Les 10 plus beaux disques de l'année

1. L'AN 40 - Jeanne Cherhal


L'AN 40 n'a rien d'un soleil qui se couche. C'est une aube nouvelle. Une anatomie des passions humaines. Un plumage fauve de chansons imbriquées. C'est une principauté. Qui déclare son indépendance. Le tipi d'une Cheyenne. En moins de quarante minutes, la chanteuse aux yeux verts cisèle les tourments, les peines et les éblouissements d'une créatrice à fleur de peau. Jamais personne n'avait chanté cet âge avec une telle intensité. Sacré disque de l'année francophone par L'Obs et Télérama, L'AN 40 fait partie des très grands albums de la décennie.


2. SOLEIL, SOLEIL BLEU - Baptiste W. Hamon


Avec son deuxième LP, Baptiste W. Hamon propose dix chansons de foudre, de robes pâles et d'âmes brisées. Des chansons d'hommes cabossés qui «jouent un vieux Dylan en ré». Des chansons d'effervescence aussi. D'amitiés mortes et de joies en sursis. Il se passe quelque chose relevant de l'apesanteur quand on écoute SOLEIL, SOLEIL BLEU. Le sentiment d'être moins seul, d'avoir trouvé dans le réconfort westernien d'une voix sans manières la présence d'un ami. Comme un soleil qui se lève.


3. À TERRE ! - O


L'éclat des chœurs féminins, les refrains fougueux qui giclent, s'embrasent et décollent, les couplets qui chaloupent. La réalisation audacieuse (et sophistiquée), les arrangements soigneux (mais truculents). Les variations chevaleresques, les chansons qui se brisent, tombent en avalanche, rebondissent et scintillent en phosphorescences ironiques. Olivier Marguerit est un pur songwriter. Son disque est une leçon pop.


4. LA MORT DES ETOILES - Les sœurs Boulay


Sorti le 3 septembre 2019, LA MORT DES ÉTOILES restera comme le premier grand disque francophone post #MeToo et #GretaThunberg. Treize chansons de femmes. De femmes en colère – dont l'écho porte loin puisque la colère des femmes sauvera le monde. Chansons terriennes. De quête. Et d'inquiétudes. Que la poésie, l'équation nord-américaine des musiques (Stéphanie et Mélanie Boulay sont québécoises), la sensualité des arrangements, l'indicible souplesse de l'interprétation, purgent de tout fatalisme.


5. HOMELESS SONGS - Stephan Eicher


Un chanteur, c'est d'abord une voix. Un timbre. Ça n'est même que ça. Ceux qui s'en trouvent dépourvus, malgré leur talent, connaitront toujours des parcours parallèles, loin du grand public. Et la voix de Stephan Eicher a la douceur réconfortante des refuges, le charme des charpentes de grenier. Avec Prisonnière et Je n'attendrai pas, l'Helvète et «son» parolier Philippe Djian rappellent qu'ils forment un tandem d'élite. Qui n'a rien à envier aux divins binômes de la chanson française, Plante/Aznavour, Lanzmann/Dutronc, Roda-Gil/Clerc, Souchon/Voulzy, Daho/Turboust.


6. BRAQUAGE - Marie-Flore


Attention tristesse. Qu'une artiste puise dans son propre chagrin pour faire œuvre de création n'a rien de neuf, mais qu'elle s'exprime avec une impudeur aussi magnifique est un signe. Le signe d'un climat. D'une conquête. D'une libération. L'époque change. Et la chanson l'accompagne. Il y a quelque chose d'épineux chez Marie-Flore. Un cocktail romantique. Qui semble provenir de la rue. Une poésie crucifère. Loin, très loin de la cuculisation généralisée.


7. PERSONA - Bertrand Belin


Si le génie était gage de succès, Bertrand Belin serait une star. Sixième album de sa discographie, PERSONA est son meilleur, le plus abouti. L'auteur, fidèle à ses lacis, nous attire dans des forêts obscures peuplées de rêves, d'épouvantes et de nostalgies. De ces artistes qui ne transigent pas ni ne font de l'œil au public, Bertrand Belin n'est pas un animal de foire.


8. L'ANNEE DU LOUP - Alma Forrer


Sa voix d'eau claire est un manteau de brumes. Et ses chansons sont des soupirs, des abandons. Des SOS Amor. «Ce qui compte, c'est pas la fin / C'est de tout claquer et de le faire super bien...» Comment mieux le dire autrement? Certains suivent leur instinct. Alma Forrer n'écoute que ses passions. Qu'elle dévoile sans baisser les yeux. A rendre dingos les garçons.


9. 6½ - Les Innocents


Conformes à la réputation du groupe, JP Nataf et Jean-Christophe Urbain aquarellent leurs nouvelles chansons de colorations lumineuses qui s'échappent des brumasses de l'époque. Dix prototypes indémodables dont les couleurs vives papillonnent, chatoient, se diaphanéisent et miroitent dans la pénombre du quotidien. Un feu d'artifice.


10. ÂMES FIFTIES - Alain Souchon


Difficile de ne pas être déçu en découvrant le dernier Souchon. Trop de musiques passe-partout (pas assez de Laurent Voulzy). Pourtant, deux merveilles suffisent à faire de ce disque le top 10 de l'année: Âmes fifties d'abord, qui vaut bien des documentaires sur la France de René Coty. Un terrain en pente ensuite, sur la France des années 2010: immense, poignante, subtile, sobre, humaine, narquoise, délicate et nuageuse. Quand l'art de la simplicité confine au génie. Un quart de siècle après Foule sentimentale, Souchon remet ça. Il dit tout. Faut voir comme. Et l'on reste sans voix.

Baptiste Vignol