Délicieux Duteil


Avant de découvrir RANDOM ACCESS MEMORIES, le nouveau Daft Punk, pourquoi ne pas écouter le dernier Duteil? Son quatorzième album, FLAGRANT DÉLICE, est sorti fin 2012, ce qui n'enlève rien à la fraîcheur de cette voix familière, douce comme le bois de la rampe d'un escalier centenaire. Quarante ans de carrière, et Duteil n'en a pas encore fini. «La chanson sert à remonter le temps, comme le cinéma et la photographie, notait Patrick Besson dans un vieil édito. La littérature, la musique et la peinture l'abolissent, lui étant supérieures.» Sûrement. Mais les chansons de Duteil enseignent par exemple comment apprécier la fuite du temps puisque «le présent ne fait que passer» (Flagrant délice). Et si la clé était ailleurs? demande-t-il dans une énième déclaration inspirée par Noëlle - la quantième depuis 1975, année de leurs épousailles? Duteil à la guitare. C'est là qu'il est le meilleur. La justesse du timbre, qui ne bouge pas, resté le même que sur Virages, l'une des plus jolies chansons sorties sur 33 tours en 1974. Qu'il décline sa passion pour la photographie («Quand je zoome sur ton visage dans le viseur de mon Nikon», Flagrant délice), le regret de n'avoir pu donner la vie (Naître), la maladie dans Le souffle courtTu es pareille aux éoliennes / Immobile au milieu du champ / Tu cherches l'air et l'oxygène / Et tu te bats conte le temps»), le stress (Le temps presse) façon Béart, sa dépendance aux textos («Tu dis: Je "T" apostrophe "M" / Et je sais que l'on est en vie», Je t'mms) ou son admiration pour Folon (Le trésor de l'arc-en-ciel), Duteil, c'est son talent, se confie, comme s'il ne chantait que pour celui qui l'écoute. Et comme souvent sur ses disques, un morceau fait la loi, imposant le respect. FLAGRANT DÉLICE en compte deux. La chanson des Justes d'abord, dont la trame se tisse en 1942 dans les halls d'immeubles silencieux des quartiers de France. Avec parfois, rarement, une «porte entrebaillée dans l'escalier / Sur le dernier refuge inespéré.» Violon. Puis Secrets de famille, parfaite dans son architecture, où l'on entend les doigts du chanteur glisser sur les cordes de sa guitare... L'histoire banale mais formidablement narrée d'un menuisier qui «travaillait à l'ancienne / Sculptait le fil du bois dans un geste parfait / En caressant le buis, le merisier, le chêne / Il en savait les veines et les moindres secrets», et d'une couturière qui «dessinait des robes à la mode à Paris». Pas question d'en dire davantage, si ce n'est cette conclusion: «On serait bien surpris en croisant leurs regards / Sur les photos sépias qu'on retrouve aujourd'hui / D'avoir cru nos aînés tranquilles et sans histoires / Alors que la souffrance aura brisé leur vie / Et miné le destin de ceux qui ont suivi.» Qui écrit encore ainsi? Le dernier Duteil est fort beau. Il faudrait que cela se sache.

Baptiste Vignol