Et si le plus grand footballeur français des années post Platini n’était pas celui qu’on croit, mais Éric Cantona ? Onze ans après sa retraite sportive, l’ancien international (45 matchs, 19 buts) a conservé toute son aura. Qu’on en juge: le 9 avril 2008, alors qu’il se trouve en Angleterre pour assister à un quart de finale opposant son équipe fétiche de Manchester à l’AS Roma, les 40 000 spectateurs d’Old Trafford, ayant remarqué sa présence dans les tribunes, entonnent une formidable Marseillaise ! Rien que ça.
Il faut dire que sa prestance d’imperator (buste dressé, menton haut, col du maillot relevé), l’autorité qu’il dégageait, sa technique balle au pied, inégalée pour un athlète de cette taille (1m88), sa vista, la précision platinienne de ses ouvertures, son efficacité face au but, ont marqué les esprits. Autant que ses coups de sang, ses déclarations fracassantes, suicidaires presque quand il traite, par exemple, en août 1988, le sélectionneur national de “sac à merde”. Une question se pose en passant: quel joueur en activité aurait ce courage aujourd’hui? Même si le courage de l’insulte n’est pas toujours une valeur sûre… Mais Éric Cantona privilégiait la réplique au ressentiment, le franc-parler à la langue de bois, l’amour du jeu à l’argent.
Suspendu par les instances officielles pour avoir, en 1991, jeté le ballon sur un arbitre, Canto rompt le contrat qui le liait au club de Nîmes, stoppe sa carrière puis se ravise en tentant sa chance outre-Manche. Il y deviendra The King, l’une des premières superstars du football moderne.
“I love you, I don’t know why, but I love you” annonce-t-il aux supporters de Leeds après leur avoir offert un titre de Champion. Cette petite phrase, prononcée avec un accent marseillais, lance la cantomania. Des chants, dont le fameux Ooh Aah Cantona, sont écrits à sa gloire, regroupés sur un cd, CANTONA THE ALBUM. À force d’exploits, d'ailes de pigeon en reprises de volées, l’inflexible n°7 séduit le public le plus exigeant de la planète et se voit nommé à deux reprises Meilleur joueur de la League anglaise.
En 1995, un partisan de Crystal Palace l’invective du bord du terrain. Sans coup férir, Cantona l’exécute d’un mawashi-geri (coup de pied circulaire). Suspendu neuf mois et condamné à des travaux d’intérêt général, il déclare à la presse: “When the seagulls follow the trawler, it is because they think sardines will be thrown into the sea” *, se lève et tourne les talons. Le panache à la cantonnade! L’inspiration du poète! L’imprévisibilité de l’artiste! Le flegme de l’Apache, qu’il a tatoué sur le cœur.
Cantona purge alors sa peine, tourne d’impayables spots publicitaires, affirme son impatience de retrouver les Bleus et signe son retour aux affaires en marquant contre Liverpool. Pourtant, lassé par le mutisme d’Aimé Jacquet, et comprenant qu’il ne serait pas convoqué pour le Mondial 98, l’attaquant tire sa révérence en juin 1997 après avoir gagné son cinquième titre d’Angleterre. Il venait d’avoir 31 ans.
Alors qu’on célèbre aujourd’hui l’anniversaire décennal du triomphe de l’équipe de France, n’est-il pas évident que l'"épopée" aurait été plus glorieuse, moins poussive (pour ce qui concerne tous les matchs qui précédèrent la finale), plus saignante et chevaleresque si Cantona avait pu la marquer de son incroyable charisme ?
Quand les anciennes stars du football se reconvertissent sans tarder dans des rôles attendus (entraîneur, agent, commentateur), le Marseillais, lui, s'est consacré au théâtre, au cinéma et à la promotion du beach soccer, convaincu que la pureté du jeu se trouve là. Avant, qui sait, de rejoindre un jour Manchester pour coacher le club de son cœur... Cantona, ou l'histoire d'un homme libre, mystérieux, qui, dix ans après s’être retiré des “pelouses sportives” chères à Charles Trenet (“J’ai retrouvé l’odeur des pelouses sportives/ Où tombe la sueur des athlètes complets/ Clair dimanche aux couleurs de maillots vert olive/ C’est dans ton souvenir que mon cœur se complaît”, 1975), demeure, et de loin, l'idole de sa génération qui a le mieux vieilli. Sans aigreur ni nostalgie.
Le 12 juillet 2008, Baptiste Vignol
* Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu'elles pensent que des sardines seront jetées à la mer.
Cantona dans ses œuvres
Ooh aah Cantona
When the seagulls...
Il faut dire que sa prestance d’imperator (buste dressé, menton haut, col du maillot relevé), l’autorité qu’il dégageait, sa technique balle au pied, inégalée pour un athlète de cette taille (1m88), sa vista, la précision platinienne de ses ouvertures, son efficacité face au but, ont marqué les esprits. Autant que ses coups de sang, ses déclarations fracassantes, suicidaires presque quand il traite, par exemple, en août 1988, le sélectionneur national de “sac à merde”. Une question se pose en passant: quel joueur en activité aurait ce courage aujourd’hui? Même si le courage de l’insulte n’est pas toujours une valeur sûre… Mais Éric Cantona privilégiait la réplique au ressentiment, le franc-parler à la langue de bois, l’amour du jeu à l’argent.
Suspendu par les instances officielles pour avoir, en 1991, jeté le ballon sur un arbitre, Canto rompt le contrat qui le liait au club de Nîmes, stoppe sa carrière puis se ravise en tentant sa chance outre-Manche. Il y deviendra The King, l’une des premières superstars du football moderne.
“I love you, I don’t know why, but I love you” annonce-t-il aux supporters de Leeds après leur avoir offert un titre de Champion. Cette petite phrase, prononcée avec un accent marseillais, lance la cantomania. Des chants, dont le fameux Ooh Aah Cantona, sont écrits à sa gloire, regroupés sur un cd, CANTONA THE ALBUM. À force d’exploits, d'ailes de pigeon en reprises de volées, l’inflexible n°7 séduit le public le plus exigeant de la planète et se voit nommé à deux reprises Meilleur joueur de la League anglaise.
En 1995, un partisan de Crystal Palace l’invective du bord du terrain. Sans coup férir, Cantona l’exécute d’un mawashi-geri (coup de pied circulaire). Suspendu neuf mois et condamné à des travaux d’intérêt général, il déclare à la presse: “When the seagulls follow the trawler, it is because they think sardines will be thrown into the sea” *, se lève et tourne les talons. Le panache à la cantonnade! L’inspiration du poète! L’imprévisibilité de l’artiste! Le flegme de l’Apache, qu’il a tatoué sur le cœur.
Cantona purge alors sa peine, tourne d’impayables spots publicitaires, affirme son impatience de retrouver les Bleus et signe son retour aux affaires en marquant contre Liverpool. Pourtant, lassé par le mutisme d’Aimé Jacquet, et comprenant qu’il ne serait pas convoqué pour le Mondial 98, l’attaquant tire sa révérence en juin 1997 après avoir gagné son cinquième titre d’Angleterre. Il venait d’avoir 31 ans.
Alors qu’on célèbre aujourd’hui l’anniversaire décennal du triomphe de l’équipe de France, n’est-il pas évident que l'"épopée" aurait été plus glorieuse, moins poussive (pour ce qui concerne tous les matchs qui précédèrent la finale), plus saignante et chevaleresque si Cantona avait pu la marquer de son incroyable charisme ?
Quand les anciennes stars du football se reconvertissent sans tarder dans des rôles attendus (entraîneur, agent, commentateur), le Marseillais, lui, s'est consacré au théâtre, au cinéma et à la promotion du beach soccer, convaincu que la pureté du jeu se trouve là. Avant, qui sait, de rejoindre un jour Manchester pour coacher le club de son cœur... Cantona, ou l'histoire d'un homme libre, mystérieux, qui, dix ans après s’être retiré des “pelouses sportives” chères à Charles Trenet (“J’ai retrouvé l’odeur des pelouses sportives/ Où tombe la sueur des athlètes complets/ Clair dimanche aux couleurs de maillots vert olive/ C’est dans ton souvenir que mon cœur se complaît”, 1975), demeure, et de loin, l'idole de sa génération qui a le mieux vieilli. Sans aigreur ni nostalgie.
Le 12 juillet 2008, Baptiste Vignol
* Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu'elles pensent que des sardines seront jetées à la mer.
Cantona dans ses œuvres
Ooh aah Cantona
When the seagulls...