« C'est l'heure de l'improvisation/ Des chorus et des citations... » (Pour faire une jam, Charles Aznavour)
Chorus (n. m.) : reprise en chœur et à l’unisson d’un solo de chant.
Propre à susciter d’émouvantes communions, la chanson abonde en chorus. « Une petite cantate/[…] Obsédante et maladroite… » (Une petite cantate, 1965) se remémorait Barbara. « Entêtante » et « tenace» pourrions-nous ajouter. Car le mystère se niche là. Pourquoi tel refrain nous tombe-t-il dans l’oreille ? Marquera-t-il d’une pierre blanche ou noire le cours de nos vies? Pour le meilleur et le pire… « Je te revois souriante/ Assise à ce piano-là/ Disant : "Bon, je joue, toi chante/ Chante, chante-la pour moi" » enregistre Barbara, en hommage à la pianiste Liliane Bénelli, décédée un mois plus tôt dans un accident de voiture.
La chanson détient ce pouvoir d’éveiller les réminiscences. L’ombre d’un souvenir, l’évocation d’un prénom, et la voilà qui revient. Nostalgique et vivace. Quelle définition lui donner ? “Une photo en musique ? Le véhicule du quotidien ? Tout à coup, un air qui vous remémore des odeurs” répondait Barbara. Une photo, le quotidien… Des termes journalistiques. Une saynète efficace pour témoigner du temps qui passe ou crier ses indignations. “Au départ de chacune de mes chansons, il y a l’indignation, racontait Jacques Brel. Dans Au suivant [par exemple], je m’indigne contre la diminution progressive de notre liberté individuelle.”
Autant qu’une revue satirique, qu’un cliché de Margaret Bourke-White, qu’un long-métrage de Ken Loach, la chanson peut être un révélateur capable de prendre le pouls de l’opinion, d’appréhender ses mal-être.
Journaux et chanson sont des gages de démocratie - lancinante, mais indispensable antienne à l’heure où la presse généraliste traverse une crise majeure. Au train où vont les choses, nous n’aurons bientôt plus que trois quotidiens nationaux…
Une presse abondante témoigne du foisonnement des idées. “C’est tout petit, une chanson. C’est une manière décente de raconter ses idées” soulignait Jacques Brel. Mais la chanson populaire, quand elle est “d’expression” (pour la différencier de la chanson d’industrie), poétique et contestataire, réfute ou propose donc enrichit le débat.
Depuis les mazarinades, la chanson s’avère un vecteur d’autant plus payant qu’il est quasi gratuit ! La chanson a toujours profité du bouche à oreille. Il suffit de se rappeler l’ancêtre Béranger – Pierre-Jean, que Jean-Louis Murat reprendrait dans l’album 1829 (“De vieux soldats m’ont dit : Grâce à ta muse,/ Le peuple enfin a des chants pour savoir…”, Waterloo); de penser à Brassens, Brel et Béranger – l’autre, François, dont Renaud s’est inspiré; de prendre Jacques Bertin, Barbara ou Bashung : tous barons de la chanson, serviteurs de la ritournelle. Sans oublier Ferré, qui ne s’encombrait pas de questions majeures sur l’Art et la Poésie, mais édictait froidement : “La chanson est une chose très construite. Grâce à l’assonance et à la rime, elle parvient à devenir pour un certain nombre de gens une forme d’art irremplaçable.”
Journaux et chanson sont des hauts parleurs de l’âme collective. Avancent-ils en tandem? Font-ils attelage? Nenni. Les premiers dédaignent la seconde dans une absurde condescendance à laquelle échappent d’autres arts musicaux, pas forcément supérieurs. Pourtant, la chanson, quand elle est réussie, a l’immense mérite “d’arracher la poésie à l’imprimerie” (C. Nougaro)!
Fort heureusement néanmoins, quelques magazines se consacrent à l’art de la ritournelle (Chorus, Franco-Fans, Platine). Ils vivent avec peu de moyens, loin des grands annonceurs qui se fichent de la magie des mots. Et voilà qu’on annonce la disparition probable de Chorus! Parrainé par Alain Souchon, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman et Yves Simon, ce trimestriel met l’accent depuis 25 ans (si l’on compte sa devancière, Paroles et Musique) sur la chanson « de parole », comme l’appelle Jean Ferrat. Des artistes iconoclastes qui tournent et remplissent les théâtres dans l’indifférence des médias (Dick Annegarn, Claude Astier, Julos Beaucarne, Michèle Bernard, Michel Bühler, Général Alcazar, Loïc Lantoine, les Ogres de Barback, Thomas Pitiot, Sarclo, Thierry Stremler, Serge Utgé-Royo, etc.) y font l’objet de papiers passionnants ; cette revue ayant, par ailleurs, découvert des dizaines de talents prometteurs. Benjamin Biolay (même si la chanson française le débecte – mais nous y reviendrons), Camille, Jeanne Cherhal ou Daphné dernièrement, ont été repérés par les journalistes de Chorus, ce qui leur a donné un salutaire coup de pouce. Il faut soutenir cette revue - d’aucuns l’appellent le Journal officiel de la Chanson - et faire chorus avec ceux qui, aujourd’hui, tentent de la sauver en souscrivant à son maintien par des abonnements.
« Joue encore un nouveau chorus/ Ressors-moi ton archet » chantait Claude Nougaro (À cœur perdu, 1993). Pourvu que Fred Hidalgo, le directeur de la rédaction, réponde à cette prière! Pour qu’à l’instar d’un Gérald Genty, de jeunes artistes puissent encore se prendre à rêver : « J'ai pas encore la grosse tête/ Mais ça va p't’être bientôt changer... / La télé, Saint-Tropez, les autographes,/ Les flashs, Drucker, et p't'être même en bonus,/ Un portrait dans Chorus... » (Humble héros, 2004).
Baptiste Vignol
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