant: «C'est grâce à lui si j'écris comme ça»?... Mais ce qui frappe aussi dans cet entretien, c'est le regard froid, presque intransigeant de Renaud sur ses chansons quand il se voit les interpréter en spectacle au fil de sa carrière. Aucune complaisance. Ce qui marque enfin, ce sont ces sourires captés dans le public, qui ressemblent à des caresses, et qui illuminent le visage de milliers de fans de tous âges reconnaissant «leur» Renaud debout dans la lumière de miraculeuses retrouvailles. Cet amour est celui de gens normaux, du peuple, qui galèrent souvent, n'ont cure des ineptes donneurs de leçon et trouvent dans l'œuvre du chanteur, son personnage unique et ses fragilités, le reflet miroitant de leurs vies, comme celui d'un incendie dans le ciel, la nuit.
Baptiste Vignol