Souvenirs, souvenirs...



































En 1958, Monsieur Jacques Canetti me demande d’enregistrer un disque 33 tours chez Philips. Conjointement, il demande à Serge Gainsbourg la même chose. Le résultat, nous chantons au Théâtre des Trois Baudets en première partie avec en vedette Jacques Brel et Raymond Devos. Serge Gainsbourg est “sacré” par le Grand Prix Charles Cros et moi, pareil, par le Grand Prix de l’Académie du Disque. Et le spectacle “Opus 109” part en tournée, Brel en vedette et nous, Gainsbourg et moi, en première partie avec Les Cinq Pères en vedette américaine.
Tournée d’été, des salles ou des casinos.
Avec mon bassiste, Henri Droux, nous roulons avec Jacques et son pianiste Gérard Jouannest, Brel au volant et Gérard à côté, comme co-pilote - Brel conduisait toujours. Avec la contrebasse de Droux entre nous quatre, pas de problème. Jacques conduisait très bien, en se trompant de route parfois, pas de sa faute mais Gérard était beaucoup plus pianiste, remarquable, que co-pilote, nul!
Sur scène, BREL.
Une fois en province, je rencontre par hasard des amis qui ne viennent pas au spectacle car ils n’aiment “pas trop” les chansons de Brel. “C’est une erreur, leur dis-je. Je vous invite ce soir!” À la fin, ils m’attendaient pour me remercier.
Je ne connais que peu de grandes vedettes comme Brel, ceux qui vivent en scène. Je citerai Marie Dubas, Maurice Chevalier, Édith Piaf et… Brel.
On peut discuter des chansons, mais pas de Brel en scène: il embarque toute la salle.
Tiens, entre nous, un soir, à table, la discussion porte sur l’amour et les femmes. Chacun donne son avis, et Brel, à un moment, dit à Gainsbourg: “Toi, tu triches, moi, je me trompe!" Ça, c’est génial. Mais j’y reviendrai plus tard… Allez, une autre : on arrive à Annecy, grand soleil, belle chaleur, le Casino. Je dis à Brel: “Tu vas te changer?”… “Non!” “Mais Jacques, le Directeur est en costume-cravate pour te recevoir et toi, avec ton pantalon de velours, ta veste moitié laine, moitié peau, avec des taches…” “Non, je suis bien comme ça!” “Bon, je crois que j’ai un truc pour toi… Je reviens.”
J’avais vu en arrivant sur la place un vieil opticien. J’y vais et j’y trouve des macarons, pas des monocles. Le macaron, c’est un bout de verre rond et cranté pour que ça se coince dans l’orbite. J’en achète deux, je reviens, j’en file un à Jacques, on se les colle dans l’œil et on déambule en direction du Casino. En passant devant la terrasse d’une grande brasserie, un monsieur, costume gris, gilet noir, une soixantaine d’années, monocle vissé dans l’œil, nous regarde passer, se soulève, ôte son monocle et nous salue… Jacques et moi, raides comme balle, on retire nos macarons et nous le saluons… “Eh, t’as vu, les macarons, ça marche! C’est la classe… même en “marcel” et pas rasé, on a de l’allure.”
Oh la la, avec Brel, le Grand Jacques, on a eu la belle vie, on a bien rigolé, quand je lui faisais les éclairages, quand on essayait d’emballer les nénettes… Je vous raconterai plus tard.

Ricet Barrier