Ces cancres qui attrapent des mouches...

La chanson Le Cancre figure sur le 33 tours LE VOYAGE de Leny Escudero, sorti en 1974. Jean-Claude Vignol qui, lorsqu'il dirigeait l'Alliance française de Natal au Brésil, avait fait travailler ses étudiants sur Le cancre pour une série de cours ordonnés par l'Université de Nancy II pour la propédeutique de lettres modernes en 1977, montre ici combien cette chanson (que l'on peut écouter ici) demeure un monument.


L'historien Jacques Legoff qui fut en son temps quelque peu iconoclaste nous manque quand on prend conscience que ce qui reste au fond de la mémoire de nombre d'anciens - les écoliers d'antan - et sans doute aussi des modernes dans l'école du «bel aujourd'hui», ce n'est que le bronze  verdissant sous les pluies hivernales et les autans de celui de 14 que nul ne connaît plus. Et tout au fond du souvenir, sous un clinquant mensonger, reste la date de la bataille de Marignan - grande victoire s'il en fut !-, solide référence. On se rappellera que Jacques Legoff revint un jour de l'école et annonça à sa mère médusée qu'on lui avait fortement conseillé «d'aller défiler sinon [il verrait] que les ennuis pour [lui] et [sa] famille ne ser[aient] pas petits».
La raison d'État impose à l'éducation reçue à l'école de la République les futurs élans du cœur du bon citoyen. La place faite à l'imaginaire est le plus souvent réduite à la portion congrue tant et si bien que le risque est grand à l'école du village d'être envoyé au fond de la classe, au rebut parmi les cancres. Leny Escudero fut sans doute de ceux-là, de ceux qui furent délibérément exclus du premier rang ce qui lui inspira l'une de ses chansons les plus fortes. Foin des symboles, des rites imposés! Place aux rêves, aux images auxquelles on n'a pas droit pour être au premier rang et apprendre à glisser sur le rail; place au voyage! Le cancre peut enfin vivre sa vie, le vrai de la vie. Le naufrage auquel on le condamne est une délivrance, une envolée sous l’œil cordial de son ami le corbeau lui aussi relégué au cercle des oiseaux du plus mauvais augure mais qui veille, «à l'autre bout du champ», à ce que celui qui lui ressemble apprenne sans faillir à déployer ses ailes.
Le cancre vit pour demain et peut lui chaut la date de la bataille de Marignan. C'est pour d'autres batailles qu'il est né: si ce ne sont plus le Chili, le Portugal, l'Espagne, ce sont la Palestine, l'Afghanistan, la Centre-Afrique, le Mali et d'autres encore, qui couvent sous les cendres encore chaudes ou germent à l'horizon de notre histoire incertaine. Le cancre est une chanson qui claque encore à la gueule de la bien-pensance.

Jean-Claude Vignol