Double B(etsch)


«Je suis cette voix qu'on n'entend pas / Je suis une ombre dans la pénombre / Je suis une bombe qui n'éclate pas» (Dieu seul me voit). Dans la famille des B/B/ de la chanson française, on connaît Bruno Bénabar (le babillard), Bertrand Belin (le bélinographe), Benjamin Biolay (le bien-disant) et Bertrand Burgalat (le bizarre). Le plus brillant restant pour beaucoup le méconnu Bertrand Betsch. Qui n'en demeure pas moins leur éclaireur puisqu'il fut le premier à sortir en 1997 un CD désormais guetté par les collectionneurs, LA SOUPE À LA GRIMACE. Il y a la chanson de digestion, puis celle, aromale, qui vous élève, labyrinthique, dédiée aux transports des esprits et des sens. Bertrand Betsch en est un magicien. «J'ai envie, disait-il en 2004 lors du lancement de son troisième disque PAS DE BRAS, PAS DE CHOCOLAT, de faire une carrière au sens premier du terme: "creuser dans", "extraire les matériaux" pour construire quelque chose.» Pour construire quelque chose, le Parisien a fini par fuir les labels afin de fonder le sien, 03H50. Sans lésiner ni tenir compte de l'agonie du marché - perdu pour perdu, autant lâcher les chiens !-, Bertrand Betsch dévoile avant l'hiver, sur un double album, vingt-six élégies peignant des amants la joie et la tristesse. Hanté par 1. la fuite du temps (Je ne fais que passer, Le moulin de la mémoire), 2. l'enfance évaporée (L'offrande), 3. cette jeunesse triomphante et ces «dunes blondes sous les robes» qu'après l'âge de quarante ans l'on ne peut plus que contempler dans son rétroviseur (Girls), 4. la faucheuse dont l'ombre grandit (Le passage à niveau, Les linceuls n'ont pas de poche, Au fond du cœur), 5. l'amour salvateur («L'amour, c'est se sentir à sa place à bord d'un brise-glace» Amour; «Sans amour, il n'y a rien que des mouchoirs à chagrin...», Parce que) et 6. la folle espérance d'écrire un jour «le» morceau (À la radio), LA NUIT NOUS APPARTIENT comblera les âmes égarées pour qui le style et les mots ont gardé leur importance. Produites avec classe, ces chansons courtes (six titres durent moins de trois minutes, quatre seulement excèdent les deux-cents quarante secondes) brillent d'images déchirantes, toutes en rimes précises, inattendues, nourries de réminiscences rimbaldiennes ou d'antiquités d'Annegarn (Bruxelles). De sa voix si particulière, qui a l'accent et la sonorité douce d'une plainte, Bertrand Betsch chante la fragilité des choses humaines. C'est une splendeur.

Baptiste Vignol