J’t’aime comme un fou

La photo est anodine. Elle montre, dans Paris Match, Nicolas Sarkozy en vacances à Wolfeboro. Torse nu, Rayban sur le nez, le Président pagaie. Et s’il fredonnait “Rame, rame. Rameurs, ramez/ On avance à rien dans c’canoë” pour s’encourager? Non, le cliché n’a vraiment rien de particulier. Sauf que. Sauf que L’Express, dans son édition du 23 août 2007, révèle que la silhouette du pagayeur a été retouchée, délestée de quelques bourrelets। Quand la presse populaire bichonne l’image du Chef de l’État, ou: de l’utilité d’avoir des amis fortunés… Paris-Match n’appartient-il pas à Arnaud Lagardère, un proche du pouvoir?

Anodine d’abord, cette photo aura subrepticement délivré un scoop: Nicolas Sarkozy a des bourrelets. Rien d’alarmant pour un homme de 54 ans. Au contraire, le Président s’en sortirait même plutôt bien si l’on en croit Alain Souchon qui fixait à 30 ans le moment fatidique “où l’on s’aperçoit qu’on ne peut pas compter sur l’élasticité du tissu. C’est sûr.” (Toto 30 ans, 1978) Passé ce cap en effet, le corps se flétrit. N’en déplaise aux conquistadors. À 56 balais, Philippe Léotard regrettait : “J’ai d’plus en plus peur des filles/ Qui me déshabillent/ Rien que d’un regard/ C’est déjà trop tard/ Elles ont tout vu: le gras est là.” (Magazines, 1996)
Bien sûr, il n’y a aucune honte à s’entretenir. Nous sommes d’ailleurs des millions à courir pour prendre le temps à rebours. Ce qui est moins banal, c’est de faire du footing son axe de communication. Car si le Président cavale, il faut que ça se sache! Loin d’une solitude toute shellerienne (“Oh, j’cours tout seul/ Je cours et j’me sens toujours tout seul…” William Sheller), Nicolas Sarkozy entraîne dans sa course folle son Premier ministre, ses collaborateurs, ses fils, ses gardes du corps et de malheureux journalistes, chargés de le suivre, caméra sur l’épaule, pour capter l’événement. L’accoutrement du jogger semble être devenu sa tenue officielle. On raconte même qu’il porterait le short en son palais élyséen!
Rien à dire, une page s’est bel et bien tournée. Les hobbies de François Mitterrand étaient moins somnifères: la lecture et l’écriture. Même s’il s’accordait chaque semaine un oxygénant 18 trous… Son successeur, Jacques Chirac, courait le monde pour admirer un masque aztèque ou africain. Mais il avait également ses escapades sportives: passionné par le Japon, il ne ratait jamais la retransmission d’un tournoi de sumo. Un fan de lutte à l’Élysée, devant sa télé, une Corona à la main… Nicolas Sarkozy, lui, ne boit pas d’alcool. Il court. Il lit aussi bien sûr, du Marc Lévy. Il bronze sur des yachts, s’aère l’esprit dans des villages pour milliardaires et pédale avec Michel Drucker. Et puis il court. Comme un américain. Comme Bill Clinton avant lui. Ou Robert Kennedy - photographié par Bill Eppridge, pieds nus sur une plage de l’Oregon, avec son chien Frekles à ses trousses; c’était en 1968, quelques mois avant son assassinat.
Comment “rester dans les normes/ Éviter les débordements/ Comment [re]devenir fin sans devenir fou” demandait Sanseverino? (Maigrir, 2001) En courant. Alors il court le Président, à petites foulées, lourdes et appliquées. Car il n’aura jamais l’attitude élancée, élégante d’un Kennedy. Et pourtant, il s’en donne, du mal. Il trotte comme un Yankee, le casque sur les oreilles, l’i-pod à la main… Le rêve américain. De Tom Cruise et de George Bush.
Est-ce parce qu’il est frappé d’américanisme primaire que notre Président court ainsi? Faut-il y voir d’autres symboles que ceux du dynamisme, de l’allant, du culte de l’effort? D’autres raisons que celles invoquées par quelques esprits retors qui rouspètent : Sarkozy a le feu aux fesses, n’a rien d’autre à faire que courir, fait du jogging son unique programme, et patati et patata.
Et si Nicolas Sarkozy était un jogger comme un autre? Un quinqua qui se prend en mains. S’il courait pour qu’on l’aime et qu’on le trouve beau? Comme dans cette chanson de Vincent Baguian: “Dans la vie je fais du footing/ Car je veux être en condition/[…] Je veux une ceinture abdominale/ À la mesure de mon corps sculptural/ Tous mes muscles sont durs/ Et c’est pour ça qu’on m’aime.” (Body-building) S’il courait pour retrouver ses trente ans? Quand tout feu tout flamme, il faisait chavirer Neuilly. S’il courait pour qu’Elle l’aime, tout simplement? Pour qu’Elle le regarde encore, et qu’Elle le trouve séduisant.
En médiatisant ses joggings, Nicolas sait qu’Elle le verra. Courir, suer pour elle. Par amour, et rien que pour ça. Que lui crie-t-il en courant? “Regarde-moi, Cécilia. Je cours pour toi. Pour que tu sois fière de moi. Comme quand on était jeunes, comme quand c’était le temps où…” Ce que Robert Charlebois chantait en québécois : “Pour retrouver ma ligne/ J’fais du bodybuilding, du tennis, du jogging./ M’as-tu vu courir? M’as-tu vu courir? M’as-tu vu courir dans ta rue? J’t’aime comme un fou/[…] Mais tu t’en fous.

Baptiste Vignol

Chansons citées: Rame (A. Souchon, 1980), Toto 30 ans (A. Souchon, 1978), Magazines (P. Léotard, 1996), Oh! J’cours tout seul (W. Sheller, 1979), Bodybuilding (V. Baguian, 1996), J’t’aime comme un fou (R. Charlebois, 1983)