De l'art de se distinguer


Après vingt-cinq ans de carrière, dix albums, deux "gros tchubes" comme dirait Valery Zeitoun (Elle a les yeux revolver, #4 en juillet 85; J’ai tout oublié, #1 en février 2002) et une ribambelle de succès*, Marc Lavoine n’ignore plus rien des ficelles du métier : il faut se distinguer. La carrière d’une vedette de variété est faite de hauts et de bas, toujours tractée au final par deux ou trois chansons-miracle, guère plus, qui parviennent à marquer la mémoire. C’est peu, mais n’est pas Jean-Jacques Goldman qui veut.
Tous les chanteurs rêvent de lumière, d’Inrockuptibles, de prix, de Victoires et du canapé de Drucker. Suite à son retour fracassant de 2002, Marc Lavoine a sorti des disques, des compilations, a persévéré dans le cinéma - avec plus de bonheur qu’un Patrick Bruel notons-le, puisqu’il a transformé l’essai, apparaissant déjà dans une quinzaine de films, dont quelques cartons du box-office.
En septembre 2009, sortait VOLUME 10, son plus récent album. Pour en promouvoir le deuxième single, Demande-moi, une rengaine insipide comme en compte beaucoup ce CD, Lavoine exhibe dans son nouveau vidéo-clip une jeune femme nue, et totalement épilée, rêvassant sous une douche de circonstance. En appâtant le gogo, Lavoine s'assure 1. d’effaroucher à peu de frais – ce qui est bon pour sa publicité, 2. de vendre quelques albums supplémentaires – de quoi ravir sa maison de disques, et 3. de toucher de sympathiques droits d'auteur avec la diffusion de sa vidéo sur les chaînes à clip. Malin, efficace... mais raté car cousu de fil blanc, faussement audacieux, aussi lisse qu’une publicité pour une marque de crème dépilatoire.
Un troisième extrait viendra promouvoir VOLUME 10. Quel sera-t-il ? Pour enfoncer le clou, ce pourrait bien être son titre « érotique » : Je rêve de ton cul. Une mélodie passe-partout pour des paroles plutôt ternes («Je rêve de ton cul, je l’adore/ C’est la plus belle vue, elle vaut son pesant d’or »). Difficile de se frotter à ce thème après Brassens (Vénus Callipyge), Nougaro (Le K du Q), Gainsbourg (Vu de l’extérieur), Pierre Louki (Les fesses de la marquise) ou Renaud (Fanny de la Sorgue)… Quel clip pour l’habiller ? Plan fixe sur une paire fesses ? Ce serait trop prévisible, d'une part - et la prévisibilité n’est pas signe d’inspiration…, et forcément décevant d'autre part car question vidéo, Sébastien Tellier a tiré le gros lot : Look, un dessin animé réalisé par Mrzyck & Moriceau, d’une simplicité obsédante. Comme quoi l’imagination, impuissante chez certains, peut prendre chez d’autres un miraculeux pouvoir.

Baptiste Vignol

Look

* parmi lesquels Le parking des anges, #11, 1986; Bascule avec moi, #21, 1987; Même si, #24, 1987; Le monde est tellement con, #27, 1988; Qu'est-ce que t'es belle, #31, 1988; Si tu veux le savoir, #17, 1988; C’est la vie, #14, 1989 ; Rue Fontaine, #18, 1990; Je n’ai plus rien à te donner, #18,1990; Paris, #28, 1991; L’amour de trente secondes, #32, 1991; C'est ça, la France, 1997; Les tournesols, #62, 1998; Le Pont Mirabeau, #83, 2000; Je ne veux qu’elle, #9, 2002; Toi, mon amour, #8, 2005.