Quarante-et-un ans, auteur, compositeur, interprète, physique d'athlète (même si ça n'est pas franchement le sujet, encore que), ayant déjà
enregistré quatre albums dans de grandes maisons, dont
certains titres ont frôlé le succès, s'entend dire dans une soirée très
parisienne où il accompagne son épouse, professeur de salsa: «Sérieux? Et
tu en vis?» À la question «Et toi, qu'est-ce que tu fais? », il avait
simplement répondu: «De la chanson.» Car chanter en français, et depuis belle
lurette, ça n’est rien moins d’autre que le comble de la ringardise dans les milieux de la
jeunesse qui danse, bouge et se bat pour survivre dans une ville en crise.
Cela dit, comment pourrait-il en être
autrement quand les seuls à bénéficier des «Unes» de la presse populaire
demeurent Johnny Hallyday, Zaz et Johnny Hallyday? Est-il donc vraiment
raisonnable d'espérer qu'elle passionne à nouveau les kids quand en 2014, la chanson est servie, à longueur
d'émissions, par Dave et Michel Drucker, cent-quarante-deux ans à eux deux? Point de
jeunisme ici, certains jeunots mériteront toujours les leçons bienvenues de quelques barbons botoxés. Mais en l'occurrence, franchement!
Michel Drucker, qui trempe depuis 1966 dans le bocal… Ou Dave (que Drucker
lui-même n’osait plus inviter dans les années 80/90), incarnation blonde
de la variète flétrie. Un attentat.
En fait, il
faudrait bannir des médias les chanteurs nés avant Pompidou
pour que Ludéal, Louis-Renan Choisy, Ariane Moffatt, Mustang, Franck
Monnet, Pierre Lapointe, Mokaiesh, Yelle, Dominique Dalcan ou Maïa Barouh (pour
citer dix artistes ayant publié un nouveau disque ces derniers mois) gagnent enfin l'opportunité de toucher le très grand public.
Dans ce monde qui vocalise à l'envers, saluons les initiatives qui décoiffent un peu le brushing de cette
vieille dame repoussante qu'est devenue pour beaucoup la chanson française. Alister, chanteur de classe dont on connaît ici la finesse du slice (cliquer là),
publie aux éditions La Tengo un petit traité d’expertise, hilarant, moqueur mais amoureux où Barbara, Brassens, Brel, Bruel et Gainsbourg, ces «maîtres»
auxquels on ne doit jamais toucher un cheveu, sont pris le doigt dans le nez. Fautes de
français, liaisons barbares, mauvaises prononciations, textes incompréhensibles
ou, moins drôle, pillages indus...; avec son «Anthologie des Bourdes et
autres Curiosités de la Chanson française», Alister vient d'écrire le
livre qui manquait à la Variété.
Baptiste Vignol