Du verbe jaillit le rythme et du style flamboie le propos. Jeanne Cherhal fait feu de tout mot. Avec justesse, couleur et netteté. Son recueil, À cinq ans, je suis devenue terre à terre, paru chez Points, se découvre avec une attention pareille à celle qui nous transporte lorsqu’on observe à la loupe la poudre d’écaille sur l’aile d’un papillon. On y trouve des motifs et des soleils qu’on ne voit pas. Ici l’ombre d’un père dont on devine qu’il est l’architrave d’une moralité où l’artiste puise l'essence de son œuvre. Et là, des mots disséqués, lettre par lettre, afin d'en examiner le battement : «Un S qui promet en ondulant doucement, un E modeste et délicat posé là comme une plume de paon, un X explosif qui envoie tout en l’air et un Y débridé qui s’allonge en finale gracieuse sur le bas-côté, repu.» Avez-vous dit «sexy»? Plus loin, des descriptions riches et précises (le mot «Scène» est un modèle de peinture), des notes d’humour, salées et des envies d’infini : «Un bain de mer c’est charmant et plein de poésie, c’est sain, revigorant, recommandé, ça clapote et ça barbote, alors qu’on ne prend pas un bain dans l’océan. Dans l’océan on plonge. On navigue, on fend les flots. On n’est pas là pour faire des trempettes.» Mais également céans, en embuscade, au fil des cent-quarante-sept pages du glossaire, des expressions exotiques, des explosions de lave, des silences incertains, des maux de femme, des mots de luttes, d'émoi, d'amour et d’absolu, dont un «sans synonyme» («Suicide»), qui font l’éclat discret d'un autoportrait en quarante pièces détachées. Du cristal d’Islande.
Baptiste Vignol