Normales de saison











Printemps. La terre est couverte de fleurs. La terre est couverte d'herbe. Une grande joie règne sur la Terre. Les hommes se livrent à la danse et interrogent l'avenir selon les rites. L'Aïeul de tous les sages prend part lui-même à la glorification du Printemps. On l'amène pour l'unir à la terre abondante et superbe. Chacun piétine la terre avec extase.” (Notes de programme du “Sacre du Printemps” d’Igor Stravinsky, créé au Théâtre des Champs-Élysées le 29 mai 1913)


Dites-lui que je suis comme elle/ Que j’aime toujours les chansons/ Qui parlent d’amour et d’hirondelles” suppliait Claude François dans Magnolias for ever (1977), cette complainte emmenée qui n’a pas pris une ride, pas plus que n’a jauni l’image du blond bondissant. “Amour”, “hirondelles”, “magnolias”: autant de symboles printanniers.
Première des quatre saisons, le printemps (du latin primus – premier – et tempus – temps) ouvrait autrefois l’année. Pour le calendrier révolutionnaire qui demeura en vigueur de 1793 à 1805, ses mois étaient Germinal, mois des germinations (21 mars – 19 avril), Floréal, mois des fleurs (20 avril – 19 mai) et Prairial, mois des prairies (20 mai – 18 juin). Car le printemps fut toujours synonyme de retour à la vie, de fonte des neiges, d’adoucissement des températures, du réveil de la flore et des hibernants (“Vois, les fleurs ont recommencé/[…] Et les crapauds chantent la liberté…”, L’hymne au printemps, Félix Leclerc, 1960), dans une subite poussée de couleurs : “Y’a des lilas qu’ont même plus l’temps/ De s’faire tout mauve ou tout blanc” (C’est le printemps, Léo Ferré, 1964).
Le printemps apparaît. Comment? Nul ne le sait, mais l’air en ressort plus gai. « Y a d'la joie, bonjour bonjour les hirondelles » s’enthousiasme Charles Trenet (Y a d’la joie, 1939). Tous les grands de la ritournelle ont vanté sa frénésie, qui rendrait les amours volages. “Le cœur à vingt ans se pose où l’œil se pose” (Les amours d’antan, 1965) chantait Georges Brassens, ajoutant aussitôt “Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois”, tandis que Guy Béart précisait : « Le printemps sans amour / C'est pas l'printemps/ Il passe, passe plus lourd / Que l'mauvais temps » (Printemps sans amour, 1975).
Fraiche, conviviale, attendue, mais trop éphémère, c’est la saison des contes de fée, des amitiés retrouvées; et Claude François assurait en pape de la Variété : “Viens à la maison, y'a le printemps qui chante/ Les pommiers sont en fleurs, ils berceront ton cœur…” (Y a le printemps, 1972). Les grands Arts le prirent également comme source d’inspiration. De la peinture allégorique de Botticelli (“Le Printemps”) au ballet de Stravinski, c’est le thème de l’exaltation de la Femme et de l’Amour, des noces répétées du ciel et de la terre, où Flora, divinité des fleurs, et Zéphir, symbole du vent d’ouest, le messager du redoux, figurent l’amour, qu’il soit spirituel ou… charnel. Car au printemps, il faut bien s’en convaincre, « tout le monde baise à perdre haleine ! » (C'est l'printemps, 1981). Avec sa verve égrillarde, Pierre Perret pousse les personnages de La Fontaine, Daudet, Grimm ou Perrault dans d’imprévoyables positions. Si «Blanche-Neige est fatiguée, pauvrette/ De recoudre les boutons d’braguettes/ Des nains qui bandent comme des pur-sang », «L’chap’ron rouge en moins d’un quart d’heure/ Découvre les vertus du beurre/ Dont elle usait tout autrement… » ! Cinquante ans plus tôt à Berlin, Marlene chantait dans « L’Ange bleu » (1930) : « Le printemps arrive/ Je suis amoureuse/ Ce soir, je cherche un homme/ Un vrai de vrai/ Qui sache m’embrasser… » (Je cherche un homme).
Saison du renouveau, des couleurs, des parfums, le printemps peut aussi figurer la folle espérance d’un retour, celui de l’être aimé. “Dites-lui que je pense à elle/ Dans un grand champ de magnolias…” insistait Claude François, tandis qu’Hugues Aufray s'attristait: “Je crois la retrouver/ Dès que le printemps est là/ Je cesse d’y rêver/ Dès que le printemps s’en va” (Dès que le printemps revient, 1964). Car le printemps a ses défauts. S’il symbolise l’espoir d’un meilleur jour, s’il promet « parfois le grand soir » (Au printemps, Jacques Brel, 1958), marquant les grands combats de civilisation, le printemps de Pragues, Mai 68 (« Au printemps de quoi rêvais-tu?/ Poing levé des vieilles batailles, […]/ Quand la grève épousant la rue/ Bat la muraille », Au printemps de quoi rêvais-tu?, Jean Ferrat, 1969), la révolution des Œillets, le soulèvement de Lhasa…, il n’est souvent qu’un trompe-l’œil. Ne sonne-t-il pas par exemple, après la morte saison, et de façon plus prosaïque, le retour des labours pour celui qui trime aux champs ? « L'printemps, on dit qu’ça sent la rose/ Le lilas et puis le jasmin/ Pour moi l’printemps, ça sent aut’chose/ Puisqu’on cure la tonne à purin » (Isabelle, v’là l’printemps, Ricet Barrier, 1968).
En 2008, sur fond d’échauffement climatique - perceptible depuis belle lurette si l’on en croit cette vieille rengaine de Gérard Lenorman (signée Étienne Roda-Gil): « Y a plus d’printemps/ Y a plus qu’des gens qui font semblant/ Y a plus qu’du vent/ Et il ne souffle même plus comme avant » (Y a plus d’printemps, 1979) -, Barbara Carlotti rappelle que s’il est impérieux d’agir pour la nature, il demeure toujours préférable d'aller moins vite que la musique. “Le printemps n’était pas arrivé/ Et c’était là toute mon erreur/ Vouloir les premières douceurs/ Avant que les fleurs/ Ne se soient senties concernées…” (Changement de saison, 2008). Au train où vont nos vies, voilà une tautologie sur laquelle il n’est pas absurde de s’arrêter.

Baptiste Vignol