Sung in french


Cabrel, ce patriote. Heu, de quoi s'agit-il? En gros, la star et son premier producteur, Richard Seff, s'inquiètent que les radios, qui déjà laissent peu de place dans le paysage musical aux chanteurs français, puissent prochainement, sur simple dérogation, «sans que l'on dise pourquoi et dans quelles conditions», abaisser de 5% le quota de chansons en langue française fixé à 40% sur l'ensemble de la diffusion depuis janvier 1996. «Il est primordial de réserver un espace de diffusion à la production des artistes français, assure Francis Cabrel. Trop d'entre nous se sont découragés et ont choisi la langue anglaise dans l'espoir d'accrocher une chance supplémentaire d'être programmés par les radios.» La langue anglaise. Francis est gentil. Quand bon nombre de nos brailleurs anglophiles seraient incapables de demander leur chemin dans le métro new yorkais...
En conséquence, Cabrel propose, au nom d'un «patriotisme» linguistique, un amendement, qu'il qualifie de crucial et qui imposerait aux radios des «heures de diffusions décentes» pour les artistes français, «matin, après-midi et début de soirée». Pour les chanteurs français, mais d'expressions francophones aussi, qu'elles soient créoles, patoises et régionales. «J'ai la chance d'écouter des dizaines de jeunes artistes par an, témoigne Cabrel qui, avec Richard Seff, a créé les Rencontres d'Astaffort en 1994. Je peux affirmer qu'une bonne partie d'entre-eux aurait leur place dans le paysage musical et quotidien des auditeurs.» Faut-il rappeler ici quelques noms d'artistes brillants et modernes qui, depuis une quinzaine d'années, à force d'être réduits au silence radiophonique, ont fini, lourdés par leurs labels, par rendre les armes? La solution étant, pour ceux qui en ont l'énergie, de se tourner désormais vers le financement participatif. Quel panard. Inutile de préciser que les patrons de majors, eux, surfent encore sur des émoluments princiers… Les coups de pied au cul qui se perdent! Et que même les émissions de nuit, à l'instar de «Sous les étoiles exactement» sur France Inter, qui axaient tout, grâce à Serge Le Vaillant, sur l'intelligence, la nouveauté, la diversité, l'originalité, ont été saquées de l'antenne…
Il est remarquable qu'un colosse comme Cabrel, que les Inrockuptibles aiment tant conchier de billets aussi prévisibles que la raie du maçon, se sente solidaire de la variété française dans son panorama. Parce qu'il est définitivement libre, Cabrel l'ouvre, quand tant d'autres se taisent… Vingt millions d'albums au compteur ne vous rendent donc pas forcément gras et ventripotent comme un moine. Cabrel s'alarme, et ça fait son effet: les journaux en parlent. Pourvu que quelques consciences s'alertent. Peut-être alors - espérons-le !-, après la décision des sénateurs de suivre Cabrel dans ses recommandations en «confortant» la chanson française lors de l'examen, le 24 mai prochain, du projet de loi sur la Liberté de Création, l'Architecture et le Patrimoine, faudra-t-il lui dresser une statue d'un roc de grand air.

Baptiste Vignol