Sans doute vénère-t-il trop l'art d'écrire des chansons pour que celles qu'il a lui-même interprétées sur trois albums produits par Francis Cabrel aient franchi les portes du succès: trop affilées, trop pleines d'esprit, trop miroitantes. Il ne faut pas balancer à la gueule des gens ce à quoi ils ressemblent! Ça les rebute. Et pourtant ses tours de chants demeurent des souvenirs précieux pour ceux qui s'y pressaient entre amis désireux de partager l'univers d'un artiste élégant, à l'immobilité majestueuse. Et puis vers la fin des années zéro, le producteur Dove Attia, parce qu'il a fait Polytechnique, et qu'il est donc ambitieux, a su deviner chez Vincent Baguian - «Baguian? Un écrivain de chansons!» notait déjà Claude Nougaro - une éloquence capable d'insuffler aux comédies musicales des mots inattendus, une habileté salutaire. «Mozart l'Opéra Rock» comme «1789, les Amants de la Bastille» n'ont pas déplacé les foules pour la seule beauté des costumes. Les tubes étaient là, au service d'une intrigue dont le divertissement était la seule mission. L'émotion? Elle affleurait, elle s'imposait quand les 4000 personnes d'un Zénith de province entonnaient à pleines gorges, tel le Maracana chantant l'hymne brésilien, L'Assassymphonie, Vivre à en crever, Ça ira mon amour... Et voilà qu'aujourd'hui Vincent Baguian signe le livret d'une nouvelle comédie, «Mistinguett»; la Miss, l'inventrice du music-hall, étant incarnée par Carmen Maria Vega. Ceux qui l'ont vue sur scène savent que cette Lyonnaise d'origine guatémaltèque est une tragédienne de feu. Carton annoncé. Maintenant qu'il a trouvé le pactole en couvant des spectacles adaptés dans le monde entier (au moment pile d'ailleurs où l'industrie du disque qui le sous-estimait s'est écroulée…), que Vincent Baguian reprenne le micro! Qu'il enregistre enfin «ses» nouvelles chansons. Quel gâchis d'en priver ceux qui se passent encore du Brassens, du Boby, du Trenet. Leur cérébralité, leur ironie, leur tendresse et leur poésie surpassent allègrement les rauques sornettes éculées dans le ruisseau propret des chanteurs à lunettes portant en général une barbe de trois jours.
Baptiste Vignol