On ressent dans la voix de Leny Escudero quelque chose de calcaire qui remonte peut-être à ses jeunes années quand, pour gagner sa vie, ce fils de bûcheron espagnol arrivé en France à l'âge de sept ans, en 1939, était carreleur. Puis vint en 1962, à contre-courant de la vague yé-yé qui gonflait, le succès de jolies romances, tellement bien fichues qu'elles se sont installées dans le folklore de la chanson française: Pour une amourette, À Malypense et Ballade à Sylvie. Trois titres qui cachent - et c'est dommage !- une œuvre dense, guerrière parfois, mais profondément humaniste (immenses Vivre pour des idées, La Sainte-Farce, Le Cancre…), qui se singularise par la force de son écriture. L'éditeur Christian Pirot l'avait remarqué qui lui avait consacré en 2000 (vingt-sept ans après les éditions Seghers qui ne s'étaient pas trompées en l'inscrivant dans leur fameuse collection) deux volumes, L'Arbre de vie, 1 & 2, richement préfacés par François Pénigaut. À se procurer chez les bouquinistes.
En 2013, Leny Escudero a publié ses souvenirs, et il n'en manque pas, lui qui, parce qu'il n'a jamais voulu être une star, n'en est pas devenu une. Invité permanent du salon La Chanson des Livres qui se tient depuis douze ans chaque premier week-end d'avril à Randan dans le Puy-de-Dôme, le chanteur dont le visage est celui d'un Christ souffrant aura cette année régalé François Corbier (un chansonnier pétri d'humour doté d'une plume adéquate) d'anecdotes dont on se demande si Leny les invente pour le bonheur de ceux auxquels il les narre... En voici une, inoubliable, relatée par Corbier sur son blog: «Je me suis retrouvé à la table de Leny Escudero qui m’avait fait demander et qui avait plein de choses à me raconter. C’est ce qui s’est passé. Il m’est difficile de tout raconter par le menu car certaines histoires étaient quelques peu scabreuses, mais je me souviens notamment de celle-ci. "Tu sais, un jour, je suis invité chez le patron de Paris Match qui était à cette époque LE magazine que tout le monde lisait et être invité à dîner chez cet homme c’était un truc important. Mon agent m’avait dit de ne pas oublier de me rendre à ce rendez-vous. Il m’avait donné l’adresse. Je prends ma voiture. Elle tombe en panne. Je lève le capot et je me demande encore pourquoi je fais ça puisque je ne connais strictement rien à un moteur, mais bon, je le fais et je me retrouve avec les mains pleines de cambouis. Passent deux personnes auxquelles je demande si elles sauraient m’indiquer la rue Machin ou je dois me rendre. Incroyable, j’étais dans la rue et pile devant le numéro de m’sieur Paris Match… Je cherche la porte. Je ne la trouve pas. Je tends l’oreille. J’entends qu’on parle et qu’on s’amuse. Je n’ai aucun doute. Je suis à la bonne place et je décide d’entrer par la fenêtre… J’y parviens. J’ai les mains dans un état pitoyable. Le visage au passage en a pris aussi et quand j’arrive devant le maître de maison, personne ne prend peur, mais il me dit que tout le monde m’attendait et que ce n’est pas bien poli d’arriver si tard et si peu propre dans cette maison. M’sieur Paris Match ajoute: "À cause de vous le potage et froid et ce ne sera pas bon !". Alors François, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais sa réflexion m’a un peu énervé et j’ai pris la louche et je me suis servi une assiettée de soupe puis j’ai ouvert ma braguette et je me suis plongé les couilles dans la soupe et j’ai dit: "Vous avez raison monsieur! La soupe est froide!", et le patron m’a prié de quitter immédiatement son domicile, chose que j’ai faite en repassant par la fenêtre ! Des années plus tard j’ai revu ce bonhomme. Il m’avait mis tricard de son magazine pendant vingt ans et, lorsque nous nous sommes à nouveau croisés, il est venu me serrer la main en me disant: "Leny, j’ai eu tort de vous chasser de chez moi. Vous étiez le seul qui ne venait rien chercher et je vous ai mis dehors. J’ai eu tort. Mon épouse me l’a fait remarquer à l’époque, mais je n’ai rien voulu entendre. Je vous prie de m’en excuser."… Tu vois François, cette femme qui était mannequin et qui avait épousé un journal avait plus de sensibilité que ce bonhomme qui dirigeait un empire de presse et qui s’adressait à des millions de lecteurs. Ce n’était sans doute pas très bien ce que j’avais fait chez lui mais il ne faut jamais se freiner. Quand on est sincère ça finit toujours par être reconnu !».
Pour d'autres anecdotes aussi folles, et pourtant véridiques - Leny le jure sur sa tête -, il faut lire Ma vie n'a pas commencé paru au Cherche-Midi. On y retrouve Brassens, Brel, Barclay, Édith Piaf, Boris Vian, Miou-Miou, Jean-Pierre Melville..., et l'on boit ces pages à longue lampée.
Baptiste Vignol