Lors des obsèques nationales célébrées le 15 mars 2008 aux Invalides en l’honneur de Lazare Ponticelli, le dernier de “la der des der” décédé dans sa cent onzième année, Mgr Le Gall, évêque des armées, déclara que ce qui l’avait le plus marqué dans la vie du vieux Poilu, au-delà d’avoir survécu aux tranchées, c’était la longévité de son mariage. “71 ans. 71 ans de fidélité” insista Mgr Le Gall. Assis au premier rang, Nicolas Sarkozy, assez romantique pour s’être déjà marié à trois reprises, écoutait religieusement.
“Avec Carla, c’est du sérieux” avait-il assuré le 8 janvier 2008. Trois semaines plus tard, le président se mariait en catimini. “Je ne vois vraiment rien de romantique dans une demande en mariage, écrivait Oscar Wilde. Il est très romantique d’être amoureux, mais une demande en mariage explicite n’a vraiment rien de romantique. Il se peut qu’elle soit acceptée. C’est, je crois, le cas le plus fréquent. Alors toute l’excitation disparaît. L’incertitude est l’essence même de l’aventure amoureuse.” Et Michèle Arnaud conseillait : “Ne vous mariez pas les filles, ne vous mariez pas/ […] Changez d’amant quat’ fois par mois/ Cachez la fraiche sous vos matelas,/ À cinquante ans, ça servira/ À vous payer de beaux p’tits gars” (Ne vous mariez pas les filles, 1958). L’humour corrosif de Boris Vian dénonce ici, démystifie, parodie sans vergogne le modus vivendi d’une société dont le mariage est un pilier.
Des siècles durant, le mariage se limita à n’être qu’une opération patrimoniale, des gens de bonne entente, rois ou paysans, formant des alliances pour ne pas s’appauvrir. La chanson d’autrefois fourmille d’airs sur cet hymen-là, de raison. L’image du mariage aujourd’hui repose sur le bonheur des époux. Il est synonyme de fête, de robe blanche, de voilettes, de pièces montées, de discours enflammés, de nuit de noces et d’enfants cravatés courant autour d’un cerisier devant des familles béates et la ronde de leurs amis qui alimentent bon gré mal gré le grand bazar des épousailles. En France, chaque mariage rassemble une moyenne de 80 invités. Tous secteurs confondus, le marché du mariage pèserait trois milliards d’euros! “Quelle belle liste de mariage/ Un autocuiseur, un aspirateur/ […] Et pour c’qu’est du batifolage/ Des draps en nylons et des films cochons” s’amusait Pascaline Herveet, la chanteuse du groupe Les Elles, dans Tonton Amédée (1995).
Le Pacs, instauré fin 1999, pourrait affecter les tables de nuptialité tant il progresse d’année en année. Mais le mariage n’est pas près d’être démodé ! Mathieu Boogaerts, figure d’une chanson aérienne, en fit une insigne odyssée parcourant en décapotable le désert du Nevada: “Sur la route qui mène à Vegas/ […] Elle et moi on avait la classe/ C’est grave comme c’est bien, quand on s’marie/ Ça j’m’en souviens, c’est c’qu’on s’était dit” (Las Vegas, 2002). Dans un clip tourné au cœur d’un désert voisin, au Texas, la troublante Berry, dont les chansons sont aussi douces qu’un ongle, nuance, tout sourire aux lèvres: “N’ayez pas peur du bonheur/ Il n’existe pas/[…] Le bonheur conjugal/ Restera de l’artisanat local…” (Le bonheur, 2008). Effectivement, un couple sur trois finit par divorcer. Trentenaires ou quinquas, les conjoints ne sont plus ce qu’ils étaient! Ils ont le feu aux fesses et mènent leur vie bredi-breda…
Si l’immense majorité des couples se dit “oui” à la mairie, un ménage sur six refuse l’idée que l’amour puisse s’institionnaliser. Jeanne Moreau fait partie de ces affranchis. Dans Juste un fil de soie, elle déclarait en 1968: “Je suis prête pour l’esclavage/ Prête à recevoir vos hommages/ Mais pas la bague aux doigts/ Juste un fil de soie”. Quasiment quarante ans plus tard, Clarika implorait: “Je f’rais tout pour toi/ M’ach’ter l’intégrale de Sardou/ […] Je ferais baptiser nos filles/ J’arrêt’rais la Danette vanille/ Mais ne me demande pas/ Ma main, tu l’as déjà !” (Ne me demande pas, 2005).
L’État de nature, selon les “ananars”, sauvegarde la liberté quand l’avilissante société, dont le mariage intègre les fondations, attache ses cordes à nos pieds. Tout mariage, par définition, suppose un contrat. Et tout contrat entraîne des obligations… Le mariage ne peut donc être qu’une entrave à la liberté! C.Q.F.D. C’est ce que chanta Jean Ferrat: “Avec ces amours qui s’arrêtent/ Pas plus tôt dites qu’aussitôt faites/ Pour devenir loi conjugale/ Trois mômes et la vie à perpète/ Avec une femme qui te débecte/ Comme un paquet de linge sale” (La cavale, 1970). Un tableau qui donne la nausée. À rebuter la plus motivée des promises! Et choquer la ménagère de cinquante balais… “C’est d’les voir, les épouses/ Qui, de moins en moins belles/ Virent jalouses et n’inspirent/ Qu’un désir mensuel” (Les épouses, 2003) martèle Lynda Lemay, avant de reconnaître, piteuse : “Il est hors de question/ Qu’on m’épouse, mais je sais/ Que j’pourrais pas dire non/ Si tu me le demandais.”
Brassens, lui, clama sans fard son mépris de la société, de ses servitudes religieuses, policières et amoureuses. “Je ne me marierai jamais! assurait-il. Pourquoi faire, le mariage? Les gens se marient pour tellement de raisons, et qui ne sont pas des plus brillantes en général.”
Le mariage, à l’en croire, serait une agression qui bride les passions. Un miroir aux alouettes. Le libertaire de la chanson en fit une éblouissante création, l’une des plus belles chansons d’amour qui soient: “J’ai l’honneur de/ Ne pas te de-/ Mander ta main,/ Ne gravons pas/ Nos noms au bas/ D’un parchemin.” (La non-demande en mariage, 1966).
Le 23 mars 2008, l’ex-première Dame de France, Cécilia Ciganer-Albéniz, qui fut jadis mariée par Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly, avant de l’épouser et de lui donner un enfant, convolait en grande pompe et en troisièmes noces, moins de deux mois après son ex-mari, et cinq mois après leur divorce, avec un riche publicitaire. Un événement sans doute assez sérieux pour que toute la presse en relate la mise en scène et les échos fastueux: trois jours de festivités à New York, avec 150 invités triés sur le volet. Qui dit mieux?
Baptiste Vignol