Saintes Victoires


Une semaine après la cérémonie des Victoires de la Musique qui s’est tenue le 8 février 2019, le top des ventes (du 8 au 14 février) montrait quels étaient les rares artistes à avoir «profité » de ce rendez-vous qui connut ce soir-là un flop historique d’audience avec à peine deux millions de téléspectateurs. Commençons par l'idole, Angèle (primée pour l'«Album révélation» et le «Clip de l'année»), dont les ventes progressèrent tranquillement de 36%, passant de 9.212 BROL écoulés la semaine précédente (du 1er au 7 février) à 12.454. Elle est depuis longtemps multi disques d'or en francophonie. Quant aux autres grands vainqueurs, Bigflo & Oli (Victoires des «Artistes masculins de l’année» et du «disque de musique urbaine»), ils sont montés de la 14ème à la 8ème place du classement, avec 7.196 LA VIE DE RÊVE contre 3.949 huit jours auparavant. La vraie gagnante de la soirée étant cependant Clara Luciani. Portée par la Victoire de la «Révélation scène», elle s’est hissée de la 50ème à la 11ème place du Top avec 5.075 SAINTE VICTOIRE (+255%) contre 1.429 une semaine plus tôt. Progression logique vue l’irrésistible prestation que la chanteuse donna ce soir-là et qui laisse à penser qu'en repartant bredouille, elle aurait tout pareillement marqué les esprits. Jeanne Added enfin, lauréate des Victoires de l’«artiste féminine» et de l’«album rock», a pu voir RADIATE jumper du 109ème au 21ème rang du Top avec 4.009 passages en caisse, contre 644.
Tout ça pour, en gros, vendre trois mille CD. C’est pas bézef, mais c'est ce que pèse aujourd’hui le fait d’être honoré dans l’une des catégories reines de la compétition, parce qu’avec son trophée du meilleur album de «musique du monde», Camelia Jordana ne pointe qu'à la 139ème place du Top avec 499 LOST… De quoi se sentir perdu, en effet. 
Devant une telle débâcle, quelques questions surnagent encore. Ne faudrait-il pas une bonne fois pour toutes revoir l’animation de cette grand-messe, sa programmation musicale, le modèle des catégories en lice? Serait-il possible de savoir qui sont les six cent membres de l’«Académie» qui décident des nominations? Qu’ont-ils donc fait pour la musique en général qui leur donne ainsi le droit de désigner les artistes de l’année? Quand il y a tant d’auteurs à succès, de compositeurs et d’arrangeurs renommés auxquels bizarrement on ne demande pas de voter... Et puis, faut-il continuer de mettre en lumière des albums en langue étrangère? Aïe. Le simple fait de poser la question vous range parmi les grincheux, les réacs de service. Mais pourtant ! Est-ce juste, logique, censé? Quand les dialectes de la francophonie, cajun, créoles, régionaux, sont bâillonnés. Jeanne Added est une merveilleuse musicienne, qui chante divinement. Avec RADIATE, entièrement interprété dans la langue de Lady Gaga, elle a remporté la plus prestigieuse des récompenses, celle de l’Artiste de l’année. Faudra-t-il désormais réduire la variété française à ce qu'elle n'est pas, un sous-art qui nourrirait des complexes linguistiques? Sérieusement, si des Victoires revenaient à Juliette Armanet pour um recorde chanté en portugais, à Julien Doré pour un ディスク en japonais, à Katerine pour ein rekord en allemand, chacun s'esclafferait. Serait-ce moins grotesque pour un Long Playing en anglais? Les rappeurs ne complexent pas, eux. Pas plus qu'Aya Nakamura. Ils s'expriment dans leur langue maternelle, qu'ils défendent de fait, popularisent ses richesses, ses trouvailles et cartonnent comme jamais. Avec ou sans Victoires en porte-clefs.

Baptiste Vignol