«Je ne sais même plus si tu étais jolie/ Je t'aime bien plus fort, plus loin qu'à la folie…» Certaines chansons vous cueillent, sans qu'on s'y prépare, et ça donne de vrais moments de télévision. Ce qui est plutôt rare. On savait Serge Lama grand parolier (Une île, Je suis malade, D'aventure en aventure…), glissant aussi dans ses alexandrins des références empruntées aux poètes. «Jamais le vent mauvais ne balaiera les feuilles…» Mais l'on oubliait petit à petit, en ces temps d'émissions savonnettes, ce que sont les grands interprètes, seuls capables de transmettre par une chanson le caractère poignant d'émotions fondamentales. En créant Maman, «parolée» par Lama («Il y a des jardins dans nos faux souvenirs/ Il y a des chagrins beaux comme des menhirs/ Des histoires qui vous parlent en latin, en grec ou en allemand…») sur une musique de sa propre composition, Gérard Lenorman, né en février 45 d'une jeune femme de seize ans, Madeleine, et d'un père inconnu, Erich, dont il apprendra trente-cinq ans plus tard qu'il officiait dans la Wehrmacht, atteint grâce à son interprétation et sa gueule d'homme blessé une sorte de perfection. De quoi bluffer la jeune génération, incarnée ce dimanche-là par Jeanne Cherhal, pour qui trop souvent Lenorman n'est qu'une ancienne gloire de la variété giscardienne.